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31/03/2004 | LUXEMBOURG | N°15341

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2004, 15341


Tribunal administratif N° 15341 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2002 Audience publique du 31 mars 2004

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Recours formé par l’association momentanée T.

et consorts contre une décision du ministre des Travaux publics en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Revu la requête déposée le 10 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Gerry OSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Po

l URBANY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de l’associatio...

Tribunal administratif N° 15341 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 septembre 2002 Audience publique du 31 mars 2004

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Recours formé par l’association momentanée T.

et consorts contre une décision du ministre des Travaux publics en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Revu la requête déposée le 10 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Gerry OSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de l’association momentanée T., établie à L-…, représentée par son mandataire, la société anonyme T. SA, établie à la même adresse, sinon de tous ses associés, c’est-à-dire la société anonyme T. SA, préqualifiée, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, Monsieur M.., entrepreneur, demeurant à D-…, la société de droit allemand K. GmbH, établie et ayant son siège à D-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, ainsi que la société de droit allemand G. GmbH, établie et ayant son siège social à D-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Travaux publics du 6 juin 2002 portant a) résiliation, aux torts de l’association momentanée préindiquée, du marché relatif aux travaux de parements en pierres naturelles dans l’intérêt de la construction du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean à Luxembourg-

Kirchberg et b) exclusion, pour une durée de six mois, de l’association momentanée préindiquée ainsi que de ses membres pris individuellement, de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché, ainsi que 2) de « toutes autres décisions ou avis, antérieurs, concomitants ou postérieurs, connus ou inconnus, exprès ou implicites qui seraient directement ou indirectement liés à l’affaire et au préjudice causé à l’association momentanée T. et à ses membres » ;

Vu le jugement du 26 juin 2003 par lequel le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, ainsi que pour connaître du recours en annulation en ce qu’il vise le premier volet de la décision du ministre des Travaux publics du 6 juin 2002 ayant trait à la résiliation du marché public litigieux, s’est déclaré compétent pour connaître du recours en annulation en ce qu’il vise le second volet de l’arrêté 1 ministériel du 6 juin 2002 relatif à l’exclusion de l’association momentanée T. et de ses membres de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée de six mois, le déclarant cependant irrecevable en ce qu’il est dirigé « contre toutes autres décisions ou avis, antérieurs, concomitants ou postérieurs, connus ou inconnus, exprès ou implicites qui seraient directement ou indirectement liés à l’affaire et au préjudice causé à l’association momentanée T. et à ses membres » et en ce qu’il émane de l’association momentanée T., recevant le recours en annulation pour le surplus en la forme et, au fond, avant tout autre progrès en cause, soumettant à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle y émargée ;

Vu l’arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 19/2004 du 30 janvier 2004, n° 00019 du registre ;

Revu les pièces versées et notamment la décision critiquée du 6 juin 2002 ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maîtres Gerry OSCH et Pol URBANY pour les parties demanderesses, ainsi que Maître Patrick KINSCH pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en leurs plaidoiries respectives.

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Le 13 octobre 1999, une première soumission publique fut ouverte relativement aux travaux de parements en pierre naturelle à exécuter dans l’intérêt du musée d’Art moderne Grand-Duc Jean à Luxembourg-Kirchberg.

Sur avis de la commission des soumissions daté du 21 février 2000, pris en sa séance du 16 février 2000, la susdite soumission publique fut annulée par décision du ministre des Travaux publics en date du 17 mai 2000 sur base de l’article 31 (2) a) du règlement grand-

ducal modifié du 2 janvier 1989 portant 1° institution d’un cahier général des charges applicables aux marchés publics de travaux et de fournitures pour compte de l’Etat, 2° fixation des attributions et du mode de fonctionnement de la Commission des Soumissions.

Suite à l’annulation de cette première soumission publique, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg entama une nouvelle procédure d’adjudication publique des travaux de parements en pierres naturelles préindiqués.

Sur proposition du directeur de l’administration des Bâtiments publics du 27 février 2001 et sur avis unanime de la commission des soumissions instituée près le ministère des Travaux publics du 12 avril 2001, les travaux en question furent adjugés par arrêté de la ministre des Travaux publics du 15 novembre 2001 à l’association momentanée T..

Sur avis de la commission des soumissions des 24 avril et 5 juin 2002, proposant la résiliation du marché et recommandant l’exclusion de l’association momentanée des marchés de l’Etat, le ministre des Travaux publics, par arrêté du 6 juin 2002, résilia le marché aux torts de l’association momentanée T. et l’exclut, ainsi que ses membres pris individuellement, pour une durée de six mois de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat.

Par requête déposée le 10 septembre 2002 l’association momentanée T., préqualifiée, ainsi que ses associés, la société anonyme T. SA, Monsieur M.., la société de droit allemand K. GmbH, et la société de droit allemand G. GmbH, ont introduit un recours en réformation, 2 sinon en annulation contre 1) la décision du ministre des Travaux publics précitée du 6 juin 2002 portant résiliation, aux torts de l’association momentanée, du marché relatif aux travaux de parements en pierres naturelles dans l’intérêt de la construction du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean à Luxembourg-Kirchberg et exclusion, pour une durée de six mois, des intéressés de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché, ainsi que 2) « contre toutes autres décisions ou avis, antérieurs, concomitants ou postérieurs, connus ou inconnus, exprès ou implicites qui seraient directement ou indirectement liés à l’affaire et au préjudice causé à l’association momentanée T. et à ses membres ».

Par jugement du 26 juin 2003, le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, ainsi que pour connaître du recours en annulation en ce qu’il vise le premier volet de la décision du ministre des Travaux publics du 6 juin 2002 ayant trait à la résiliation du marché public litigieux, mais s’est déclaré compétent pour connaître du recours en annulation en ce qu’il vise le second volet de l’arrêté ministériel du 6 juin 2002 relatif à l’exclusion de l’association momentanée T. et de ses membres de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée de six mois ; a déclaré le recours irrecevable en ce qu’il est dirigé « contre toutes autres décisions ou avis, antérieurs, concomitants ou postérieurs, connus ou inconnus, exprès ou implicites qui seraient directement ou indirectement liés à l’affaire et au préjudice causé à l’association momentanée T. et à ses membres » et en ce qu’il émane de l’association momentanée T. ; pour le surplus, a reçu le recours en annulation en la forme et, au fond, appelé entre autres à examiner un moyen d’annulation soulevé par les demandeurs tiré de ce que la décision ministérielle d’exclusion serait anticonstitutionnelle en ce qu’elle reposerait sur une disposition (l’article 43, alinéa 3 du règlement grand-ducal précité du 2 janvier 1989) violant l’article 14 de la Constitution qu’il a jugé préalable par rapport aux autres moyens d’annulation invoqués à l’encontre de ladite décision d’exclusion, a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour Constitutionnelle ait statué à titre préjudiciel sur la question suivante :

« Est-ce que l’article 14 de la Constitution, consacrant le principe de la légalité, tant au regard de l’existence que de celui du taux de sévérité des peines, s’applique aussi aux sanctions prévues par l’article 36, 5° de la loi précitée du 27 juillet 1936 ? » ;

et, en cas de réponse affirmative, sur la question additionnelle :

« Est-ce que l’article 36, 5° de la loi précitée du 27 juillet 1936 est conforme à l’article 14 de la Constitution en ce qu’il édicte une sanction sans prévoir de durée maximum ? ».

Dans son arrêt n° 19/2004 du 30 janvier 2004 la Cour Constitutionnelle a décidé que l’article 36, 5° de la loi précitée du 27 juillet 1936, pour autant qu’il vise l’exclusion de la participation aux marchés publics n’est pas conforme à l’article 14 de la Constitution.

La Cour Constitutionnelle arriva à cette conclusion sur base des considérations suivantes :

« Considérant que l’article 14 de la Constitution énonce que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi » ;

Considérant que l’article 36, 5° de la loi modifiée du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l’Etat dispose que « Les cahiers des charges peuvent avoir des clauses 3 pénales adaptées à la nature et à l’importance des marchés. Ces clauses peuvent comprendre des amendes et des astreintes, la résiliation du marché ainsi que l’exclusion à temps de la participation aux marchés publics. Au même titre des primes d’achèvement des travaux avant terme peuvent être prévues. » Considérant que les clauses pénales sont des accords sur des indemnisations forfaitaires en cas d’inexécution d’obligations principales ; qu’exprimées sous forme d’astreinte ou d’amende conventionnelle, elles sont de nature purement civile et ne constituent pas des peines au sens de l’article 14 de la Constitution ;

Considérant que la résiliation du marché n’est pas une pénalité en soi mais une décision de rupture des liens contractuels entre parties ;

Considérant par contre que l’exclusion même à temps de la participation aux marchés publics n’est pas un mode de réparation du préjudice subi par l’inobservation des conditions du cahier des charges mais une peine au sens de l’article 14 de la Constitution qui est dès lors quant à cette mesure applicable à l’article 36, 5° de la loi précitée ;

Considérant qu’une telle peine ne peut faire l’objet d’un engagement contractuel mais doit être établie par la loi ;

Qu’il s’ensuit que l’article 36, 5° de la loi modifiée du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l’Etat prévoyant, par le biais de cahiers des charges, l’exclusion de la participation aux marchés publics est à déclarer non-conforme à l’article 14 de la Constitution sans qu’il ne soit besoin de répondre à la question additionnelle ».

Aux termes de l’article 15 alinéa 2 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle « la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toutes les autres juridictions appelées à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour la solution du litige dont elles sont saisies, de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour ».

Ainsi, bien que la sanction prononcée à l’encontre de l’association momentanée T. et de ses membres ne repose pas sur un engagement contractuel, mais sur une disposition réglementaire, en l’occurrence l’article 43, alinéa 3 du règlement grand-ducal précité du 2 janvier 1989 portant entre autres institution d’un cahier général des charges applicables aux marchés publics de travaux et de fournitures pour compte de l’Etat, il ne se dégage pas moins du dispositif clair de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle que l’article 36, 5° de la loi précitée du 27 juillet 1936 en ce qu’il vise l’exclusion de la participation aux marchés publics n’est pas conforme à l’article 14 de la Constitution.

Par conséquent, en application des articles 15 alinéa 2 de la loi précitée du 27 juillet 1997 et 95 de la Constitution, ensemble la considération que l’article 43, alinéa 3 du règlement grand-ducal précité du 2 janvier 1989 trouve sa seule base légale dans ledit article 36, 5° de la loi précitée du 27 juillet 1936, le tribunal ne saurait faire application de ces deux dispositions.

Or, l’arrêté ministériel du 6 juin 2002 relatif à l’exclusion de l’association momentanée T. et de ses membres de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée de six mois trouvant sa seule base légale dans 4 lesdites dispositions légale et réglementaire, il s'ensuit qu'il est dépourvu de base légale et doit encourir l'annulation.

L’arrêté litigieux dans la mesure prétracée encourant l’annulation en vertu du susdit moyen formulé par les demandeurs, l’examen des autres moyens soulevés par eux devient surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

vidant le jugement du 26 juin 2003 ;

annule l’arrêté du ministre des Travaux publics du 6 juin 2002 dans la mesure où il porte exclusion de l’association momentanée T. et de ses membres de la participation aux marchés publics initiés par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée de six mois ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 31 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15341
Date de la décision : 31/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-31;15341 ?

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