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31/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17128

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2004, 17128


Numéro 17128 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17128 du rôle, déposée le 3 novembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bérane (Monténégro, E...

Numéro 17128 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17128 du rôle, déposée le 3 novembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bérane (Monténégro, Etat de Serbie-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Podgorica (Monténégro), tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003 portant rejet de leur demande d’asile comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, constituée en remplacement de Maître Ender ULCUN, pour compte des époux …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 mars 2004.

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Le 23 décembre 2002, Monsieur … … et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux … furent entendus séparément en date du 14 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice les informa par décision du 23 septembre 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 30 septembre 2003, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Podgorica le 1er décembre 2002 pour aller d’abord à Sarajevo. Vous avez poursuivi votre voyage jusqu’à Luxembourg. Vous donnez pas de précisions quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 23 décembre 2003.

Monsieur, vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire parce que l’armée serait composée de trop d’orthodoxes. De plus, vous auriez eu besoin de votre salaire, au noir, pour faire vivre votre famille. Vous n’auriez donc pas répondu à l’appel, la police militaire serait passée chez vous avant votre départ et vous craindriez maintenant des poursuites pour insoumission.

Vous auriez été membre du parti Union Libérale mais vous auriez quitté le parti il y a plus de deux ans, ce qui ne vous aurait causé aucune difficulté.

Votre départ du Monténégro serait motivé par votre insoumission et aussi par des motifs économiques.

Vous Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous ajoutez qu’il n’y aurait pas de travail au Monténégro. Vous évoquez aussi votre appartenance à la minorité Bochniaque.

Vous n’auriez été, personnellement, membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, amis aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

La crainte de peines du chef d’insoumission ne saurait entraîner l’obtention du statut de réfugié, ceci d’autant plus que l’accomplissement du service militaire en Serbie-Monténégro n’implique pas la participation à des opérations que la conscience pourrait valablement réprouver.

Il résulte de vos dires que vous n’avez fait l’objet ni de persécutions caractérisées ni de mauvais traitements, mais que vous éprouvez plutôt un sentiment d’insécurité.

De plus, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro. La nouvelle Constitution a été élaborée en février 2003, des élections démocratiques ont eu lieu le 25 février 2003 et le nouveau Président a été élu par le Parlement le 7 mars 2003. Enfin, soulignons l’adhésion de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe le 3 avril 2003 et sa signature de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. A ce jour, le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Eu égard aux développements qui précèdent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont donc refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 3 novembre 2003, les époux … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de cette décision ministérielle du 23 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que Monsieur …, de confession musulmane, aurait refusé d’accomplir son service militaire, au motif que « la quasi-totalité de l’armée est composée d’ultra-nationalistes serbes de confession orthodoxe » et que dès lors il aurait risqué d’être persécuté et maltraité durant son service militaire à l’instar d’autres musulmans ayant déjà subi le même sort. Ils ajoutent que la police militaire serait à la recherche de Monsieur … suite à son insoumission.

Ils exposent encore que Monsieur … aurait été membre du parti indépendant « Union Libérale », mais qu’il aurait été contraint de quitter ce parti par crainte de représailles de la part des Serbes orthodoxes. Ils soutiennent que Madame … serait particulièrement menacée du fait de son appartenance à la minorité musulmane bochniaque. Ils estiment qu’il faudrait sérieusement douter que les changements au niveau politique aient des répercussions immédiates et bénéfiques sur leurs conditions de vie et qu’ils ne pourraient plus compter sur une protection adéquate de la part des autorités de leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Les demandeurs font répliquer que Monsieur … serait passible des tribunaux militaires du fait de son insoumission et qu’il encourrait des peines de prison disproportionnées par rapport à la gravité du refus d’être enrôlé dans l’armée. Ils ajoutent que l’agent de persécution invoqué par Monsieur … ne seraient pas les Serbes orthodoxes mais la police militaire, de manière que la persécution par lui invoquée proviendrait de l’Etat et non pas de groupes de la population. Ils reprochent au ministre de la ne pas avoir tenu compte, pour apprécier la crainte de persécution invoquée par Madame …, de la circonstance qu’elle a vécu en tant que membre d’une minorité ethnique dans un milieu à domination orthodoxe. Ils exposent encore que l’exposé du délégué du gouvernement quant à la situation actuelle dans leur pays d’origine « n’ébranle en rien la peur des parties requérantes qui se souviennent trop bien de l’arbitraire et de l’injustice ethnique qui a toujours régné dans leur pays ».

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission de Monsieur …, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la désertion ou l’insoumission ne constituent pas, en elles-mêmes, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement, Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore que la condamnation qu’il risque éventuellement d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Les allégations des demandeurs relativement à leur crainte en raison de leur appartenance à la communauté musulmane se révèlent en substance générales et vagues et elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, de sorte qu’elles sont à considérer comme insuffisantes pour établir un état de persécution dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en République de Serbie et Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des discriminations notamment à l’égard des musulmans. En effet, lors de leurs auditions respectives, les demandeurs ont déclaré qu’ils n’auraient pas subi de persécutions, que Monsieur … aurait essentiellement peur du tribunal militaire et que Madame … n’aurait « peur de personne là-bas, mais … peur de vivre là-bas ». Le récit des demandeurs traduit partant essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 31 mars 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17128
Date de la décision : 31/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-31;17128 ?

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