La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17246

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2004, 17246


Tribunal administratif N° 17246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

______________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame … ……, née...

Tribunal administratif N° 17246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

______________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame … ……, née le … (Kosovo), ainsi que de leur enfant mineur, … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2003, notifiée le 29 août 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 28 octobre 2003, leur notifiée le 14 novembre 2003, suite à un recours gracieux du 28 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2004.

______________________________________________________________________________

Le 15 avril 2003, la famille … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur et Madame … furent entendus par un agent de la police grand-

ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 30 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, tandis que Madame …… fut à son tour auditionnée le 20 mai 2003.

Par décision du 20 août 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame … de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 28 septembre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 28 octobre 2003.

Le 8 décembre 2003, Monsieur et Madame … ont fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils auraient fait l’objet au Kosovo de persécutions diverses du fait de leur appartenance à la minorité bochniaque.

Monsieur … fait plaider à ce sujet qu’il aurait été considéré par les Albanais du Kosovo comme un traître, étant donné que son frère aurait travaillé comme policier avec les Serbes avant et pendant le conflit du Kosovo.

Il relève encore que les Albanais auraient, pour ce même motif, tué sa tante et son oncle, et que lui-même et sa famille seraient continuellement en leur qualité de Bochniaques harcelés et menacés par les Albanais.

Les demandeurs contestent encore l’appréciation de ces faits retenue par le ministre de la Justice et contestent en particulier le refus du ministre de considérer les Albanais comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifie à elle seule l’octroi du statut de réfugié.

Il constate encore que les affirmations des demandeurs ne seraient corroborées par aucun élément probant, et que, à supposer ces allégations établies, les persécutions n’émaneraient pas d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement relève également que les demandeurs n’auraient apporté aucune preuve qu’ils risqueraient actuellement, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires du fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou politique.

Il expose par ailleurs que la situation en ex-Yougoslavie se serait améliorée, notamment du fait de son adhésion au Conseil de l’Europe et de sa ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Enfin, il reproche aux demandeurs de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

Les demandeurs contestent l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement, et renvoient aux récents troubles ayant éclaté entre Albanais et Serbes.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet du rapport d’audition que Monsieur … a principalement fait l’objet d’insultes et de reproches verbaux de la part de voisins albanais, sans cependant avoir été agressé physiquement. S’il mentionne encore des jets de pierre contre sa maison (« les Albanais jettent des pierres et cassent des tuiles »), Madame …, son épouse depuis le début de l’année 2001, indique pour sa part n’avoir personnellement subi aucune persécution (« personnellement à moi il m’est rien arrivé »), et n’a connaissance d’aucune agression précise dont sa famille aurait été victime.

Bien au contraire, Madame … indique que leurs voisins ne les auraient pas persécutés (« Ils nous ont rien fait, mais c’est la peur » ).

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par les demandeurs que si ceux-ci vivent certes dans un état généralisé de peur, ils n’ont, à tout le moins depuis 2001, pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour leur personne Concernant la crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions. En plus comme il s’agit de persécutions émanant de tiers et non pas de l’Etat, il appartient aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée datant de janvier 2003 du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse. En effet il est relevé que : « The general security situation of Kosovo Bosniaks remained stable with no incidents of serious violence. However, Bosniaks have been taken to the police station for questioning after speaking their language in public … Their situation in Peje /Pec and Prizren region, where the vast majority of Bosniaks reside, remains calm. » 1 Cette conclusion n’est pas énervée par les moyens développés oralement par le mandataire des demandeurs et relatifs à la flambée de violence qu’a connu tout récemment le Kosovo, cette violence, trouvant apparemment son origine dans un incident isolé, opposant les Albanais aux Serbes, sans avoir a priori d’incidences directes sur la minorité bochniaque, ne constitue pas une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que ces troubles ne constituent pas un danger direct pour la personne et la situation spécifique des demandeurs. Il y a par ailleurs lieu de relever dans ce contexte qu’un refus de reconnaissance du statut de réfugié n’implique pas nécessairement et automatiquement l’éloignement des demandeurs du territoire luxembourgeois et leur retour au Kosovo.

1 UNHCR, Update on the situation of Roma, Ashkaelia, Egyptian, Bosniak and Gorani in Kosovo, UNHCR Kosovo January 2003, p. 5.

A cela s’ajoute que les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition de Monsieur … que celui-ci n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection à l’encontre des Albanais.

Il convient de relever en outre que les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils n’auraient pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo, en particulier au vu des déclarations de Madame … selon lesquelles ses parents, qui habiteraient à quelques kilomètres de Prizren, ne connaîtraient pas de problèmes avec les Albanais, voire en Serbie ou au Monténégro, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17246
Date de la décision : 29/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-29;17246 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award