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29/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17788

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2004, 17788


Tribunal administratif N° 17788 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2004 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17786 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias Benn BARRIE, alias Moses BAWAH, de nationalité libérienne, ayant été d

étenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schra...

Tribunal administratif N° 17788 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2004 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17786 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias Benn BARRIE, alias Moses BAWAH, de nationalité libérienne, ayant été détenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Justice du 27 février 2004 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2004 par le délégué du Gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mars 2004.

Le 26 février 2004, le dénommé … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il s’avéra, lors de la saisine des empreintes digitales, que Monsieur … avait déjà déposé une demande d’asile en Autriche en date du 10 octobre 2003.

Par arrêté datant du 27 février 2004, le ministre de la Justice a ordonné le placement de Monsieur …, dans l’attente de son éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification aux motifs suivants :

« Vu le rapport n° 15/608/04/HA du 27 février 2004 établi par le Service de Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 27 février 2004 ;

-

qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en Autriche en date du 11 octobre 2003 ;

-

qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités autrichiennes dans les meilleurs délais ;

-

qu’en attendant l’accord de reprise un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Les autorités autrichiennes, par téléfax daté du 9 mars 2004 et notifié le 10 mars 2004, acceptèrent la prise en charge sollicitée et informèrent le ministre que le dénommé Mohammed … était encore connu sous les noms de … et de ….

Le ministre de la Justice, par une décision d’incompétence prise le 10 mars 2004, a retenu qu’en vertu des dispositions des articles 16, paragraphe 1, c) et 13 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ce n’est pas le Grand-Duché de Luxembourg qui est responsable du traitement de cette demande d’asile, mais la République d’Autriche.

Le 18 mars 2004, le ministre de la Justice prit encore un arrêté de refus d’entrée et de séjour sur le territoire Luxembourgeois à l’encontre de Monsieur ….

Par requête déposée le 19 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de rétention prévisée du 27 février 2004.

En date du 24 mars 2004, Monsieur … fut transféré en Autriche.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 8 mars 2004.

Ledit recours, non autrement contesté sous ce rapport, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable, mais ce uniquement dans la mesure des moyens de légalité invoqués, le tribunal ne pouvant plus utilement procéder à la réformation de la décision litigieuse, étant donné qu’à l’heure actuelle l’intéressé n’est plus retenu administrativement.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement à son encontre ne seraient pas remplies. Il conteste à cet égard le fait que les autorités luxembourgeoises se soient trouvées devant une impossibilité de le refouler, alors que non seulement elles connaissaient l’Etat responsable de sa prise en charge, mais encore que les autorités suédoises se seraient déclarées disposées à le reprendre.

Il conteste encore l’existence d’une nécessité absolue justifiant la prorogation de la première mesure de placement ordonnée à son encontre. Il conclut au caractère inapproprié du lieu de placement en raison notamment du fait que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière partagerait « la partie commune de Schrassig avec les détenus de droit commun ».

Le délégué du Gouvernement conclut au bien-fondé de la décision litigieuse et justifie la mesure de placement par la nécessité d’organiser le transfert de Monsieur … par la voie aérienne vers l’Autriche, organisation qui exigerait un minimum de temps, notamment au vu des nombreux transferts à organiser par le service compétent.

Le représentant étatique fait encore valoir en termes de plaidoiries qu’un étranger ayant présenté une demande d’asile dans un pays tiers, pays qu’il aurait par la suite illégalement quitté pour entrer sans autorisation sur le territoire luxembourgeois, serait à considérer comme se trouvant en situation irrégulière, de sorte que son placement au Centre de séjour provisoire sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée serait justifié. Il renvoie à ce sujet à l’article 16, alinéa 1er, c) du règlement CE 343/2003 précité, qui impose la reprise d’un demandeur d’asile dont la demande est en cours d’examen et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre Etat.

Quant au caractère inapproprié du placement, il relève que le demandeur n’a pas été placé au Centre pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui serait distinct du Centre pénitentiaire.

Il est constant en cause que suite à la demande d’asile introduite le 26 février 2004 par Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg, le ministre de la Justice a sollicité en date du 3 mars 2004, par application du mécanisme de répartition de la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile institué par le règlement CE 343/2003 précité, sa reprise en charge auprès des autorités suédoises. Il est également constant que les autorités autrichiennes ont accepté la reprise en charge le 10 mars 2004. Il est encore établi que Monsieur … a fait l’objet d’une décision d’incompétence prise par le ministre de la Justice le 10 mars 2004, et que le transfert vers l’Autriche a eu lieu le 24 mars 2004.

Il y a lieu de relever d’abord qu’en dépit du fait que Monsieur … a fait l’objet d’une décision d’incompétence de la part du ministre de la Justice luxembourgeois, il revêt toujours le statut de demandeur d’asile, étant donné que d’après la définition même de la Convention de Dublin, reprise par l’article 2, d) du règlement CE n° 343/2003 précité, on entend par demandeur d’asile « tout étranger ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement », étant entendu que le fait générateur de ce statut est le fait de l’introduction d’une nouvelle demande d’asile au Luxembourg.

En effet, les dispositions du règlement n° 343/2003, tout comme celles de la Convention de Dublin, ne visent pas le droit d’asile au fond, mais n’ont pour objectif que de régler la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile (Jurisclasseur, Etrangers, V° Accords de Schengen, Fasc. 500, n° 74).

Il s’ensuit qu’une décision d’incompétence se situe à un stade préalable à l’examen proprement dit d’une demande d’asile tel que défini par l’article 2, e) du règlement CE n° 343/2003 et doit rester sans incidence sur le statut du réfugié, ainsi que les attributs du demandeur d’asile, qui restent régis par le droit national des Etats membres et par le droit international.

Les attributs du demandeur d’asile ne sauraient dès lors - ne serait-ce que temporairement en attendant la prise en charge effective du demandeur par les autorités responsables du traitement de sa demande - être mis en échec par la seule existence d’une décision d’incompétence (cf TA 22.3.2004, n° 17735 non encore publié).

Cette conclusion n’est pas énervée par les moyens développés oralement par le représentant étatique, étant donné qu’il y a lieu de distinguer, d’un côté, le cas d’une personne qui a déposé une demande d’asile dans un pays tiers et qui s’est rendue irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois sans pour autant y déposer une nouvelle demande et, d’un autre côté, le cas d’une personne qui dans les mêmes conditions a déposé une nouvelle demande d’asile au Luxembourg. En effet, si par rapport au premier cas de figure le tribunal s’accorde avec le délégué du Gouvernement pour dire que la personne concernée, qui n’est pas demandeur d’asile au Luxembourg, peut s’y voir opposer l’irrégularité de son séjour tout en étant susceptible de faire l’objet d’une reprise sur base de l’article 16, alinéa 1er, c) du règlement CE 343/2003 précité, la même conclusion ne saurait être utilement retenue dans l’hypothèse où la personne concernée, par le fait d’avoir déposé une nouvelle demande d’asile au Luxembourg, a recouvert, ne serait-ce que temporairement en attendant son transfert effectif, le statut de demandeur d’asile.

Il s’y ajoute que le placement d’une personne au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig par application de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée comporte une restriction à la liberté, de sorte que concernant le cas spécifique d’un demandeur d’asile en attente de son transfert vers un autre Etat membre responsable de l’examen de sa demande, une mesure de rétention doit être examinée quant à sa compatibilité avec l’article 5 paragraphe 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans le contexte sous examen, ce n’est en effet que l’hypothèse énoncée à l’article 5, paragraphe 1, f) de la Convention européenne des droits de l’homme visant le cas de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, qui est susceptible de justifier une privation de liberté (cf TA 22.3.2004, n° 17735 non encore publié).

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner en l’espèce si Monsieur …, en tant que demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision d’incompétence et devant être transféré par application du règlement CE n° 343/2003 vers un autre Etat membre responsable de l’examen de sa demande, rentrait dans les prévisions légales de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, énoncées comme suit :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Il y a lieu de constater liminairement que l’hypothèse spécifique de l’exécution d’une mesure de transfert d’un demandeur d’asile vers un autre pays responsable de l’examen de sa demande, par application notamment du règlement CE 343/2003 précité, n’est pas envisagée en tant que telle par l’article 15 (1). A cela s’ajoute qu’une telle mesure de transfert n’est pas non plus susceptible d’être assimilée à une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, étant donné qu’elle s’inscrit dans un cadre juridique distinct.

Il s’ensuit qu’un demandeur d’asile candidat à un transfert par application du règlement CE 343/2003 ne peut être placé dans un établissement approprié par application de l’article 15 (1) précité que dans la seule hypothèse où au-delà et parallèlement à l’existence d’une décision d’incompétence à la base du transfert projeté, il rentre également dans les prévisions spécifiques dudit article 15 (1) précité.

En effet, il découle du libellé de l’article 15 (1) précité qu’une décision de rétention administrative présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure, étant entendu qu’une mesure de refoulement peut, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, être prise sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence.

Etant donné que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une mesure d’expulsion visée par l’article 9, il y a dès lors lieu d’examiner si, de par sa situation spécifique, Monsieur … était susceptible d’être éloigné du territoire sur base d’une mesure de refoulement visée par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui énonce cinq catégories d’étrangers non autorisés à résidence susceptibles d’entrer en ligne de compte à cet égard, en l’occurrence ceux « 1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi [en question] ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre public. » Dans la mesure où la protection reconnue par la loi aux demandeurs d’asile et les conditions d’accueil leur garanties reposent sur la prémisse que les personnes concernées prétendant au bénéfice d’une protection internationale ne sont en règle générale pas en possession de papiers de légitimation et de moyens de subsistance, un demandeur d’asile, dûment enregistré au Luxembourg, n’est susceptible d’être éloigné du territoire par application de l’article 12 précité que de manière limitée et, par essence, ne saurait se voir opposer comme motif d’éloignement d’être dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (cf. TA 4.2.2004, n° 17412, TA 25.2.2004, n° 17616, TA 10.3.2004, n° 17682, TA 22.3.2004, n° 17735 non encore publiés).

En effet, les dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 font obstacle à ce que ces documents puissent être exigés des personnes qui, demandant à entrer sur le territoire luxembourgeois, peuvent prétendre à la qualité de réfugié (voir en ce sens : CE français, 27.8.1985, Association France terre d’asile, Rec. CE p.263 ; Dictionnaire permanent – Droit des étrangers, T. I, V° Demandeur d’asile, n° 5, p.576).

Bien au contraire, les stipulations de la Convention de Genève impliquent nécessairement que l’étranger qui sollicite la qualité de réfugié soit autorisé en principe à demeurer - sous réserve d’un éventuel transfert - provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande (Jurisclasseur, Etrangers, V° Contentieux de la reconduite à la frontière, Fasc. 5400, n° 111), étant entendu qu’une décision d’incompétence prise sur base du règlement CE 343/2003 précité se situe à un stade préalable à l’examen proprement dit d’une demande d’asile et que par voie de conséquence le droit de demeurer au pays doit s’étendre jusqu’à l’épuisement effectif de la procédure de détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile, concrétisé par la remise effective de l’intéressé aux autorités compétentes de cet Etat.

De même il ne saurait être reproché à un demandeur d’asile de ne pas disposer de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ou encore de se trouver en état de vagabondage, sous peine de méconnaissance du principe même de la protection internationale lui accordée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que parmi les 5 catégories d’étrangers non autorisés à résidence énoncées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, seules les catégories sub. 3. et 5. sont susceptibles d’être utilement retenues pour justifier le cas échéant une mesure de refoulement d’un demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision d’incompétence, sous réserve de la compatibilité par ailleurs de cette mesure avec la protection généralement accordée aux demandeurs d’asile contre un refoulement vers leur pays d’origine ou un autre pays où leur vie serait en danger.

Faute pour le demandeur de rentrer en l’espèce dans les prévisions spécifiques de l’article 12, point 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, il reste dès lors à examiner si le cas du demandeur correspond à l’hypothèse sub. 3. dudit article visant les étrangers non autorisés à résidence auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la même loi de 1972.

Ledit article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, au-delà d’énoncer la possibilité de refus et l’entrée et le séjour à des étrangers dépourvus de papiers de légitimations prescrits et de visa si celui-ci est requis, voire de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, - motifs non susceptibles d’être utilement opposés à un demandeur d’asile pour les raisons énoncées ci-avant -, énonce également le motif de la susceptibilité de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, lequel peut le cas échéant être utilement opposé à un demandeur d’asile.

Contrairement à un recours en annulation dans lequel la juridiction administrative est appelée à apprécier la décision dévolue par rapport aux circonstances de droit et de fait telles qu’elles existaient au moment où la décision a été prise, dans le cadre d’un recours en réformation, tel que prévu par l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972, la juridiction est amenée à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où elle statue, en tenant compte le cas échéant de changements intervenus depuis la décision de l’autorité administrative lui déférée.

Force est de constater en l’espèce que Monsieur … a fait l’objet d’un refus d’entrée et de séjour daté du 18 mars 2004, motivé en conformité avec l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée motivé notamment par la susceptibilité du demandeur de compromettre la sécurité et l’ordre publics, de sorte que les conditions légales d’une décision de refoulement sur base de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée sont remplies en l’espèce.

Etant donné qu’une décision de refoulement est censée être prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée sont vérifiées, ce qui est le cas en l’espèce, il reste à vérifier si les autres conditions imposées par l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 à une mesure de placement sont respectées.

Une mesure de rétention administrative est soumise aux conditions découlant directement de l’article 15 prévisé qui dispose dans son paragraphe (1) comme suit :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Quant à la prorogation d’une telle mesure de placement, le paragraphe 2 du même article 15 prévoit que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue être reconduite par le Ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Il appartient par conséquent au tribunal d’analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable (trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées). Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15735 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 276 et autres références y citées).

Force est de constater que l’arrêté ministériel déféré indique en l’espèce expressément en tant que motif l’impossibilité matérielle de procéder à l’éloignement de Monsieur …, le représentant étatique exposant par ailleurs que le transfert n’aurait pas été immédiatement réalisable au vu du nombre « impressionnant » de transferts à organiser par le service compétent.

Il est constant en cause que suite à la demande d’asile introduite par Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg le 27 février 2004, le ministre de la Justice a sollicité dès le 3 mars 2004, soit deux jours ouvrables plus tard, sa reprise en charge auprès des autorités autrichiennes, et que l’Autriche a accepté la reprise en charge par courrier daté du 9 mars 2004, mais parvenu aux autorités luxembourgeoises le 10 mars 2004. Dès le lendemain de la notification de cette information, à savoir le 11 mars 2004, le ministère de la Justice s’est adressé au service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, en vue d’organiser le transfert de Monsieur …, l’organisation de ce transfert par avion ayant été finalisée le 18 mars 2004.

Il s’ensuit que non seulement l’organisation du transfert de Monsieur … a démarré quasiment immédiatement après réception de l’accord des autorités autrichiennes, mais encore que le transfert a été organisé en un bref délai, notamment au vu de la charge de travail du service responsable, de sorte que le motif avancé par le ministre à la base de son arrêté de placement est vérifié en fait.

Le motif relatif aux délais inhérents à l’organisation matérielle du transfert rencontre par ailleurs à suffisance de droit la condition de « nécessité absolue » exigée par l’article 15 paragraphe (1) précité.

L’argument avancé par le demandeur selon lequel les autorités luxembourgeoises ne pourraient plus invoquer l’impossibilité d’un refoulement une fois que le pays responsable de la reprise en charge serait connu et aurait donné son accord ne saurait par ailleurs être retenu, l’exécution d’une mesure de refoulement nécessitant, outre l’identification et l’accord de l’Etat responsable, le respect de la procédure de transfert prévue par respectivement le règlement CE 343/2003 précité et le droit national de l’Etat requérant ainsi que l’accomplissement de mesures nécessaires à l’organisation matérielle du transfert.

Le demandeur estime encore que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée, l’esprit de la loi du 28 mars 1972, ainsi que les travaux parlementaires étant à interpréter dans le sens que le pouvoir exécutif devrait mettre en place une structure spécifique et appropriée pour accueillir les personnes retenues dans l’attente de leur éloignement du pays.

Il est constant que le demandeur était placé au Centre de séjour provisoire dans la partie destinée exclusivement aux étrangers en situation irrégulière.

Concernant le caractère approprié du lieu de placement ainsi retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le Gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 précitée, un Centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit Centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Or, à défaut pour le demandeur d’avoir rapporté un quelconque élément tangible permettant de conclure au caractère inapproprié dudit Centre de séjour par rapport à son cas spécifique, le moyen tenant au caractère inapproprié du lieu de placement retenu en l’espèce laisse d’être fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme dans la limite des moyens de légalité invoqués ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17788
Date de la décision : 29/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-29;17788 ?

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