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29/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17286

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2004, 17286


Tribunal administratif N° 17286 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17286 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, de nationalité arménienne et de citoyenneté russe, né le … à Vanadzor (Arménie), d...

Tribunal administratif N° 17286 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17286 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité arménienne et de citoyenneté russe, né le … à Vanadzor (Arménie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 28 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 28 octobre 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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En date du 22 mai 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En dates respectives des 7, 24 juin et 24 juillet 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 28 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous exposez que vous auriez fait votre service militaire à Kharkhov et à Magdebourg de 1985 à 1987.

Vous exposez que vos ennuis en Arménie proviendraient de l’appartenance de votre épouse à la religion musulmane et à ses origines tartares. Vous auriez alors quitté l’Arménie pour la Fédération de Russie, où vous auriez été résident en 1993. Vous auriez obtenu la citoyenneté russe en 2000.

A Krasnodar / Russie, vos ennuis auraient été causés par vos origines arméniennes.

Vous auriez travaillé comme chauffeur de direction dans une entreprise de construction et de gestion d’immeubles.

Vous dites avoir été agressé, en 2001, par vos collègues de travail qui espéraient prendre votre place. Vous auriez alors porté plainte, sans succès. Par la suite vous auriez encore été agressé par des membres du RNE. Vous auriez une nouvelle fois porté plainte.

Le 15 janvier 2002, vous dites que votre femme aurait été agressée aussi.

Vous précisez encore que les autorités locales de la région de Krasnodar auraient suggéré à toute personne n’ayant pas la citoyenneté russe de quitter la région.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends d’abord attentif au fait qu’un groupe de jeunes gens, même membres du RNE, ni, a fortiori vos collègues de travail, ne sauraient constituer des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de votre récit que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate aussi que vous reconnaissez vous-même que les problèmes de discrimination raciale que vous invoquez sont limités à la région de Krasnodar. De plus, vous ajoutez que le président POUTINE aurait critiqué la politique du Gouverneur de Krasnodar à ce sujet. En effet, le Parquet Général de la Fédération de Russie poursuit actuellement systématiquement toute incitation à la haine raciale, j’en conclu que vos problèmes étaient limités à la région de Krasnodar et que vous auriez pu vous établir dans une autre région pour bénéficier d’une possibilité de fuite interne, d’autant plus que vous possédez la citoyenneté russe.

Je constate que d’après l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, article qui prévoit que : « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible. » Une demande qui peut être déclarée manifestement infondée sur base de l’article 4 précité peut également être déclarée non fondée sur base de l’article 11 de la même loi.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 26 septembre 2003 à l’encontre de cette décision, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par lettre du 28 octobre 2003, notifiée le 17 novembre 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 20 août et 28 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire d’Arménie et marié avec une femme d’origine tatare et de religion musulmane, qu’il aurait dû quitter l’Arménie en 1993 en raison des origines de cette dernière pour s’installer dans la région de Krasnodar en Russie, que par la suite il aurait été la victime de deux agressions émanant de collègues de travail qui lui auraient demandé de retourner chez lui et de laisser tomber son emploi de chauffeur au sein d’une entreprise de travaux publics et d’agressions émanant de militants du parti du R.N.E. Il précise à ce sujet qu’il aurait été agressé physiquement plusieurs fois notamment au mois d’août 2001, et que sa femme aurait été violée en sa présence au courant du mois d’avril 2002. Il insiste encore sur le fait que les plaintes qu’il aurait adressées à plusieurs reprises aux autorités compétentes n’auraient « jamais été examinées ».

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même à admettre le récit du demandeur, non conforté par un quelconque élément de preuve tangible, relativement aux menaces, insultes et agressions dont il aurait été la victime, de même que son épouse, pareil état des choses ne saurait justifier une persécution au sens de la Convention de Genève, mais constitue un acte de criminalité de droit commun, insuffisant pour établir à lui seul un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il convient encore de relever que les articles de presse produits par le demandeur à l’appui de sa version des faits ne le visent pas personnellement et ne sont partant pas de nature à étayer les faits à la base de sa crainte de persécution.

Il convient de rappeler dans ce contexte qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant d’un ou de plusieurs membres de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la ou les victimes ne bénéficient pas de la protection des autorités étatiques. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place aient toléré les prétendues exactions mises en avant par lui ou qu’elles n’aient pas été ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Fédération de Russie, étant entendu qu’il n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à la région de Krasnodar et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, la Convention de Genève visant le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45, p. 187 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est néanmoins jugée contradictoirement à son égard, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 29 mars 2004 par le vice-président en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17286
Date de la décision : 29/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-29;17286 ?

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