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14/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17864

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2004, 17864


Tribunal administratif N° 17864 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 avril 2004 Audience publique du 14 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17864 du rôle et déposée le 7 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité sierra-léonaise, actuellemen

t sans adresse connue, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Just...

Tribunal administratif N° 17864 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 avril 2004 Audience publique du 14 avril 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17864 du rôle et déposée le 7 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité sierra-léonaise, actuellement sans adresse connue, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mars 2004 instituant à son égard une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour la durée d’un mois ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 14 avril 2004.

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale no. 6/874/03/BIR dressé le 22 mars 2004 au sujet de Monsieur … que : « Am 22.04.2003 gegen 07.00 Uhr gelegentlich einer Kontrolle im Foyer « DON BOSCO » auf Limpertsberg wurde obenerwähnte Person angetroffen.

Er hatte kein Gepäck und kein Ausweisdokument bei sich. Er gab an, seine Heimat Sierra Leone versteckt in einem Schiff verlassen zu haben und in Rumänien an Land gegangen zu sein. Von hier sei er dann in einem Auto bis nach Luxemburg gereist ».

Le même jour, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport no 6/874/03/BIR du 22 mars 2004 établi par la Police grand-

ducale, Service de Police Judiciaire ;

Considérant que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par lettre datée du 26 mars 2004, parvenue au secrétariat du ministère de la Justice le 29 mars 2004, Monsieur … fit part de son souhait d’introduire une demande d’asile.

En date du 1er avril 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 avril 2004, lui notifiée le 9 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée et ordonna sa mise en liberté.

Par requête déposée le même jour au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement préindiquée du 22 mars 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après désignée par « la loi du 28 mars 1972 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est en principe compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Etant donné néanmoins que le demandeur a été libéré en date du 9 avril 2004, le recours est devenu sans objet dans la mesure où le demandeur sollicite la réformation de l’arrêté ministériel déféré par le prononcé de sa mise en liberté. Le tribunal reste cependant utilement saisi des moyens de légalité soumis par le demandeur.

Encore que le recours sous examen fut notifié au délégué du Gouvernement par la voie du greffe, l’Etat n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai imparti par le tribunal à travers la fixation de l’affaire pour plaidoiries. Par analogie avec les dispositions de l’article 6 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche en premier lieu au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que l’article 33 de la Convention de Genève, en soutenant que la décision de rétention le priverait à tort de sa liberté, étant donné qu’il ne serait pas à considérer comme étranger en situation irrégulière, mais comme demandeur d’asile ne pouvant faire l’objet d’un éloignement du pays en attendant l’examen de cette demande d’asile.

Il conclut encore au caractère disproportionné de la décision litigieuse en faisant valoir que le Centre pénitentiaire de Schrassig ne serait pas à considérer comme étant un établissement approprié pour le placement d’un étranger faisant l’objet d’une mesure de rétention administrative, étant donné « qu’il partage en fait la partie commune de Schrassig avec les détenus de droit commun ».

Concernant la justification au fond de la mesure de rétention, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant qu’en l’espèce la décision litigieuse n’est pas basée sur une décision d’expulsion et que le dossier tel que soumis en cause ne renseigne pas non plus l’existence d’une décision explicite de refoulement.

Il n’en demeure cependant pas moins qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, de sorte que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 précitée sont remplies et où, par la suite, une mesure de rétention administrative a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Il y a dès lors lieu d’examiner si la décision de refoulement sous-jacente en l’espèce à l’arrêté ministériel litigieux rentre dans les prévisions légales de l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15 de la même loi.

Ledit article 12 dispose que peuvent être éloignés du territoire luxembourgeois sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal, les étrangers non autorisés à résidence :

«1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de (la loi précitée du 28 mars 1972) ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre public ».

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision litigieuse le 22 mars 2004, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Dans la mesure où ces faits ne sont pas contestés en cause, Monsieur … remplissait dès lors en date du 22 mars 2004 les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Même s’il est admis en l’espèce que Monsieur … a manifesté son intention de présenter une demande d’asile par lettre du 26 mars 2004, réceptionnée au ministère de la Justice le 29 mars 2004, il n’est cependant pas moins constant en cause que le demandeur n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises, mais seulement 4 jours après avoir été contrôlé par la police sans être en possession de documents d’identité, de voyage ou de séjour et après avoir été placé pendant 4 jours au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Dans la mesure où l’irrégularité du séjour du demandeur était dès lors patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que ce dernier n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre pouvait valablement ordonner en date du 22 mars 2004 une décision de rétention à l’encontre de la personne concernée afin de mettre ses services en mesure de vérifier l’identité du demandeur et pour assurer le cas échéant le rapatriement de l’intéressé.

Dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir de substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est amené à statuer (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 11 et autres références y citées, page 591).

En ce qui concerne la situation suite au dépôt de la demande d’asile, le placement ne saurait cependant être maintenu que dans la mesure où les conditions de l’article 15, paragraphe (1) précité demeurent données, c’est-à-dire qu’en cas d’existence ou de persistance d’une mesure de refoulement sous-jacente et de l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

En cas de doutes quant à l’origine et à l’identité réelles du demandeur et quant à sa situation personnelle, il peut être admis que les vérifications à effectuer par l’administration nécessitent un certain délai, de sorte que l’impossibilité de procéder à une éventuelle mesure de refoulement peut être présumée persister dans ces circonstances dans les premiers jours suivant l’introduction de la demande d’asile. Il ne saurait cependant en être de même lorsque que l’administration tarde à procéder à l’audition du demandeur d’asile, surtout lorsque celui-ci fait l’objet d’une mesure privative de liberté.

En l’espèce, force est de constater que l’hypothèse ci-avant retenue relativement à la validité de la mesure de refoulement sous-jacente à la décision litigieuse n’est pas utilement énervée par le fait que l’intéressé a manifesté en date du 26 mars 2004 l’intention de solliciter l’asile au Luxembourg et qu’il a formellement introduit une demande afférente au moment de son entretien avec l’agent du ministre de la Justice lors de son entretien en date du 1er avril 2004, étant donné qu’il est constant en cause qu’il n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises dès son arrivée au Luxembourg, mais seulement par la suite, après son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et que sa mise en liberté en date du 9 avril 2004 fut ordonnée dans un délai raisonnable. En effet, dans la mesure où l’irrégularité de son séjour était patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que le demandeur n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre a valablement pu le maintenir en placement afin de permettre à ses services de vérifier son identité et de clarifier notamment la question de la compétence de l’Etat luxembourgeois pour connaître de cette demande d’asile.

Il s’ensuit que le ministre de la Justice ne saurait se voir reprocher en l’espèce de ne pas avoir entrepris des démarches nécessaires afin de clarifier dans les meilleurs délais l’identité et la situation du demandeur, lesdites démarches ayant été entreprises d’après le dossier administratif versé en cause dès le 22 mars 2004 pour aboutir à la libération du demandeur en date du 9 avril 2004, après notification de la décision de refus d’octroi du statut de réfugié.

Partant dans l’attente de la mise en œuvre des formalités préalables à l’examen quant au fond de la demande d’asile introduite par Monsieur …, lesquelles peuvent le cas échéant comporter différentes mesures d’instruction ne valant pas automatiquement reconnaissance de la compétence du Grand-Duché de Luxembourg pour procéder à l’examen de la demande d’asile, le ministre a pu maintenir l’intéressé en placement pendant un laps de temps supplémentaire de huit jours.

Pour le surplus, il est constant que par application de la décision litigieuse, Monsieur … fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par règlement grand-ducal du 20 septembre 2002.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur … fut en situation irrégulière à la date de son placement et qu’il a subi une mesure de rétention administrative sur base de l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, il rentrait directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée par l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte qu’une discussion sur le caractère approprié de ce centre se révèle désormais en principe non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence, en l’espèce éventuelle, de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fut-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Or, le demandeur n’ayant pas fait état d’une quelconque circonstance particulière permettant de conclure au caractère inapproprié du centre par rapport à sa situation spécifique, le moyen afférent laisse encore d’être fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme dans la mesure des moyens de légalité invoqués;

le dit sans objet pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 avril 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17864
Date de la décision : 14/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-14;17864 ?

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