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26/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17283

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 avril 2004, 17283


Tribunal administratif Numéro 17283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 26 avril 2004 Recours formé par Mme … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17283 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bérane (Monténégro-Eta

t de Serbie et Monténégro) et de son fils, M. …, né le … à Djakovica (Kosovo/Etat de Serbie et Montén...

Tribunal administratif Numéro 17283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 26 avril 2004 Recours formé par Mme … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17283 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bérane (Monténégro-Etat de Serbie et Monténégro) et de son fils, M. …, né le … à Djakovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 14 août 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 27 octobre 2003, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 27 décembre 2002, Mme … et son fils, M. … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les consorts …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 mars 2003, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 août 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo le 15 décembre 2002 pour aller à Sarajevo. Vous y avez fait la connaissance d’un passeur qui vous a conduits au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 27 décembre 2002.

Vous exposez, Madame, que, bien qu’originaire du Monténégro, vous auriez vécu au Kosovo.

En 1997, votre mari serait mort électrocuté alors qu’il installait l’électricité sur un marché : un Albanais aurait allumé le courant. Cette personne aurait d’ailleurs fait l’objet d’un emprisonnement de 25 jours avant d’être libéré. Vous pensez qu’il ne saurait s’agir d’un accident.

Vous dites être venue au Luxembourg avec votre fils pour vivre chez votre fille et vous précisez que beaucoup de membres de votre famille vivraient ici.

Vous expliquez que, depuis le conflit au Kosovo, vous n’auriez eu que des ennuis avec les Albanais. On aurait essayé de vous déloger, et ensuite, on aurait occupé votre maison sans votre accord, on vous aurait coupé le courant. Finalement, la KFOR aurait chassé les indésirables. On aurait ensuite mis le feu à une dépendance de votre maison. La KFOR aurait dressé procès-verbal. Vous ajoutez qu’un cousin de votre mari aurait été tué en 2001.

Finalement, vous ne sauriez plus où aller car, Bochniaque ne parlant pas l’Albanais, vous craignez la situation au Kosovo.

Vous ne seriez membre d’aucun parti politique.

Vous, Monsieur, vous confirmez les dires de votre mère. Vous dites avoir d’abord accueilli chez vous une famille albanaise qui y serait restée un an et demi et qui ne vous aurait causé aucun ennui. Par la suite une seconde famille albanaise aurait vécu chez vous, mais elle vous aurait causé plus de problèmes. La KFOR l’aurait fait déguerpir. Vous ajoutez qu’en 2000, on aurait attaqué votre maison. Par la suite, une annexe de votre maison aurait brûlé et vous soupçonnez les Albanais que la KFOR a fait partir, de s’être ainsi vengé.

Vous auriez aussi été menacé et giflé parce que vous ne parliez pas l’albanais.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

L’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Quant au fait que le décès de votre mari ne serait pas accidentel, je constate que cela reste à l’état de pure allégation. L’assassinat d’un cousin, à supposer ce fait établi, n’entraîne pas directement l’application de la Convention de Genève en ce qui vous concerne.

Je constate aussi que, chaque fois que vous avez demandé de l’aide à la KFOR, vous avez effectivement trouvé protection.

D’ailleurs, en ce qui concerne le Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

De plus, il ne résulte pas de votre dossier que vous n’auriez pas pu vous établir au Monténégro, dont vous êtes originaire et bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne.

De toute façon, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 23 septembre 2003, les consorts …-… formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 27 octobre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 11 décembre 2003, les consorts …-… ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 14 août et 27 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo et qu’ils appartiendraient à la minorité ethnique des Bochniaques, que le mari de Mme …, père de M. …, aurait trouvé la mort en 1997 par suite d’un coup électrique, que les demandeurs n’estiment pas être survenu accidentellement, mais qui serait imputable à un groupe d’Albanais, qui l’auraient causé en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, qu’ils auraient dû subir des actes de persécution et de discriminations tant de la part des Serbes que de la part des Albanais et qu’au cours de l’année 2000, un de leurs cousins, âgé de 24 ans, aurait été assassiné par des Albanais. Ils font ajouter que les événements récents démonteraient que les autorités chargées d’assurer le maintien de la sécurité publique ne seraient pas en mesure de les protéger efficacement. Enfin, ils soutiennent ne pas avoir pu trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même à admettre qu’en l’espèce, il appert du récit crédible des demandeurs que leur situation générale en tant que membres de la communauté bochniaque du Kosovo a été difficile, ceci spécialement au regard de leur confrontation à différentes discriminations répréhensibles, du décès, dans des circonstances restant douteuses, de leur mari et père, respectivement du meurtre d’un de leurs cousins, faits dont l’ensemble a pu faire naître dans le chef des demandeurs un sentiment grave d’insécurité au point qu’ils ont pu considérer que leur vie est devenu intolérable à l’intérieur du Kosovo, le tribunal est amené à retenir que les demandeurs ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro où Mme … est née, où réside toujours sa mère de même qu’un de ses frères et une de ses soeurs et où ils reconnaissent avoir pu trouver refuge dans le passé au cours de la guerre du Kosovo (cf. page 5 du rapport d’audition de M. …), étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 26 avril 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17283
Date de la décision : 26/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-26;17283 ?

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