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01/04/2004 | LUXEMBOURG | N°17256

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 avril 2004, 17256


Numéros 17026 et 17256 Tribunal administratif du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 6 octobre et 8 décembre 2003 Audience publique du 1er avril 2004 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 17026 du rôle, déposée le 6 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas BAN

NASCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Numéros 17026 et 17256 Tribunal administratif du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 6 octobre et 8 décembre 2003 Audience publique du 1er avril 2004 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 17026 du rôle, déposée le 6 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicolas BANNASCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 4 mars 1967 à Luxembourg, de nationalité luxembourgeoise, sans état, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision implicite de rejet du ministre de la Justice se dégageant du silence par lui gardé face à son recours gracieux du 12 juin 2003 contre une décision explicite du même ministre du 31 mars 2003 portant refus d’une autorisation de séjour en faveur de son époux, Monsieur …, et subsidiairement à l’annulation, sinon à la réformation de cette décision expresse du ministre de la Justice du 31 mars 2003;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2004;

II. Vu la requête, inscrite sous le numéro 17256 du rôle, déposée le 8 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Réguia AMIALI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, préqualifiée, et de son époux, Monsieur …, coiffeur, né le 23 avril 1971 à Batna (Algérie), de nationalité algérienne, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mars 2003 portant refus d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2004;

I. + II. Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2004 par Maître Réguia AMIALI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en remplacement de Maître Nicolas BANNASCH, pour compte de Madame …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée du 31 mars 2003;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Réguia AMIALI et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2004.

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En date du …, Madame … et Monsieur …, préqualifiés, contractèrent mariage pardevant l’officier de l’état civil de la commune de X..

Une demande non datée de Madame … en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour en faveur de son époux fut rencontrée par une décision du ministre de la Justice du 31 mars 2003 à travers laquelle cette demande fut rejetée aux motifs suivants :

« En réponse à votre demande, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de délivrer une autorisation de séjour à votre époux Monsieur …, alors qu’à l’heure actuelle vous n’êtes pas en possession de moyens d’existence suffisants, tels que prévus à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, pour assurer le séjour d’une personne supplémentaire.

Je serais disposé de réexaminer votre dossier une fois que vous m’aurez fait parvenir la preuve de moyens d’existence suffisants.

Je regrette de ne pouvoir réserver à ce stade d’autres suites à cette affaire ».

Un recours gracieux introduit par courrier du mandataire de Madame … du 12 juin 2003 n’ayant pas été autrement rencontré par le ministre de la Justice, Madame … a fait introduire, par requête déposée le 6 octobre 2003, un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation principalement de la décision implicite de rejet du ministre de la Justice se dégageant du silence par lui observé face à son susdit recours gracieux et subsidiairement de la décision ministérielle expresse de refus du 31 mars 2003.

Par requête déposée le 8 décembre 2003, Madame … et Monsieur … ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle expresse du 31 mars 2003.

Dans la mesure où les deux recours sont dirigés contre la même décision de refus d’une autorisation de séjour et où ils portent sur une même situation de fait, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre en vue d’y statuer par un seul et même jugement.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours au fond en la matière, l’existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi en ce qu’il entend déférer au tribunal à la fois la décision ministérielle expresse du 31 mars 2003 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formulé par Madame ….

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que leur enfant commun serait né quelques mois après leur mariage, que Madame … serait encore la mère de quatre enfants nés d’un précédent mariage et scolarisés au Luxembourg dont elle assurerait l’éducation et que la présence de Monsieur … contribuerait à équilibrer le tissu familial tant à l’égard de leur enfant commun qu’à l’égard des quatre enfants de Madame …. Ils font valoir que Madame … serait locataire d’une maison unifamiliale en vertu d’un contrat de bail à durée indéterminée, qu’elle disposerait de revenus réguliers provenant du revenu minimum garanti et d’un « solde bancaire largement positif », tandis que Monsieur … pourrait se prévaloir d’un diplôme et d’une solide expérience pour la profession de coiffeur, de manière qu’il « n’éprouvera … aucune difficulté pour trouver un emploi rémunéré à Luxembourg » et qu’il devrait ainsi être considéré comme disposant de moyens d’existence personnels.

Les demandeurs arguent encore que la décision ministérielle du 31 mars 2003 méconnaîtrait les termes de l’article 4 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays, lequel offrirait au demandeur d’une autorisation de séjour l’alternative de justifier de la possibilité d’acquérir de manière légale des moyens d’existence suffisants au lieu de devoir établir l’existence de moyens d’existence suffisants déjà au moment de sa demande. Dans la mesure où les ministre de la Justice et du Travail et de l’Emploi auraient admis dans le cadre de la réponse à la question parlementaire n° 2247 du 3 juillet 2003 qu’un ressortissant d’un Etat tiers marié à un citoyen luxembourgeois serait en principe dispensé du permis de travail pour accéder au marché du travail luxembourgeois, Monsieur … pourrait ainsi accéder librement au marché du travail en bénéficiant d’une dispense d’un permis de travail et facilement trouver un emploi dans le métier de coiffeur, de sorte à suffire aux exigences de l’article 4 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972, précité.

Les demandeurs font valoir que Madame … aurait rempli dans le cadre de sa demande en cause un formulaire intitulé « Autorisation de séjour provisoire pour conjoint étranger » émis par le ministère de la Justice, service des strangers, lequel préciserait qu’après différents contrôles sur la situation du couple concerné et notamment sur l’existence d’une réelle communauté de vie, une autorisation de séjour d’une validité d’un an renouvelable serait octroyée, mais que le ministre leur aurait directement adressé la décision déférée du 31 mars 2003 sans respecter la procédure par lui instaurée relativement aux contrôles à effectuer avant l’octroi d’une autorisation de séjour.

Ils s’emparent finalement de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en abrégé « CEDH », pour affirmer que les décisions déférées ne respecteraient pas le juste équilibre entre l’intérêt public de la protection de l’ordre public et du bien-être du pays et leur droit au respect de leur vie privée et familiale en ce sens que le séjour de Monsieur … porterait moins atteinte à l’économie nationale que le refus de son séjour porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Le délégué du gouvernement rétorque que les demandeurs resteraient en défaut d’apporter la moindre preuve, notamment par la production d’un contrat de travail, quant à la réalité de moyens d’existence suffisants à disposition de Monsieur … et que Madame … ne serait pas en mesure d’exercer une occupation salariée, vu qu’elle aurait été sur le point d’accoucher au moment de l’introduction du recours et qu’elle devrait s’occuper de ses enfants nés d’un précédent mariage.

Relativement au moyen des demandeurs fondé sur l’article 4 du règlement grand-

ducal prévisé du 28 mars 1972, le délégué du gouvernement soutient qu’il ne suffirait pas d’être en possession d’un diplôme pour établir des moyens d’existence personnels suffisants, mais que cette preuve pourrait seulement être faite à travers la production d’un contrat de travail ou d’une autorisation d’établissement en tant qu’indépendant, preuve que les demandeurs seraient restés en défaut de soumettre tant au ministre qu’au tribunal.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 8 CEDH, le représentant étatique fait valoir que les demandeurs ne se seraient mariés qu’au mois de janvier 2003 sans avoir préalablement sollicité une autorisation de séjour en vue de l’établissement du couple au Luxembourg, de manière que l’argument que la demanderesse ne pourrait pas s’établir avec son époux en Algérie en raison de la situation politique et de la situation sociale des femmes ne saurait obliger le ministre à délivrer une autorisation de séjour, étant donné que ledit article 8 ne conférerait pas un libre choix quant à l’implantation géographique de la vie familiale.

Le délégué du gouvernement souligne encore que le ministre ne serait pas opposé au principe de la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur …, mais se bornerait à exiger la disposition de moyens d’existence personnels dans le chef d’un des époux.

Les demandeurs font répliquer qu’ils bénéficieraient d’un revenu minimum garanti tel que prévu par la législation afférente, lequel devrait être considéré comme moyens personnels suffisants, et que le ministre aurait méconnu l’article 4 du règlement grand-ducal prévisé du 28 mars 1972 en n’admettant pas la possibilité de la preuve de l’existence de moyens d’existence suffisants par la production d’un diplôme. Quant à l’application de l’article 8 CEDH, les demandeurs rappellent que Madame … et ses cinq enfants sont de nationalité luxembourgeoise, que la notion de vie familiale au sens dudit article 8 devrait englober leur cohabitation ensemble avec leur enfant commun et que leur installation en Algérie pour y mener une vie normale serait exclue, de manière que le refus d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur … devrait être considéré comme ingérence étatique ne répondant pas au critère de proportionnalité au vu des intérêts en cause. Ils affirment finalement que les décisions déférées ne respectaient pas non plus l’article 9 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant posant le principe de non-séparation des enfants et de leurs parents contre leur gré.

Le délégué du gouvernement réitère en termes de duplique son interprétation de l’article 4 du règlement grand-ducal prévisé du 28 mars 1972 et son constat que les demandeurs seraient restés en défaut de produire les éléments requis pour se conformer au dit article 4.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2, précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers.

S’il est vrai que l’article 4 du règlement grand-ducal prévisé du 28 mars 1972 admet, dans le cadre de la demande de carte d’identité d’étranger à soumettre en cas de séjour supérieur à trois mois, à travers son alinéa 3 n° 2, en tant qu’élément de preuve à déposer, outre la justification de moyens d’existence personnels suffisants, également « la possibilité de les acquérir de manière légale », il n’est pas satisfait à cette dernière voie de preuve par le simple renvoi à un diplôme, mais la personne en cause doit établir la possibilité concrète de se procurer des moyens d’existence suffisants à travers la perspective concrète de l’exercice d’une activité salariée ou indépendante.

En l’espèce, même en admettant que Monsieur … soit dispensé, en sa qualité de conjoint d’une ressortissante luxembourgeoise, de l’obtention d’un permis de travail afin de pouvoir légalement exercer une activité salariée au Grand-Duché, force est néanmoins de constater qu’il reste en défaut de soumettre le diplôme qui lui permettrait de travailler comme coiffeur qualifié tout comme il n’a fourni aucun élément concret quant à un poste de travail qui serait à sa disposition ou à une quelconque démarche en vue de trouver un emploi.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en faveur de Monsieur … en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans son chef.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs tiré de la violation de l’article 8 CEDH, dans la mesure où ils estiment qu’il y aurait violation de leur droit au maintien de leur vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972, précitée, en échec.

L’article 8 CEDH dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

A cet effet, il y a lieu de relever que l’application de l’article 8 présente deux aspects différents selon qu’il a pour objet une demande d’admission sous le couvert d’un projet de regroupement familial ou la rupture de liens qui se sont formés ou consolidés sur le territoire de l’Etat.

En principe, en matière d’immigration, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît le droit au regroupement familial s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le couple entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par des couples mariés, de leur domicile commun et d’accepter l’installation de conjoints non nationaux dans le pays (CEDH, 28 mai 1985, ABDULAZIS, CABALES et BALKANDALI ; CEDH, 19 février 1996, GÜL ; CEDH, 28 novembre 1996, AHMUT). Il se dégage encore de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’analyse qui en a été faite que l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faut « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition » (cf. Bull.dr.h. n° 1998, p.161).

Ainsi, s’il est vrai que l’article 8 CEDH tend pour l’essentiel à prémunir les individus contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans leur vie privée et familiale et qu’il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale, néanmoins, dans la matière sous examen, l’étendue de l’obligation pour un Etat d’admettre sur son territoire la famille d’un immigré dépend de la situation concrète des personnes en cause.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre les demandeurs antérieurement à l’immigration de Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg.

En ce qui concerne la possibilité de l’existence d’une vie familiale entre les demandeurs au cours du séjour de Monsieur … au Luxembourg, il échet de constater que les demandeurs se sont mariés au Luxembourg le 24 janvier 2003, qu’ils ont un enfant commun et qu’ils vivent ensemble dans un même logement. Force est ainsi de conclure que les demandeurs entendent exercer les droits et devoirs découlant de leur mariage, à savoir notamment habiter ensemble, à savoir en l’espèce, dans le pays dont l’un des conjoints est ressortissant et qu’ils peuvent partant se prévaloir d’une vie familiale et privée au sens de l’article 8 paragraphe 1 CEDH.

Quant à l’application de l’article 8 paragraphe 2 CEDH, il échet de rappeler que, s’il est certes vrai que l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour est prévue comme motif de refus de l’autorisation de séjour par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 et que le défaut d’existence de moyens personnels suffisants dans le chef d’un étranger candidat au séjour peut en principe être retenu à la base d’une mesure nécessaire au bien-être économique du pays au sens de la disposition internationale prévisée, en refusant à l’étranger ne bénéficiant pas de tels moyens l’autorisation de séjour sollicitée, l’autorité nationale est cependant tenue de ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendent la réglementation de l’immigration et celles non moins importantes relatives à la protection de la vie familiale (trib. adm. 31 mai 2001, n° 12433, confirmé par Cour adm. 18 octobre 2001, n° 13636C, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 133).

En l’espèce, force est de constater que la nécessité à la base de cette ingérence de la part de l’autorité publique laisse d’être établie à suffisance, de sorte que les décisions déférées ne répondent pas au critère de proportionnalité à appliquer en la matière. En effet, même si au moment de la prise des décisions sous analyse, Madame … bénéficiait exclusivement du revenu minimum garanti alloué par le Fonds national de solidarité et si Monsieur … n’était pas en mesure d’établir l’existence d’une source de revenus dans son chef, force est d’admettre qu’il serait difficile pour Madame … de s’installer en Algérie avec ses quatre enfants issus d’un premier mariage, abstraction même faite de l’incidence d’un tel déplacement sur les relations desdits enfants avec leur père.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’ingérence dans la vie familiale et privée des demandeurs opérée à travers les décisions déférées n’est pas justifiée à suffisance de droit au regard de l’ensemble des intérêts en cause, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 CEDH.

Le recours est dès lors fondé et les décisions ministérielles expresse du 31 mars 2003 et implicite de rejet du recours gracieux des demandeurs encourent l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués en cause.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 1.000 EUR, telle que formulée par les demandeurs, est cependant à rejeter, les conditions légales afférentes ne se trouvant pas réunies en l’espèce.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, joint les deux recours inscrits sous les numéros 17026 et 17256 du rôle, se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçoit le recours principal en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule les décisions expresse du 31 mars 2003 et implicite de rejet du recours gracieux du 12 juin 2003 du ministre de la Justice et renvoie l’affaire devant le dit ministre en prosécution de cause, rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 1er avril 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17256
Date de la décision : 01/04/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-04-01;17256 ?

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