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21/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17080

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 avril 2004, 17080


Tribunal administratif N° 17080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 octobre 2003 Audience publique du 21 avril 2004

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Recours formé par Madame … et son fils Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17080 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2

003 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch...

Tribunal administratif N° 17080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 octobre 2003 Audience publique du 21 avril 2004

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Recours formé par Madame … et son fils Monsieur … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17080 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2003 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, née le … à Zezgrovice/Tutin (Etat de Serbie et Monténégro), et de son fils Monsieur … …, né le … à Ribarice/Tutin, tous deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 avril 2003, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2004 par Maître Pascale HANSEN pour le compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale HANSEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 13 septembre 2000, le ministre de la Justice refusa d’octroyer une autorisation de séjour sollicitée par Monsieur … … en faveur de sa mère, Madame …, au motif qu’elle ne disposerait pas de moyens personnels suffisants et le ministre invita celle-ci à quitter le Grand-Duché de Luxembourg dès réception de la décision, tout en précisant qu’il serait disposé à reconsidérer le dossier dans le cadre du regroupement familial dès que Monsieur … disposerait d’une carte d’identité d’étranger.

Suite à une nouvelle demande d’une autorisation de séjour introduite par Monsieur … en faveur de sa mère, le ministre de la Justice, par décision du 14 avril 2003, refusa la délivrance de l’autorisation de séjour ainsi sollicitée, au motif que Madame … ne remplirait pas les conditions pour bénéficier du regroupement familial en ce qu’elle n’aurait pas été en mesure de prouver « qu’elle n’a pas d’autres enfants ou personnes à sa charge et qu’elle n’a pas d’autres parents dans son pays d’origine qui pourraient la prendre en charge », alors qu’il ressortirait du dossier « qu’elle a encore une fille dans son pays d’origine ». Ladite décision indique en outre que Monsieur … aurait manqué de fournir la preuve qu’il avait régulièrement subvenu aux besoins de sa mère pendant une période d’au moins deux ans avant l’introduction de la demande, ainsi que la copie certifiée conforme du passeport de sa mère.

Par lettre recommandée du 17 juin 2003, les demandeurs firent introduire par leur mandataire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 14 avril 2003, à l’appui duquel ils firent verser différents documents, dont une attestation de l’Assemblée communale de Tutin du 22 janvier 2003 certifiant que Madame … n’a personne à sa charge en Serbie et que personne ne dépend de son aide, une déclaration sur l’honneur du 8 mai 2003 de la fille de Madame …, Madame … …, épouse …, résidant en Serbie, déclarant ne pas pouvoir prendre sa mère en charge, un certificat d’affiliation du 31 janvier 2003 du Centre commun de la sécurité sociale certifiant l’affiliation de Madame … auprès de la Caisse de maladie des ouvriers depuis le 6 octobre 2000, les fiches de salaire relatives au mois de mars 2003 concernant la situation professionnelle de Monsieur … ainsi que celle de son épouse. Ils estimèrent qu’à la lumière de ces documents, le ministre devrait reconsidérer sa décision et octroyer une autorisation de séjour en faveur de la mère sur le fondement du droit au regroupement familial.

Restés sans réponse de la part du ministre de la Justice suite audit recours gracieux, les demandeurs ont introduit, par requête déposée le 23 octobre 2003, un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 avril 2003.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Force est de retenir en premier lieu que bien que le recours contentieux ne soit introduit que contre la seule décision ministérielle explicite de refus du 14 avril 2003, cela ne saurait porter à conséquence, étant donné qu’en cas d’annulation de ladite décision ministérielle, la décision de refus implicite, résultant du silence gardé par le ministre pendant plus de trois mois suite à l’introduction du recours gracieux par les demandeurs suivant lettre du 17 juin 2003, tomberait également, puisque celle-ci tire son existence de la première.

Les demandeurs concluent à l’annulation de la décision attaquée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation. Ils font valoir que les motifs de refus invoqués par le ministre de la Justice à l’appui de sa décision seraient dénués de fondement. Ainsi, Madame … n’aurait pas d’autres enfants ou personnes à sa charge, elle n’aurait personne dans son pays d’origine qui pourrait la prendre en charge et son fils, depuis qu’elle résidait au Luxembourg, aurait régulièrement subvenu à ses besoins. Ils reprochent à titre subsidiaire au ministre de la Justice d’avoir commis un excès, sinon un détournement de pouvoir en refusant de délivrer une autorisation de séjour en faveur de Madame ….

Le délégué du gouvernement rétorque que l’autorisation de séjour aurait été refusée aux motifs que Madame … n’aurait pas de moyens d’existence personnels et que son fils n’aurait pas rapporté la preuve qu’il aurait subvenu financièrement à ses besoins pendant la période de deux ans précédant la demande d’autorisation de séjour. Il fait valoir qu’il n’existerait aucun texte légal qui prévoirait un droit au regroupement familial en faveur de personnes qui ne sont pas originaires de l’Union Européenne. Dès lors, les demandeurs ne sauraient reprocher au ministre de la Justice d’avoir violé la loi au motif que ni la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ni aucune autre disposition légale ou conventionnelle n’instaurerait un droit en faveur des ascendants de rejoindre leur descendants installés au Grand-Duché de Luxembourg. Dans ce contexte, le représentant étatique soulève que Madame … n’aurait jamais été autorisée à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg et que déjà le 13 septembre 2000, le ministre de la Justice l’aurait invitée à quitter le territoire où elle se trouvait en séjour irrégulier. Il fait valoir que l’autorisation de séjour devrait être sollicitée avant toute installation au pays. Enfin, il précise que de toute façon Madame … ne pourrait pas être autorisée à résider au Grand-Duché au motif qu’en date du 5 mai 2003, un arrêté de refus et de séjour aurait été pris dans son chef lui enjoignant de quitter le pays dès notification de l’arrêté, lequel, faute de recours, aurait acquis autorité de chose décidée. Dans ces circonstances, même en cas d’annulation de la décision de refus d’autorisation de séjour, le prédit arrêté subsisterait de sorte que le recours serait dépourvu d’objet.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que le délégué du gouvernement ne saurait invoquer pour la première fois devant le juge administratif le séjour irrégulier de Madame … au Luxembourg pour justifier le refus de l’autorisation de séjour alors que ce refus serait fondé sur d’autres motifs, et ils contestent en outre le fait que Madame … se trouverait en séjour irrégulier au Luxembourg au motif qu’elle serait inscrite auprès de la commune, que Monsieur … aurait subvenu aux besoins de sa mère, et que depuis octobre 2000, il aurait cotisé pour le compte de sa mère à la Caisse de maladie des ouvriers. Ils font encore valoir que le refus de l’autorisation de séjour constituerait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale tel que prévu par la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans son mémoire en duplique, le représentant étatique rétorque que le motif du séjour irrégulier ne serait pas nouveau alors que Madame … aurait déjà été informée par lettre du 13 septembre 2000 qu’elle se trouvait en situation irrégulière, et que le ministre pourrait toujours compléter la motivation de sa décision et ce même pour la première fois devant le juge administratif. Il ajoute que l’inscription de Madame … sur les registres de la commune et son affiliation à une caisse de maladie n’auraient pas d’incidence, seule une autorisation de séjour étant la preuve que la personne en question serait autorisée à séjourner au Grand-Duché de Luxembourg. Enfin, il conteste que le refus du ministre porterait atteinte à la vie familiale des demandeurs et que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme permettrait de choisir le lieu d’implantation géographique de sa famille.

Il convient de prime abord d’examiner le moyen mis en avant par le délégué du gouvernement soutenant que le recours des demandeurs manquerait d’objet en ce qu’une annulation de la décision de refus de l’autorisation de séjour dans le chef de Madame … ne saurait avoir un effet concret en ce qu’elle serait tenue en échec par l’existence de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour pris en date du 5 mai 2003 et devenu définitif en l’absence de recours.

Il se dégage des pièces fournies par le délégué du gouvernement que Madame … a été informée suivant courrier du ministre de la Justice datée du 13 septembre 2000 du refus d’autorisation de séjour avec invitation à quitter le pays dans le délai d’un mois et qu’en date du 2 juin 2003, elle s’est vu notifier un arrêté de refus d’entrée et de séjour pris le 5 mai 2003 lui enjoignant de quitter le territoire dès réception de l’arrêté.

A cet égard, il y a lieu de relever que, pour le cas où les demandeurs obtiendraient gain de cause dans la présente affaire, celle-ci sera renvoyée devant le ministre de la Justice qui devra à nouveau statuer quant à la demande en obtention d’une autorisation de séjour, et si les demandeurs devaient après réexamen par le ministre obtenir l’autorisation de séjour sollicitée, il est évident que l’arrêté de refus d’entrée et de séjour mis en avant par le délégué du gouvernement cesserait de produire ses effets. – Admettre le contraire serait admettre qu’un refus d’entrée et de séjour ne pourrait plus jamais être remis en question moyennant une demande nouvelle.

Au fond, il échet de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). - En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (cf. trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 14, et autres références y citées).

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Il ressort des pièces produites en cause et des informations fournies par les demandeurs - non contredites par le représentant étatique - que Madame … est née le … à Zezgrovice/Tutin en Serbie, que son mari est décédé, que trois enfants sont nés de cette union et que son défunt mari avait quatre enfants issus d’un premier mariage, que des sept enfants, deux habitent en République tchèque, quatre sont régulièrement établis au Luxembourg depuis plusieurs années, et une fille, à savoir Madame … …, épouse …, habite encore en Serbie, laquelle, suivant une déclaration sur l’honneur faite au commissariat de Tutin en date du 8 mai 2003, a déclaré habiter avec son mari souffrant et ses deux enfants scolarisés ainsi que sa belle-mère invalide dans un logement inapte à recevoir encore une personne supplémentaire et que, financièrement, vivant de l’aide sociale, elle ne serait pas en mesure de prendre sa mère en charge, que les autorités communales de Ribarice/Tutin, suivant un certificat émis en date du 22 janvier 2003, certifient que Madame … n’a personne à sa charge et que personne ne dépend matériellement de son aide. Il est encore constant que Madame … habite depuis son arrivée au Luxembourg en 1999 chez son fils … … avec son épouse et ses trois enfants.

S’il est vrai qu’un parent veuf, dont l’âge ne lui permet plus de s’adonner à un travail rémunéré lui permettant de subvenir à ses propres besoins, a le droit d’être pris en charge et le cas échéant d’habiter auprès de l’un de ses descendants, sur base notamment de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’en demeure pas moins que ce droit ne lui permet de s’installer auprès de l’un de ses descendants résidant dans un autre Etat que celui dont il est originaire qu’à partir du moment où, dans son pays d’origine, il n’existe aucun descendant ou proche parent qui soit en mesure de prendre en charge ledit parent en lui fournissant notamment un logement approprié.

En l’espèce, il est vrai que Madame … a une fille, Madame … …, épouse …, qui réside actuellement dans son pays d’origine, à savoir la Serbie, ensemble avec son mari, ses deux enfants ainsi que sa belle-mère. Toutefois, il ressort de la prédite déclaration sur l’honneur faite par la fille en date du 8 mai 2003 qu’elle n’est pas en mesure de prendre sa mère en charge étant donné qu’elle n’a pas les moyens financiers et que le logement qu’elle habite avec sa famille n’offre pas assez de place.

Sur base de ladite déclaration, non autrement contestée quant à son authenticité, il échet de constater que Madame …, bien qu’ayant une fille résidant actuellement dans son pays d’origine, ne peut pas y exercer son droit à une vie privée et familiale telle que réglementée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il s’ensuit qu’elle a valablement pu faire valoir son droit au regroupement familial avec l’un de ses enfants établis au Luxembourg, à savoir en l’espèce son fils … …, afin d’exercer au Luxembourg son droit à une vie privée et familiale, étant donné qu’il existe dans son chef un obstacle majeur rendant impossible le retour dans son pays d’origine. Dans ces conditions, le refus opposé à Madame … de lui délivrer une autorisation de séjour sur base de son droit au regroupement familial avec ses enfants résidant au Luxembourg constitue, au vu des circonstances de l’espèce, une ingérence illégale dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, qui ne saurait par ailleurs être justifiée par l’une des hypothèse visées au paragraphe 2 de l’article 8 précité.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg en faveur de Madame …, le ministre de la Justice a méconnu l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en commettant une erreur manifeste d’appréciation des faits tels qu’il lui ont été soumis et il y a partant lieu d’annuler la décision ministérielle du 14 avril 2003.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle du 14 avril 2003 refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 21 avril 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17080
Date de la décision : 21/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-21;17080 ?

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