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29/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17187

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2004, 17187


Tribunal administratif N° 17187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17187 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2003 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric HIRTZBERGER, tous deux inscrit

s au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), ...

Tribunal administratif N° 17187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2003 Audience publique du 29 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17187 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2003 par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric HIRTZBERGER, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 28 octobre 2003, lui notifiée le 29 octobre 2003, suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Patrick WEINACHT au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Cédric HIRTZBERGER, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2004.

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Le 6 janvier 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 12 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 août 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 15 octobre 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 28 octobre 2003.

Le 21 novembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait fait l’objet au Kosovo de persécutions diverses du fait de son appartenance à la minorité bochniaque et de son adhésion au parti politique SDA.

Monsieur … fait plaider à ce sujet que lui-même et sa famille seraient devenus une cible pour les sympathisants de la cause pro-albanaise et indique qu’il aurait reçu des menaces de mort, tandis que son jeune frère aurait été passé à tabac par des Albanais.

Le demandeur fait encore valoir que la situation politique au Kosovo serait caractérisée par une grave instabilité et insécurité, les autorités en place étant incapables d’assurer sa sécurité et sa dignité.

Il conteste encore l’appréciation des faits retenue par le ministre de la Justice et en particulier le refus du ministre de considérer les Albanais comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifie à elle seule l’octroi du statut de réfugié.

Il constate encore que les persécutions alléguées par le demandeur n’émaneraient pas d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement relève également que le demandeur n’aurait apporté aucune preuve qu’il risquerait actuellement, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires du fait de son appartenance ethnique, religieuse ou politique.

Il expose par ailleurs que la situation en ex-Yougoslavie se serait améliorée, notamment du fait de son adhésion au Conseil de l’Europe et de sa ratification de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

Le demandeur conteste l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement, et renvoie aux récents troubles ayant éclaté entre Albanais et Serbes.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans sa chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de sa appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet du rapport d’audition que Monsieur … n’a pas fait l’objet de persécutions du fait de ses opinions politiques ; il expose d’ailleurs à ce sujet n’avoir été qu’un simple adhérant au parti SDA et n’avoir connu de ce fait aucun problème : « je n’ai pas eu de problèmes à cause de mon adhésion puisque c’est un parti fondé légalement au Kosovo défendant les intérêts des bosniaques ».

Ce n’est par ailleurs que vaguement que le demandeur fait état de persécutions matérialisées principalement par des attaques verbales et des insultes ; s’il prétend avoir fait l’objet d’un attentat à la bombe, il reste néanmoins fort évasif à ce sujet.

Force est de constater que le motif principal de sa fuite, tel qu’exposé par le demandeur à l’occasion de son audition, est le fait que la sécurité et la liberté de circulation ne seraient pas garanties partout au Kosovo, et que les Bochniaques, d’une manière générale, se verraient empêchés de s’exprimer en leur langue maternelle.

Il s’avère dès lors à l’examen des déclarations faites par le demandeur que si celui-ci vit certes dans un état généralisé de peur, il n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger direct pour sa personne Concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions. En plus comme il s’agit en l’espèce de persécutions alléguées émanant de tiers - les Albanais et plus particulièrement les extrémistes de l’ex-UCK - et non pas de l’Etat, il appartient au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée datant de janvier 2003 du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse. En effet il est relevé que : « The general security situation of Kosovo Bosniaks remained stable with no incidents of serious violence. However, Bosniaks have been taken to the police station for questioning after speaking their language in public … Their situation in Peje /Pec and Prizren region, where the vast majority of Bosniaks reside, remains calm. » 1 Cette conclusion n’est pas énervée par les moyens développés oralement par le mandataire du demandeur et relatifs à la flambée de violence qu’a connu tout récemment le Kosovo, cette violence, trouvant apparemment son origine dans un incident isolé, opposant les Albanais aux Serbes, sans avoir a priori d’incidences directes sur la minorité bochniaque, ne constitue pas une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que ces troubles ne constituent pas un danger direct pour la personne et la situation spécifique du demandeur. Il y a par ailleurs lieu de relever dans ce contexte et face aux craintes exprimées par le demandeur quant à un éventuel retour au Kosovo qu’un refus de reconnaissance 1 UNHCR, Update on the situation of Roma, Ashkaelia, Egyptian, Bosniak and Gorani in Kosovo, UNHCR Kosovo January 2003, p. 5.

du statut de réfugié n’implique pas nécessairement et automatiquement l’éloignement du demandeur du territoire luxembourgeois et son retour au Kosovo.

A cela s’ajoute que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, les allégations d’ordre général relatives à l’insuffisance de moyens de la KFOR n’étant pas pertinentes à cet égard.

Il convient de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo, voire en Serbie ou au Monténégro, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17187
Date de la décision : 29/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-29;17187 ?

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