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31/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17257

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2004, 17257


Tribunal administratif N° 17257 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17257 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2003 par Maître André MARMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténé

gro) de nationalité serbo/monténégrine, ainsi que de son épouse Madame …, née le … , agissant ...

Tribunal administratif N° 17257 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 décembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17257 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2003 par Maître André MARMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro) de nationalité serbo/monténégrine, ainsi que de son épouse Madame …, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs .., né le … , …, né le … , …, née le … , demeurant actuellement tous ensemble à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Gilbert REUTER, en remplacement de Maître André MARMANN, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 mars 2004.

Le 4 février 2003, les époux … et …, accompagnés de leurs deux enfants mineurs … et … , introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 24 février 2003, les époux …-… furent entendu par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 novembre 2003, notifiée par courrier recommandé expédié en date du 20 novembre 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été refusée au motif que la seule appartenance à une minorité ethnique serait insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève et que leurs dires traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution, étant entendu que les problèmes par eux relatés qu’ils auraient rencontrés avec des Albanais seraient insuffisants pour fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus que les Albanais ne seraient pas à considérer comme des agents de persécution au sens de ladite Convention.

Quant aux activités politiques de Monsieur …, le ministre a relevé qu’il n’aurait été que simple membre du parti politique SDA et qu’il n’aurait partant pas été dans une position particulièrement exposée. Il a signalé en outre que la situation au Kosovo aurait évolué dans le sens d’une amélioration et que les Bochniaques n’y devraient plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Le ministre a relevé enfin qu’il résulterait du dossier qu’il aurait été possible aux demandeurs de s’installer dans une autre ville dans l’Etat de Serbie et Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne, étant donné qu’ils auraient vécu sans problèmes à Rozaje auprès d’un membre de leur famille.

Par requête déposée le 9 décembre 2003 les consorts … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 14 novembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont d’origine bochniaque, que Monsieur … n’aurait pas accompli son service militaire, qu’il serait membre du parti politique SDA, que suite à son adhésion à ce parti il aurait été agressé à diverses reprises par la police locale et qu’on lui aurait volé deux voitures et une vache.

Ils font valoir que contrairement à ce qui leur est opposé par le ministre, la situation des minorités au Kosovo serait toujours délicate et leur sécurité ne serait nullement garantie, de même qu’il n’existerait pas de possibilité de fuite interne, de sorte que tout retour au pays les exposerait à une crainte raisonnable de persécution susceptible de leur rendre la vie intolérable. Les demandeurs concluent ainsi que rien ne s’opposerait à l’obtention du statut de réfugié dans leur chef, ceci d’autant plus qu’ils seraient bien intégrés au Grand-

Duché.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions le 24 février 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation des demandeurs en tant que membres de la minorité « bochniaque » du Kosovo, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupements d’Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les faits allégués par les demandeurs relativement à des agressions qu’ils auraient dû subir, à les supposer vrais, constituent certainement des pratiques condamnables, mais, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur seraient intolérable dans leur pays d’origine.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause qu’une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant un rapport datant de janvier 2003 de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des « Bochniaques » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence»), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002, la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « Bochniaques » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à ladite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef (cf. trib. adm. 25 septembre 2003, n°16090 du rôle).

D’autre part, les actes concrets de persécution de la part de groupements d’Albanais invoqués par le demandeur s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. S’y ajoute que, s’agissant d’actes émanant de certains groupements de la population, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113 nos 73-s).

Si les demandeurs tendent en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans leur pays d’origine, ils n’ont soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que les demandeurs restent en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de leur assurer une protection adéquate.

Il y a encore lieu de préciser que les risques allégués par les demandeurs se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, notamment à Rozaje, où ils ont séjourné suite à leur départ du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Il résulte des développements qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17257
Date de la décision : 31/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-31;17257 ?

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