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29/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17048

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2004, 17048


Tribunal administratif N° 17048 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 octobre 2003 Audience publique du 29 mars 2004

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Recours formé par les époux … et …, … (Belgique) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 15 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux …, de

nationalité luxembourgeoise, et …, de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à B-…, tendant à l’annul...

Tribunal administratif N° 17048 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 octobre 2003 Audience publique du 29 mars 2004

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Recours formé par les époux … et …, … (Belgique) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 15 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux …, de nationalité luxembourgeoise, et …, de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à B-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 14 juillet 2003, portant refus de délivrance d’un permis de travail en faveur de Monsieur … pour un poste d’ouvrier auprès de l’entreprise S., Société … S.àr.l., établie à L-…;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant déclaration d’engagement non datée, entrée à l’administration de l’Emploi, ci-

après dénommée « l’ADEM », en date du 18 mars 2003, et signée par Monsieur … ainsi que par l’employeur, la société à responsabilité limitée S. S.àr.l., avec siège à L-…, ils demandèrent une autorisation de travail en faveur de Monsieur … pour un poste d’ouvrier auprès dudit employeur pour une durée d’engagement de six mois et en indiquant comme date d’entrée en service le 17 mars 2003.

Le permis de travail fut refusé par le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », par arrêté du 14 juillet 2003 « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes -

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2022 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

occupation irrégulière depuis le 17.03.2003 ».

Par requête déposée le 15 octobre 2003, les demandeurs ont introduit un recours en annulation à l’encontre du prédit arrêté ministériel du 14 juillet 2003.

Le recours en annulation, introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs … et … font valoir que Monsieur …, de nationalité yougoslave, et Madame …, de nationalité luxembourgeoise, seraient mariés et qu’ils habiteraient ensemble à … en Belgique.

Les demandeurs critiquent en premier lieu la décision ministérielle déférée pour motivation insuffisante, étant donné que le ministre aurait employé des formules standards et se limiterait à reprendre de manière abstraite les motifs prévus par la loi, sans préciser exactement les conditions particulières sur base desquelles la décision a été prise. Selon les demandeurs, l’autorité compétente ne saurait se borner à faire état de la présence de demandeurs d’emploi appropriés sur le marché sans faire connaître les motifs spécifiques au cas d’espèce concernant un travailleur non-communautaire marié à une personne ayant la nationalité luxembourgeoise.

Concernant le motif tiré de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen, ils estiment que faute d’avoir pris en considération la situation et l’organisation du marché de l’emploi existant au moment où la décision a été prise ainsi que la situation particulière de Monsieur …, ledit motif ne permettrait pas de refuser un permis de travail.

Les demandeurs soutiennent que le refus du permis de travail serait contraire à l’esprit des articles 212 et suivants du Code civil imposant aux époux un devoir d’assistance, lequel, en règle générale, ne saurait s’exercer valablement sans accès au marché du travail et qu’un tel refus constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale tel que prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ils font valoir en outre que le refus du permis de travail violerait non seulement l’article 39 (ex article 48) du traité instituant la Communauté européenne, lequel instaure un droit pour tout ressortissant d’un Etat membre d’accéder à un emploi salarié dans un Etat membre autre que celui dont il est ressortissant, prohibant ainsi toute discrimination entre les travailleurs des Etats membres fondée sur la nationalité, lequel droit se trouve étendu par le règlement n°1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté aux membres de la famille du travailleur même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre, mais également le principe de droit communautaire d’égalité de traitement des administrés.

Dans ce contexte, ils estiment que Monsieur … serait dispensé de l’exigence d’un permis de travail, au motif qu’en tant ressortissant d’un pays tiers marié à une ressortissante communautaire, il aurait le droit d’accéder à un emploi salarié sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg en vertu du principe de la libre circulation des travailleurs, et ce sur base de son installation en Belgique où il exerçait une activité salariale avec dispense de permis de travail.

En ordre subsidiaire, les demandeurs exposent que le règlement n°1612/68 précité leur serait bien applicable, au motif qu’ils ne se trouveraient pas dans une situation purement interne, vu qu’ils auraient exercé le droit à la libre circulation et de séjour sur le territoire d’un autre Etat membre. En effet, le fait que les époux … et … auraient quitté le Luxembourg pour s’installer en Belgique représenterait un élément d’extranéité qui constituerait le facteur de rattachement au droit communautaire.

Ils invoquent encore une inégalité de traitement entre les nationaux d’un Etat membre et les ressortissants des autres Etats membres se trouvant dans la même situation du fait que le conjoint d’une ressortissante luxembourgeoise qui réside en Belgique et travaille au Luxembourg serait discriminé par rapport aux ressortissants des autres Etats membres qui résident et travaillent au Luxembourg, étant donné que le demandeur se voit appliquer au Luxembourg dont l’épouse est ressortissante un traitement moins favorable que celui dont bénéficierait un ressortissant d’un autre Etat membre. Le refus du permis de travail à un ressortissant non communautaire conduirait ainsi à une discrimination entre les ressortissants non communautaires mariés à un ressortissant communautaire migrant et des non communautaires mariés à un ressortissant luxembourgeois.

A cet égard, ils sollicitent en ordre encore plus subsidiaire la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel de la question par eux proposée en conséquence qui est libellée comme suit : « Un ressortissant d’un pays tiers à la Communauté européenne, marié à une ressortissante luxembourgeoise et résidant en Belgique dont l’époux bénéficie déjà en Belgique sur base de la libre circulation des travailleurs au sein de la Communauté européenne une activité salariale peut-il être traité différemment par rapport à un(e) ressortissant(e) communautaire (hors luxembourgeoise) marié(e) bénéficiant de fait d’une dispense du travail en application du principe de la libre circulation des travailleurs telle qu’elle résulte de l’article 11 du Règlement CEE n°1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté où son conjoint réside et travaille » .

Enfin, ils font valoir que le refus violerait le principe de proportionnalité au motif que les conséquences de ce refus dépasseraient l’objectif poursuivi par l’administration, d’autant plus que celle-ci aurait déjà octroyé le permis de travail dans des situations analogues.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement rétorque que le moyen tiré d’une motivation insuffisante de l’arrêté litigieux serait à rejeter, au motif qu’il serait suffisant que la décision litigieuse indique formellement les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances à sa base, l’administration pouvant compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.

Le délégué conteste ensuite que le règlement n°1612/68 précité trouverait application dans le présent cas de figure, au motif que le droit communautaire n’aurait pas vocation à s’appliquer à un ressortissant communautaire qui, comme en l’espèce, ne se trouverait pas dans une situation de circulation entre Etats membres. En effet, il résulterait de la déclaration d’engagement versée en cause que Madame … aurait été étudiante en Belgique au moment où la décision a été prise et qu’elle n’y exerçait donc pas d’activité salariée ou indépendante.

A cet égard, il conclut que la question préjudicielle proposée par les demandeurs serait superfétatoire, vu que le cas d’espèce ne rentrerait pas dans le champ d’application du droit communautaire.

Le délégué expose que le ministre aurait le pouvoir de refuser un permis de travail pour des raisons liées à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché de travail, compte tenu de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen laquelle constituerait une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le droit communautaire. Or, les statistiques officielles renseigneraient que la situation du marché de l’emploi aurait été et serait toujours mauvaise, qu’au 30 juin 2003, 7.169 demandeurs d’emploi auraient été inscrits aux bureaux de placement de l’ADEM et, plus particulièrement, que 2.022 ouvriers non qualifiés inscrits auraient été concrètement disponibles, de manière qu’il y aurait lieu de réserver l’accès à l’emploi aux demandeurs bénéficiant de la priorité à l’emploi plutôt que de recruter un non-ressortissant de l’Espace Economique Européen.

Enfin, le représentant étatique relève que l’employeur du demandeur n’aurait satisfait ni à l’obligation générale de déclaration préalable de la vacance du poste en cause, ni à l’obligation spécifique d’une déclaration d’engagement préalable à l’entrée en service du travailleur étranger concerné, vu que le demandeur aurait commencé à travailler le 17 mars 2003, soit avant l’introduction de la déclaration d’engagement concernant le poste litigieux, de sorte que le ministre aurait été en droit de refuser le permis de travail en faveur de Monsieur … sur base de ces faits.

En ce qui concerne le moyen tiré de l’insuffisance voire de l’absence d’une motivation de la décision querellée, il convient de relever qu’une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni par le règlement grand-

ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm., 13 janvier 1998, Da Rocha Oliveira, n° 10243C, Pas. adm. 2003, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 44, et autres décisions y citées).

En l’espèce, l’arrêté du 14 juillet 2003 énonce, de façon certes sommaire, quatre motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 prévisé, cette motivation ayant été utilement complétée par le mémoire en réponse du délégué du gouvernement.

Il s’ensuit que le premier moyen laisse d’être fondé.

En ce qui concerne les motifs de refus invoqués par le ministre pour justifier sa décision de refus, ayant trait à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen, l’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des pays parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité yougoslave, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.

Ceci étant, il convient encore d’examiner l’argumentation développée par les demandeurs et tirée de ce que Monsieur … est marié à une ressortissante luxembourgeoise.

Le tribunal est en premier lieu amené à analyser si le règlement CE n°1612/68 précité est applicable à la situation telle qu’exposée par les demandeurs, au vu notamment de l’argumentation développée par ceux-ci tendant à voir décider que Monsieur … ne nécessiterait aucun permis de travail pour pouvoir travailler légalement au Luxembourg, alors qu’il devrait être assimilé sous ce rapport aux ressortissants nationaux sur base du prédit règlement.

Aux termes dudit article 11 « le conjoint et les enfants de moins de vingt et un ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».

Il est vrai que ce texte consacre le droit du conjoint de tout travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à une activité salariée sur le territoire de l’Etat membre d’accueil, quelle que soit sa nationalité.

Il est cependant vrai encore que le droit communautaire n’a pas vocation à s’appliquer à un ressortissant communautaire qui ne se trouve pas et ne demande pas à se trouver dans une situation de circulation entre Etats membres. Une situation interne à un Etat membre n’intéresse pas un droit conçu pour la circulation entre Etats membres, la même absence de rattachement au droit communautaire se constatant, que l’on vise les droits d’un ressortissant communautaire dans son propre pays, ou que l’on vise ceux d’un ressortissant communautaire placé dans une relation entre son pays et un pays extérieur à la communauté (Pierre RODIERE, Sur les effets directifs du droit (social) communautaire, RTD eur. 1991. 565).

C’est en ce sens que la Cour de justice des Communautés européennes a limité le champ d’application du règlement CE précité n° 1612/68 en décidant que ledit règlement ne s’applique pas à des situations purement internes à un Etat membre, telle que celle d’un ressortissant d’un pays tiers qui, en sa seule qualité de conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre, se prévaut d’un droit de séjour ou d’un droit de demeurer sur le territoire de cet Etat membre (CJCE 18 oct. 1990, aff. 297/88 et 197/89, DZODZI c/ Etat belge, Rec. I-3763) et encore que la réglementation adoptée pour l’exécution du traité instituant la Communauté européenne ne peut pas être appliquée à des situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, ce dernier n’interdisant pas à un Etat membre de refuser l’entrée ou le séjour sur son territoire à un membre de la famille, d’un travailleur employé sur le territoire de cet Etat, qui n’a jamais exercé le droit de libre circulation à l’intérieur de la communauté, lorsque ce travailleur possède la nationalité de cet Etat et le membre de la famille la nationalité d’un pays tiers (CJCE 27 oct. 1982, aff. 35 et 36/82, MORSON et JHANJAN c/ Pays-Bas, Rec. 3723).

Pour que Monsieur … tombe sous le champ d’application du règlement CE précité, il y a d’abord lieu de vérifier si son épouse remplit les conditions prévues par l’article 1er dudit règlement CE, à savoir si elle possède la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne et si elle exerce sur le territoire d’un autre Etat membre une activité salariée.

En l’espèce, il n’est pas contesté, et il ressort d’ailleurs des pièces versées à l’appui du recours, que Madame … est de nationalité luxembourgeoise. Il est par ailleurs constant que les époux demeurent ensemble à … en Belgique et qu’au jour de la prise de décision litigieuse elle a été étudiante en Belgique.

Il résulte des constatations précédentes que, bien que Madame … possède la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne, elle n’exerce pas une activité salariée dans un Etat membre autre que celui dont elle est ressortissante. Ainsi, elle n’exerce pas et n’a pas besoin d’invoquer le principe de la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, alors qu’elle n’exerce pas d’activité salariée mais qu’elle est étudiante et que partant elle ne se trouve pas dans une situation de circulation entre Etats membres. Le fait qu’elle possède son domicile dans un autre Etat que celui dont elle a la nationalité est indifférent dans ce contexte.

Comme Madame … ne se trouve pas dans une hypothèse de circulation entre Etats membres, le règlement communautaire précité ne trouve pas application en l’espèce. Partant, Monsieur …, en sa qualité de conjoint, ressortissant d’un Etat tiers, d’un ressortissant communautaire, ne saurait en invoquer les dispositions, alors qu’il ne tombe pas non plus sous son champ d’application.

Le moyen afférent, tiré de l’applicabilité du règlement communautaire précité, et tendant à voir dire en substance que le demandeur serait en droit de travailler au Grand-Duché de Luxembourg et d’y exercer une activité salariée sans être obligé de solliciter à ces fins un permis de travail, est dès lors à rejeter.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur ne peut pas invoquer un droit à l’obtention du permis de travail découlant du droit communautaire, de sorte que le régime du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 trouve application.

Cette conclusion ne saurait être ébranlée par l’argumentation avancée par les demandeurs tendant à faire dire que le refus du permis de travail serait contraire à l’esprit des articles 212 et suivants du Code civil qui imposent aux époux un devoir d’assistance et qu’il constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale tel que prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que les développements des demandeurs laissent d’établir en quoi l’application en l’espèce de la législation spécifique en matière de permis de travail porterait atteinte à ces deux ordres de dispositions d’ordre général.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’U.E. et de l’E.E.E. est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’Espace Economique Européen, en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l'employeur de ce faire, l'ADEM est mise dans l'impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d'oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger (cf. trib. adm. 26 mars 2001, Pas. adm. 2003 V° Travail, III. Permis de travail, n° 27).

En l’espèce, il est constant en cause que l’employeur n’a pas daté la déclaration d’engagement laquelle a été introduite à l’ADEM en date du 18 mars 2003, cette déclaration valant demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur …. Il ressort de ladite déclaration d’engagement que Monsieur … a été engagé avec effet au 17 mars 2003. Il se dégage de la comparaison des prédites dates que la date d’entrée en service était antérieure à la date d’introduction de la demande d’embauche. La demande d’embauche étant en outre limitée à une seule personne, l’administration n’était pas tenue d’assigner d’autres candidats à l’employeur qui n’avait manifestement pas l’intention d’engager une autre personne que celle nommément visée et d’ores et déjà entrée en service.

C’est dès lors à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que le motif tiré de l’absence de déclaration du poste vacant aurait valablement pu être invoqué par le ministre à la base de la décision litigieuse, en se référant à l’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972. En effet, ladite disposition réglementaire dispose dans son deuxième alinéa que « la non-déclaration formelle et explicite de la vacance de poste à l’Administration de l’Emploi, conformément à l’article 9, paragraphe (2) de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’Administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, constitue un motif valable et suffisant de refus du permis de travail ».

Face au caractère clair et précis de la disposition réglementaire précitée et eu égard aux circonstances de l’espèce, le ministre a partant valablement pu refuser le permis de travail sollicité au seul motif que le poste de travail ne fut pas déclaré vacant par l’employeur, de sorte que l’examen des autres motifs à la base de l’arrêté ministériel déféré, de même que des moyens d’annulation y afférents invoqués par les demandeurs, devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.- euros demandée par les demandeurs est à rejeter, les conditions de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

dit qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle proposée ;

au fond déclare le recours non justifié et en déboute;

déboute les demandeurs de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président M. Schroeder, premier juge Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 29 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17048
Date de la décision : 29/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-29;17048 ?

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