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28/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17129

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 avril 2004, 17129


Tribunal administratif N° 17129 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2003 Audience publique du 28 avril 2004 Recours formé par les époux … et …, … (Belgique) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17129 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2003 par les époux … et …, demeurant ensemble à

B- …., élisant domicile en l’étude de Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de ...

Tribunal administratif N° 17129 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2003 Audience publique du 28 avril 2004 Recours formé par les époux … et …, … (Belgique) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17129 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2003 par les époux … et …, demeurant ensemble à B- …., élisant domicile en l’étude de Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie à L-1479 Luxembourg, 398, route d’Esch, tendant à la réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 11 août 2003 déclarant non fondée la réclamation datée du 14 novembre 2003 dirigée contre le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2001 émis le 24 octobre 2002 par le bureau d’imposition Luxembourg 10 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que les époux … et … en leurs explications respectives, de même que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en ses plaidoiries aux audiences publiques des 17 mars et 21 avril 2004.

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Le 24 octobre 2002, le bureau d’imposition Luxembourg 10 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de Monsieur … un bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 2001, différant de la déclaration d’impôt déposée en ce qu’il a indiqué ne pas avoir admis la déduction des intérêts débiteurs du prêt « maison » souscrit par le contribuable.

Monsieur … formula une réclamation contre ce bulletin de l’impôt sur le revenu par lettre datée du 12 novembre 2002 et notifiée le 14 novembre 2002.

Par décision directoriale du 11 août 2003, le directeur de l’administration des Contributions directes déclara la réclamation recevable, mais non fondée.

Par requête déposée le 3 novembre 2003, les époux … et … introduisirent un recours tendant à la réformation de cette décision directoriale déclarant non fondée la réclamation datée du 11 août 2003 dirigée à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2001 litigieux.

Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours dans la mesure où il émane de Madame …, la décision directoriale entreprise ne concernant que Monsieur ….

La recevabilité d’un recours administratif est conditionnée par l’intérêt à agir du demandeur, qui doit être personnel et direct, effectif et légitime, né et actuel. Il est constant en cause que la décision déférée au tribunal concerne le seul contribuable ….

Il en résulte que Madame …, non destinataire de la décision déférée, ne justifie pas de l’intérêt direct requis dans son chef en tant que condition de recevabilité de son recours.

Il s’ensuit que le recours encourt l’irrecevabilité dans le chef de Madame … pour défaut d’intérêt à agir.

En ce qui concerne le recours dans la mesure où il a été introduit par Monsieur …, le tribunal constate que comme le paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » , ensemble l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ouvrent un recours au fond contre la décision directoriale litigieuse, il est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. Le recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … reproche en substance à la décision déférée que contrairement à l’article 24 § 4 de la convention belgo-luxembourgeoise préventive des doubles impositions du 17 septembre 1970, ci-après dénommée la « convention belgo-

luxembourgeoise », et à une décision du tribunal administratif du 22 décembre 1999 (n° 11111 du rôle), il aurait été omis de porter en déduction de ses revenus imposables au Luxembourg les « intérêts passifs comme frais d’obtention de la valeur locative de [son] habitation occupée comme propriétaire » et il demande au tribunal de statuer à nouveau sur cette question.

Le délégué du Gouvernement résiste à cette argumentation en relevant que l’article 24 § 4 de la convention belgo-luxembourgeoise invoqué par le demandeur ne modifierait pas les critères pour déterminer des revenus sur lesquels un résident belge est imposable au Grand-

Duché de Luxembourg, mais porterait uniquement sur la détermination du taux d’impôt luxembourgeois sur ces revenus. Or, la détermination du taux par application de l’article 24 § 4 précité exigerait une demande expresse de la part du contribuable, demande qui n’aurait pas été formulée en l’espèce par Monsieur ….

Le demandeur a insisté lors de l’audience du 17 mars 2004 sur le fait que s’il demande au tribunal de procéder au recalcul de sa base imposable, il entend par là le recalcul de la base imposable fictive par incorporation notamment des intérêts débiteurs relatifs à l’acquisition d’un bien immobilier, recalcul qui serait nécessaire pour déterminer le taux applicable à ses revenus imposables au Grand-Duché.

L’article 24 § 4 de la convention belgo-luxembourgeoise dispose qu’« une personne physique, résidente en Belgique, qui, conformément aux articles 7 et 14 à 19, est imposable au Luxembourg du chef de plus de 50% de ses revenus professionnels, est, sur sa demande, imposée au Luxembourg, en ce qui concerne ses revenus y imposables conformément aux articles 6, 7 et 13 à 19 de la Convention, au taux moyen d’impôt qui, compte tenu de sa situation et de ses charges de famille et du total de ses revenus généralement quelconques, lui serait applicable si elle était un résident du Luxembourg ».

Il appert à la lecture dudit article qu’il prévoit - sur demande - une méthode spécifique de détermination du taux d’impôt luxembourgeois applicable aux revenus sur lesquels un résident belge put devenir imposable au Grand-Duché de Luxembourg et qu’il n’a nullement pour vocation de modifier les critères d’imposabilité d’un revenu au Grand-Duché.

Le tribunal est amené à constater au vu des explications de Monsieur …, tel que précisé à l’audience du 17 mars 2004, qu’il réclame la détermination du taux d’impôt moyen applicable, par application du prédit article 24 § 4, détermination qui nécessite préalablement le calcul d’une base imposable fictive regroupant le « total de ses revenus généralement quelconques ».

L’octroi de l’option telle que prévue par l’article 24 § 4, à savoir l’application du taux spécial prévu par ce même article, nécessite cependant une demande expresse devant le bureau, de sorte que c’est a priori à juste titre que le délégué du Gouvernement relève que pareille demande ne saurait se dégager implicitement d’une déclaration de dépenses ou d’une demande de déduction, ni intervenir pour la première fois dans le cadre de la procédure de réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes, voire devant le juge administratif.

Il se dégage des pièces versées en cause, et plus précisément d’un courrier daté du 14 juillet 2002 et annexé à la déclaration pour l’impôt sur le revenu 2001 rempli par le contribuable …, que celui-ci a expressément formulé une demande en vue de se voir accorder le bénéfice de l’option prévue par l’article 24 de la convention belgo-luxembourgeoise, demande libellée en les termes suivants :

« En complément de notre déclaration d’impôt, nous vous prions de trouver en annexe une attestation concernant les charges d’intérêts sur l’emprunt de notre habitation. Nous vous demandons par la présente de bien vouloir en tenir compte dans notre déclaration d’impôt en vertu de l’article 24 (4) de la convention belgo-luxembourgeoise préventive des doubles impositions du 17 septembre 1970.

(…) Nous vous prions d’appliquer ce raisonnement également au traitement de notre déclaration d’impôt et plus particulièrement, en ce qui concerne les charges d’intérêts de notre crédit hypothécaire.

Ces charges d’intérêts doivent, à notre sens, être considérées comme un revenu étranger exonéré négatif faisant diminuer notre taux moyen d’imposition. » Il appert encore de la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2001 telle qu’adressée par le demandeur … au bureau d’imposition, qu’il a indiqué à la ligne 82 de la déclaration les intérêts de son prêt hypothécaire à prendre en considération selon lui.

Le tribunal relève encore que le directeur de l’administration des Contributions directes invoque dans la décision déférée d’une circulaire, émise par lui-même postérieurement à l’exercice d’imposition faisant l’objet du bulletin litigieux, interne de l’administration des Contributions directes (circulaire L.G. – Conv. n° 53 du 27 septembre 2002) pour refuser l’application effective à la situation de Monsieur … des dispositions de l’article 24 § 4 de la convention belgo-luxembourgeoise, cette circulaire prohibant la prise en compte d’un revenu négatif en tant que revenu exempté lorsque la somme des revenus exonérés en vertu de la convention aboutit à un solde négatif.

Or une circulaire administrative ne constitue qu’une instruction en forme de lettre adressée par une autorité administrative aux divers fonctionnaires de son département. Elle n'a pas de caractère légal; elle ne constitue pas un acte réglementaire ou une décision obligatoire pour les administrés et ne s'impose ni aux tribunaux, ni aux personnes étrangères à l'administration. Une telle circulaire doit garder en principe un caractère interne à l'administration, en ce qu'elle réglemente la manière dont les fonctionnaires doivent accomplir leur mission. Une circulaire doit se borner à interpréter les textes de loi en vigueur, sans pouvoir fixer des règles nouvelles. Elle ne saurait être invoquée comme base juridique suffisante, alors qu'elle ne reflète que l'opinion de son auteur et ne constitue pas une norme juridique dont le respect s'impose à ses destinataires (voir trib. adm. 23 décembre 1997, n° 9938, confirmé par Cour adm. 14 juillet 1998, n° 10528C, Pas. adm. 2003, V° Lois et règlements, n° 38, p.437 et les autres références y citées).

Le tribunal constate par ailleurs que la convention belgo-luxembourgeoise, et plus particulièrement son article 24 §4 ne prévoit pas d’exception telle celle invoquée par le directeur de l’administration des Contributions directes.

Or, si une autorité administrative, dans le cadre de son champ de compétence, tel qu’il est défini par la législation en vigueur, peut adopter des directives internes pour se donner des lignes de conduite en fixant notamment des procédures ou critères suivant lesquels certaines affaires qui lui sont soumises ou qui relèvent de son domaine de compétence sont à traiter notamment par les fonctionnaires qui se trouvent sous ses ordres, de telles directives doivent obligatoirement se situer dans le cadre des dispositions légales et réglementaires applicables et elles ne peuvent en aucun cas comprendre des règles allant au-delà de ce qui est expressément prévu par la loi ou ses règlements grand-ducaux d’application, sous peine pour l‘autorité administrative d’excéder ses pouvoirs et d’empiéter sur une compétence réservée soit au pouvoir législatif, soit au pouvoir réglementaire déterminé par l’article 36 de la Constitution.

Toute directive qui va au-delà de la fixation de lignes de conduite à l'administration dans le cadre d'une législation existante et qui prétend fixer des règles nouvelles voire déroger à des règles existantes, est anti-constitutionnelle pour violer ledit article 36 de la Loi fondamentale (voir trib.adm. 18 décembre 2002, n° 15126, Pas. adm. 2003, V° Lois et règlements, n° 39, p.437).

Il s’ensuit que tant le bulletin d’imposition que la décision directoriale litigieuse n’ont pas pu valablement s’asseoir sur la prédite circulaire pour refuser la prise en compte des intérêts débiteurs de l’emprunt immobilier de Monsieur ….

Par conséquent, en l’absence d’une quelconque restriction légale ou réglementaire afférente, il échet d’admettre que le solde, même négatif, provenant de la déduction des intérêts débiteurs d’un emprunt immobilier des revenus provenant de biens immobiliers, est à prendre en considération, ensemble les autres revenus généralement quelconques du contribuable, afin de déterminer le taux moyen d’impôt qui lui est applicable.

Cette conclusion n’est pas énervée par les dispositions des articles 7 alinéa 2 et 134ter, alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, invoquées dans la décision directoriale, celles-ci trouvant à s’appliquer dans le cadre de la fixation de la base imposable réelle d’un contribuable, et, non, comme en l’espèce, dans le cadre de la fixation du taux moyen d’imposition à partir d’une base imposable fictive prévue par la convention belgo-luxembourgeoise, par ailleurs d’essence supérieure.

Etant donné qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire » (cf. doc. parl. 3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc.

parl. 3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5)), son rôle consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt (voir trib.adm. 29 mars 1999, n° 10428, confirmé par Cour adm. 11 janvier 2000, n° 11285C, Pas. adm. 2003, V° Impôts, XI Procédure contentieuse, n° 378, p.409).

En application des développements qui précèdent, il y a en conséquence lieu de renvoyer l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes pour permettre au bureau d'imposition compétent de procéder à l’imposition conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, dit le recours irrecevable pour défaut d’intérêt dans le chef de la requérante … ;

dans la mesure où il a été introduit par le requérant …, le reçoit en la forme;

au fond le dit justifié;

partant et par réformation dit que le solde, même négatif, provenant de la déduction des intérêts débiteurs d’un emprunt immobilier des revenus provenant de biens immobiliers, est à prendre en considération, ensemble les autres revenus généralement quelconques du contribuable, afin de déterminer le taux moyen d’impôt applicable suivant l’option choisie en l’espèce sur base de l’article 24 (4) de la convention belgo-

luxembourgeoise préventive des doubles impositions du 17 septembre 1970;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 avril 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17129
Date de la décision : 28/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-28;17129 ?

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