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31/03/2004 | LUXEMBOURG | N°16968

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2004, 16968


Tribunal administratif N° 16968 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par Mademoiselle …, Maroc contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16968 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2003 par Maître Danièle MARTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Pol STEINHAUSER, avocat, au nom de Mademoiselle

…, de nationalité marocaine, demeurant à … (Maroc), tendant à l’annulation d’une dé...

Tribunal administratif N° 16968 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2003 Audience publique du 31 mars 2004 Recours formé par Mademoiselle …, Maroc contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16968 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2003 par Maître Danièle MARTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Pol STEINHAUSER, avocat, au nom de Mademoiselle …, de nationalité marocaine, demeurant à … (Maroc), tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 juin 2003, par laquelle l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg lui ont été refusés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2003 ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Danièle MARTIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2004.

Par une décision du 16 juin 2003, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Mademoiselle …. La décision adressée à Monsieur … , le beau-père de Mademoiselle …, est libellée de la façon suivante :

« Monsieur, Comme suite à votre demande du 12 mai 2003, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour en faveur de votre belle-fille, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

L’intéressée étant majeure, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, à la possession de moyens personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée.» Le 12 septembre 2003, Mademoiselle … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle de refus du 16 juin 2003.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Mademoiselle …, étudiante dans un lycée à Agadir au Maroc, fait valoir qu’elle veut venir rejoindre sa mère, Madame … , de nationalité marocaine qui habite actuellement au Luxembourg depuis son mariage en date du 22 avril 2000 avec Monsieur, de nationalité luxembourgeoise. Elle ajoute que Monsieur … se serait porté garant par une déclaration de prise en charge de subvenir à ses besoins, étant donné que malgré le fait qu’elle est majeure, elle serait toujours étudiante et ne pourrait par conséquent pas subvenir personnellement à ses besoins. Elle explique que l’intérêt de son séjour ne résiderait pas dans la recherche d’une éventuelle occupation professionnelle au Luxembourg, mais qu’elle voudrait simplement vivre auprès de sa mère et continuer ses études secondaires. Elle estime que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, qui dispose que l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger en l’absence de moyens personnels suffisants, ne devrait pas s’appliquer dans son cas d’espèce parce que l’intérêt du législateur n’aurait sûrement pas été celui de priver une jeune fille de toute relation avec sa mère. Elle ajoute que la décision prise violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle serait purement et simplement privée de son droit au respect de sa vie familiale, à l’exception de simples contacts téléphoniques avec sa mère et qu’une interprétation à l’extrême de la décision litigieuse la forcerait de cesser ses études et de trouver un emploi au Luxembourg pour pouvoir assumer son séjour. Elle conclut que cette privation ne serait certainement pas dans l’intention du législateur luxembourgeois qui serait plutôt favorable d’une part à son développement social et psychique et d’autre part à son développement intellectuel et culturel.

Le délégué du Gouvernement fait valoir qu’étant donné que la demanderesse est en aveu qu’elle ne dispose pas de moyens personnels suffisants, ce serait à bon droit que l’autorisation de séjour lui a été refusée à ce titre. En ce qui concerne la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il souligne que cet argument aurait été pertinent si la mère de l’enfant avait demandé, dès son établissement au Grand-Duché de Luxembourg, la possibilité de se faire rejoindre par sa fille qui à l’époque était encore mineure. Dans la mesure où cette demande aurait seulement été introduite trois ans après le mariage de la mère avec un citoyen luxembourgeois, on ne saurait affirmer que le ministre aurait mis fin à une vie familiale commune ou aurait empêché une vie familiale commune puisque depuis trois ans la mère et la fille auraient été séparées et que la mère n’aurait jamais fait la moindre démarche pour se faire rejoindre par sa fille qui entre-temps a atteint sa majorité.

La décision litigieuse est fondée sur le défaut de moyens d’existence personnels dans le chef de Mademoiselle …, de sorte qu’il appartient au tribunal d’analyser si ce motif a pu en l’espèce servir de fondement à la décision déférée.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : …qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront dès lors être refusés lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, sous Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées, p. 149).

En l’espèce, force est de constater que Mademoiselle … est en aveu qu’elle ne dispose pas de moyens personnels suffisants vu notamment le fait qu’elle est encore étudiante, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a pu invoquer l’absence de moyens personnels suffisants pour motiver légalement la décision litigieuse.

Il y a cependant lieu d’examiner encore le moyen de la demanderesse fondé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état la demanderesse pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est, le cas échéant, de nature à tenir en échec la législation nationale.

Madame … vit au Luxembourg, depuis son mariage avec Monsieur …, de nationalité luxembourgeoise, mariage ayant eu lieu le 22 septembre 2000 au Maroc.

Madame … a été divorcé au Maroc par un jugement du 23 mars 1987 et ce même jugement lui a confié la garde de sa fille Mademoiselle …, née le 23 janvier 1985. Il résulte d’un rapport de police dressé le 19 Septembre 2001 par la Police grand-ducale que : « Es sei anschliessend noch darauf hingewiesen, dass … ein Kind aus einer vorherigen Beziehung hat, welches in Marokko zur Schule geht. Sie zieht in Erwägung dieses Kind zu einem späteren Zeitpunkt nach Luxemburg nachkommen zu lassen“.

Monsieur … demande le 12 mai 2003 l’autorisation de séjour pour sa belle-fille au Luxembourg.

Dans la mesure où il est établi que Madame … n’avait pas l’intention de se faire rejoindre par sa fille, à l’époque âgée de 15 ans seulement, au moment de sa propre installation au Luxembourg au courant de l’année 2000 et que depuis cette date jusqu’au moment de l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour presque trois années se sont écoulées pendant lesquelles la mère et la fille étaient séparées, on ne saurait raisonnablement soutenir qu’une vie familiale effective ait continué d’exister entre Madame … et sa fille. A cela s’ajoute que Madame … reste en défaut de faire état d’une quelconque explication relativement au fait qu’à l’époque au moment de son mariage, elle n’a pas pu s’installer au Maroc avec son mari afin de rester auprès de sa fille, d’autant plus que selon ses propres dires sa fille était obligée de vivre seul au Maroc, étant donné que son père vivant dans une autre ville, ne se serait pas occupé d’elle.

Le seul fait de virer de l’argent au Maroc et d’avoir entrepris des démarches, pendant les années 2001 à 2003, pour l’obtention d’un visa de tourisme pour Mademoiselle …, restées cependant infructueuses, ne sauraient suffire pour dégager l’existence de relations familiales effectives. Au contraire ces éléments sont de nature à mettre en évidence la séparation continue pendant une durée de presque trois ans entre la mère et la fille. S’y ajoute que Mademoiselle … a poursuivi toute sa scolarité au Maroc et qu’elle est actuellement inscrite pour l’année universitaire 2003-2004 à l’« Institut supérieur d’informatique appliquée et de management » à Agadir.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que la demanderesse ne tombe pas sous le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en l’absence de persistance de l’existence d’une vie familiale entre elle-même et sa mère, et que son moyen doit être rejeté pour manquer de fondement.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16968
Date de la décision : 31/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-31;16968 ?

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