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21/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17265

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2004, 17265


Tribunal administratif Numéro 17265 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2003 Audience publique du 21 avril 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17265 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par Maître André MARMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (Kosovo/

Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Pec, agissant tant en leur nom pers...

Tribunal administratif Numéro 17265 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 décembre 2003 Audience publique du 21 avril 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17265 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par Maître André MARMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Pec, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 14 novembre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries.

Le 4 février 2003, M. … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 24 février 2003, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 novembre 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Rozaje début février 2003 pour venir au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 4 février 2003.

Monsieur, vous n’auriez fait que cinq mois de service militaire en Serbie en 1998.

Vous auriez quitté l’armée pour vous occuper de votre mère malade et parce que votre épouse était albanaise. Vous auriez eu quelques problèmes avec l’UCK à cause de votre service militaire dans l’armée serbe.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti.

Vos ennuis proviennent essentiellement de votre mariage avec une Albanaise de pure souche. Votre belle-famille vous enverrait des menaces de mort et des cousins de votre épouse auraient tiré sur votre maison. Ils vous auraient aussi volé des poules et du bétail.

Vous n’auriez pas osé porter plainte de crainte de représailles.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Le fait d’avoir fait un mariage mixte ne saurait entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Quant aux craintes dont vous faites état, elles ne sauraient constituer un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié. En effet, les problèmes que vous auriez rencontrés avec la famille de votre épouse, n’entrent pas dans le cadre de l’article 1er de la Convention de Genève. Des membres de votre famille ne sauraient constituer des agents de persécutions au sens de la prédite Convention.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques. De même, il est admis que les violences ont diminué au Kosovo et que les forces de l’ONU sont tout à fait capables de fournir une protection aux personnes appartenant à une minorité. Concernant la situation plus précise des Bochniaques, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit à la participation et à la représentation politique, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Enfin, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous était impossible de vous installer dans une autre ville de Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le 10 décembre 2003, les consorts …-… ont introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus prévisée.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, que M. … appartiendrait à la minorité ethnique des « Bochniaques », tandis que Mme … appartiendrait au groupe de population majoritaire des Albanais, que la famille de Mme … aurait été opposée à leur mariage et que deux de ses frères, ainsi qu’un cousin les auraient à plusieurs reprises menacé et même tiré sur leur maison, que la situation générale des minorités du Kosovo resterait instable et dangereuse. Les demandeurs font en outre valoir que M. … aurait été « inquiété » par des membres de l’UCK en raison du fait qu’il aurait fait cinq mois de service militaire dans l’armée serbe.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation au Kosovo, région dont les demandeurs sont originaires, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par les demandeurs relativement au fait d’avoir été inquiété par des membres de l’UCK, sans qu’ils n’aient cependant apporté des précisions concrètes relativement à cet état des choses, d’une part, et les menaces proférées par des membres de la famille de l’épouse, voire les coups de feu que ceux-ci auraient tirés sur leur maison, d’autre part, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent non seulement pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine, mais encore et surtout, il convient de constater que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève et que les demandeurs n’établissent pas à suffisance de droit l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate, les demandeurs reconnaissant ne pas avoir entrepris une quelconque démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. - Il convient de préciser sous ce rapport que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier :

Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos. 73-s).

Par ailleurs, même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté bochniaque du Kosovo de s’y réinstaller au vu du risque subsistant de nouveaux conflits ethniques, les demandeurs ne soumettent toutefois aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, et notamment au Monténégro où ils reconnaissent avoir pu trouver refuge pendant la guerre du Kosovo (cf. page 4 du rapport d’audition de Mme …), étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 21 avril 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17265
Date de la décision : 21/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-21;17265 ?

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