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31/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17282

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2004, 17282


Tribunal administratif N° 17282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17282 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro) de nationalit

é serbo/monténégrine, demeurant à L- … , tendant à la réformation d’une décision du minist...

Tribunal administratif N° 17282 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17282 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro) de nationalité serbo/monténégrine, demeurant à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 août 2003, notifiée le 27 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 28 octobre 2003, notifiée le 11 novembre 2003, prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH dans sa plaidoirie à l’audience publique du 29 mars 2004.

Le 6 février 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 28 février 2003, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 18 août 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié en date du 26 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée au motif que des doutes existeraient quant au fait qu’il aurait dernièrement vécu au Kosovo, que le fait qu’il aurait eu une bagarre en avril 2002 avec des Albanais ne serait pas d’une gravité telle à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que les motifs par lui invoqués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Le ministre a relevé en outre qu’il ne serait pas établi que les forces onusiennes auraient été dans l’incapacité de fournir une protection à Monsieur … et que par ailleurs une persécution systématique de minorités ethniques au Kosovo serait à exclure. Le ministre a signalé finalement qu’il ne ressortirait pas du dossier que Monsieur … aurait été dans l’impossibilité de s’installer ailleurs qu’au Kosovo et notamment en Serbie où il aurait de la famille et où il serait lui-même immatriculé, voire au Monténégro.

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 26 septembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma le 28 octobre 2003 sa décision initiale du 18 août 2003.

Le 11 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions prévisées des 18 août et 28 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il appartiendrait à l’ethnie goranaise et qu’il serait originaire du Kosovo. Il relève que suite à des altercations qu’il aurait eu avec des Albanais, il aurait dû se cacher durant des mois dans sa maison par crainte pour sa vie tout en faisant valoir que les forces de la KFOR seraient dans l’impossibilité d’assurer aux habitants une sécurité suffisante, étant donné que la situation se dégraderait au Kosovo. Quant à la possibilité de fuite interne lui opposée par le ministre, le demandeur fait valoir qu’il ne saurait subsister ni en Serbie ni au Monténégro étant donné que les réfugiés n’y disposeraient pas de moyens de subsistance et n’y trouveraient pas de travail, surtout s’ils étaient reconnus comme étant des Goranais de par leur langue quelque peu différente du serbo-croate. Estimant ainsi que son appartenance ethnique le rendrait extrêmement vulnérable aussi bien dans la province du Kosovo que dans le reste de son pays d’origine, le demandeur conclut à la réformation des décisions litigieuses.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 28 février 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité goranaise du Kosovo, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupements d’Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les faits allégués par le demandeur relativement à des agressions et des menaces qu’il aurait dû subir, à les supposer vrais, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause qu’une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant un rapport datant de janvier 2003 de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002, la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef (cf. trib. adm. 25 septembre 2003, n°16090 du rôle).

D’autre part, les actes concrets de persécution de la part de groupements d’Albanais invoqués par le demandeur s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. S’y ajoute que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos 73-s).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur reste en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Cette conclusion ne saurait être énervée par l’émergence récente de nouveaux conflits ethniques dans la ville de Mitrovica non directement pertinente pour évaluation de la situation personnelle du demandeur, étant entendu que celui-ci reste en tout état de cause en défaut d’établir des raisons autres que purement économiques pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie dans son pays d’origine, envisagé sans restriction territoriale par la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17282
Date de la décision : 31/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-31;17282 ?

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