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28/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17281

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2004, 17281


Tribunal administratif Numéro 17281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 28 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17281 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Istok (Kosovo/Etat de Serbie et

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réform...

Tribunal administratif Numéro 17281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 28 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17281 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Istok (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 20 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 28 octobre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 23 décembre 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 10 février 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 août 2003, notifiée par lettre recommandée du 28 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo le 17 décembre 2002 pour aller d’abord à Bar. De là, vous êtes passé en Italie en bateau. Ensuite, un passeur vous a emmené au Luxembourg en voiture.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 23 décembre 2002.

Vous dites n’avoir pas fait votre service militaire.

Vous ne seriez membre d’aucun parti.

Vous exposez que les Bochniaques seraient mal accueillis partout au Kosovo, qu’ils ne pourraient pas circuler librement. En 1999, un militaire de l’UCK vous aurait un jour soupçonné de détenir une arme et il vous aurait dit que les Bochniaques seraient chassés un jour ou l’autre. Un peu plus tard, un groupe armé albanais serait entré dans votre maison et aurait menacé tout le monde. Vous n’auriez pas porté plainte, mais la KFOR, informée, aurait dressé un procès-verbal. Quatre mois avant votre départ, des hommes armés auraient tenté de voler la voiture que vous aviez empruntée. Là encore, la KFOR aurait dressé procès-

verbal.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Je constate que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. Le fait d’avoir été menacé et frappé par les membres d’un groupe armé en 1999 ne saurait constituer, en 2003, une persécution au sens de la Convention de Genève. Le fait d’avoir subi une tentative de car-jacking non plus. Je note d’ailleurs que la KFOR a toujours dressé des procès-verbaux et que vous avez donc trouvé protection auprès de ces organisation internationales.

En ce qui concerne le Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

De toute façon, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer ailleurs en Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 29 septembre 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Par décision du 28 octobre 2003, notifiée le 11 novembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 11 décembre 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 20 août et 28 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo et qu’il appartiendrait à la minorité ethnique des « Bochniaques », qu’il aurait connu un certain nombre de discriminations et de menaces émanant d’un groupe d’Albanais en raison de son appartenance ethnique et que la situation générale des minorités du Kosovo resterait instable et dangereuse. Il fait valoir plus particulièrement qu’il serait particulièrement exposé en raison du fait qu’il aurait travaillé pour la KFOR en tant qu’électricien.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures contentieuse et gracieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation au Kosovo, région dont le demandeur est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par le demandeur relativement au fait d’avoir été maltraité et menacé par des Albanais constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que le demandeur n’établit pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté bochniaque du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, le demandeur ne soumet toutefois aucun élément permettant d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 28 avril 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17281
Date de la décision : 28/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-28;17281 ?

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