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25/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17108

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 mars 2004, 17108


Tribunal administratif N° 17108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2003 Audience publique du 25 mars 2004

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Recours formé par Madame …, … contre un arrêté grand-ducal en présence de Monsieur …, … en matière de nomination

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2003 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …,

magistrat, demeurant à L-

…, tendant à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 12 août 2003 dans la mesure...

Tribunal administratif N° 17108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2003 Audience publique du 25 mars 2004

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Recours formé par Madame …, … contre un arrêté grand-ducal en présence de Monsieur …, … en matière de nomination

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2003 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, magistrat, demeurant à L-

…, tendant à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 12 août 2003 dans la mesure où il porte nomination de M. …, juge au tribunal d’arrondissement de Luxembourg, comme juge des tutelles au tribunal d’arrondissement de Luxembourg avec effet au 19 octobre 2003 et écartant ainsi nécessairement son acte de candidature du 15 juillet 2003 à ce poste de juge des tutelles ;

Vu l’exploit de l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-

Alzette, du 3 novembre 2003, portant signification de la prédite requête à M. …, magistrat, demeurant à L-3753 Rumelange, 1, rue Steinberg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2004 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2004 en nom et pour compte de la partie demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 10 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal attaqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nicolas DECKER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 juillet 2003, le procureur général d’Etat lança un appel de candidatures entre autres pour un poste de juge des tutelles au tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

Faisant suite à cet appel de candidatures, Mmes … et …. ainsi que M. … posèrent un acte de candidature pour le poste de juge des tutelles en question.

Le 16 juillet 2003, la première vice-présidente du tribunal d’arrondissement de Luxembourg transmit les trois candidatures avec avis favorable au procureur général d’Etat.

Le 22 juillet 2003, le juge directeur de la jeunesse et des tutelles émit à son tour un avis dans lequel il se prononça favorablement à l’égard du candidat …, le considérant comme un « excellent candidat au poste en question par sa compétence, sa capacité de travail et ses qualités humaines ». Concernant Mme …, il déclara ne la connaître que par ouï-dire, de sorte qu’il préféra s’abstenir d’émettre un avis à son sujet.

L’avis émis par le procureur général d’Etat en date du 23 juillet 2003 en ce qui concerne le poste de juge des tutelles et, plus particulièrement, les candidats … et …, est libellé comme suit :

« a) Madame …, après avoir été nommée attaché de justice le premier août 1997, est juge au tribunal d’arrondissement de Luxembourg depuis sa nomination en date du 3 août 1998.

Ayant fait ses études de droit, elle s’est classée 7ème avec un total de 503 points à l’examen de fin de stage judiciaire. Elle semble disposer de connaissances juridiques sérieuses.

Toutefois assesseur au tribunal de Luxembourg depuis 1998 elle ne semble avoir fait preuve ni d’un dynamisme, ni d’un zèle particulier, paraissant avoir été un de ces juges considérés comme étant plutôt, quant à ces qualités de juge, de valeur très moyenne pour éviter une autre terminologie qui pourrait heurter.

Elle est en l’état inapte, à mon avis, à assumer le poste de juge des tutelles vacant.

b) (…) c) Monsieur …, après avoir été nommé attaché de justice le 8 août 2000, après avoir été, comme attaché, délégué pour remplacer temporairement un juge au tribunal d’arrondissement à partir du premier avril 2001, a été nommé juge au tribunal d’arrondissement le 5 octobre 2001 et assermenté en cette qualité le 19 octobre 2001.

Ayant fait ses études de droit il s’est classé 8ème avec un total de 508 points à l’examen de fin de stage judiciaire. Monsieur le Procureur d’Etat en son appréciation du candidat-

attaché observe entre autres : « Tout le monde est d’accord pour donner une appréciation extrêmement positive des prestations professionnelles de Maître …, lequel est également fort sympathique ».

Monsieur … n’a pas démenti sa renommée durant les deux années pendant lesquelles il a fait fonction de juge, puis a été juge au tribunal d’arrondissement notamment dans la chambre de divorce, se distinguant par ses connaissances juridiques, ses qualités de magistrat et son dynamisme. C’est un de ces magistrats imbus d’idéalisme qui est apte à gérer avec tout le savoir faire, la doigté et l’humanité requises le poste de juge des tutelles concernant les incapables majeurs.

Le poste en question ne conférant aucun rang, mais exigeant avant tout des qualités et aptitudes à l’exercer dans l’intérêt de justiciables particulièrement exposés et sensibles, j’y propose Monsieur ….

Compte tenu de l’exigence d’« au moins deux ans de fonctions judiciaires effectives ou de service au parquet », prévue par l’article 15 alinéa 3 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, je propose de nommer Monsieur … au poste en question avec effet au 19 octobre 2003, à moins que la période de délégation comme juge susvisée à partir du 1er avril 2001, prévue par l’article 4 de la loi du 6 décembre 1991 sur les attachés de justice telle que modifiée par la loi du 31 mai 1999, puisse lui être mise en compte comme fonction judiciaire ».

Par arrêté grand-ducal du 12 août 2003, entre autres, M. … fut nommé comme juge des tutelles au tribunal d’arrondissement de Luxembourg avec effet au 19 octobre 2003.

Le 30 octobre 2003, Mme … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation du susdit arrêté grand-ducal dans la mesure de la nomination de M. … et du rejet implicite de son acte de candidature.

Le recours, régulier par rapport aux exigences de forme et de délai, est recevable.

A l’appui de son recours, Mme … soulève en premier lieu l’irrégularité de l’avis du procureur général d’Etat pour ne pas contenir une motivation en fait et en droit conforme aux dispositions de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ainsi que l’illégalité subséquente de l’arrêté grand-ducal litigieux, lequel, faute de contenir une motivation propre manquerait aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

Selon la demanderesse, le procureur général d’Etat la dénigrerait « de manière éhontée » tout en « noyant le candidat … sous un flot de louanges » et il verserait dans des « suppositions vagues, transformées pour les besoins de la cause en des postulats arbitraires et malveillants tant à l’égard de la requérante qu’à l’égard d’un nombre indéterminé de magistrats de l’Ordre judiciaire ».

Pour le surplus, elle relève que son dossier personnel ne contiendrait pas d’élément défavorable justifiant le rejet de son acte de candidature, que sa candidature a été avisée favorablement par la première vice-présidente du tribunal d’arrondissement et qu’elle précéderait le candidat … d’une vingtaine de places sur la liste de rang dressée par l’assemblée générale de la Cour Supérieure de Justice.

En second lieu, elle soutient que contrairement à sa situation, M. … n’aurait pas rempli les conditions légales prévues par l’article 15 alinéa 4 de la loi précitée du 7 mars 1980 pour être nommé au poste de juge des tutelles, au motif qu’au moment de sa nomination il n’aurait pas disposé de deux ans de fonctions judiciaires effectives ou de service au parquet. Or, une nomination anticipée serait irrégulière pour avoir pour but d’assurer à l’avance à un agent un emploi qu’il n’a pas encore le droit d’occuper et en l’espèce, aucune nécessité de service ne justifierait une exception à cette interdiction, les besoins du service ayant exigé que le poste de juge des tutelles soit pourvu au plus tard à la rentrée judiciaire du 16 septembre 2003 et non pas seulement le 19 octobre 2003.

Il appert de l’analyse du premier moyen d’annulation soulevé par la demanderesse qu’il comporte deux branches, l’une tendant à mettre en question l’existence de la motivation formelle de l’avis du procureur général d’Etat, élément de légalité externe, , l’autre querellant le contenu de la motivation dudit avis, élément de légalité interne.

Si chacune de ces deux branches du premier moyen exige une réponse propre procédant d’une analyse séparée, un constat les conditionnant toutes les deux s’impose préalablement.

Ce constat concerne la nature de l’avis qui est sollicité auprès du procureur général d’Etat dans le cadre de la nomination d’un magistrat de l’ordre judiciaire à une nouvelle fonction au sein des juridictions dudit ordre.

En effet, le procureur général ne se trouve ni dans la position d’un technicien devant assister l’administration sur un point technique, ni encore dans celle d’un organe consultatif devant aviser l’administration sur une question de qualification de faits au regard d’une norme applicable, mais il est appelé à éclairer l’autorité investie du pouvoir de nomination sur les titres et mérites des candidats à un poste à pourvoir. – Or, il va sans dire que les exigences quant au contenu de l’avis, de même que, par la force des choses, quant à l’énonciation de la motivation y afférente, varient en fonction de la matière concernée, des circonstances factuelles, de même que de la mission spécifique de l’organe consultatif.

Il s’ensuit que l’obligation de motivation du procureur général, notamment au regard de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, si elle est patente, est donc également fonction du cadre dans lequel l’avis du procureur général d’Etat s’insère, ce cadre limitant aussi nécessairement l’étendue de la motivation formelle.

Ainsi, si le procureur général, dans son avis, doit incontestablement dresser un tableau objectif, clair et précis des qualités professionnelles et scientifiques des différents postulants, afin que l’autorité investie du pouvoir de nomination puisse pleinement exercer son pouvoir d’appréciation et choisir le candidat qu’elle considère comme étant le plus apte à assurer la fonction qu’elle entend lui confier, il n’en reste pas moins qu’au-delà de ces éléments objectifs, l’avis du procureur général implique, de façon additionnelle et indissociable, des considérations subjectives dans la mesure où il est en outre appelé à procéder à une appréciation de la valeur de chaque candidat, laquelle peut l’amener à retenir une préférence pour un candidat déterminé. Or, force est de constater que pareilles composantes subjectives sont sinon ineffables alors du moins difficilement exprimables. – Il convient encore d’ajouter que s’il est incontestable qu’une motivation qui est concentrée sur des considérations subjectives, qui ne sont pas étayées par des éléments objectifs, a une valeur amoindrie pour guider l’autorité qui est appelée à prendre la décision, il n’en reste pas moins que la valeur intrinsèque de l’avis ne lui enlève pas la qualité d’avis tel qu’il est envisagé par la loi.

A la lumière de ce qui précède, il appert à l’analyse de l’avis litigieux ci-avant reproduit que le procureur général, malgré un libellé quelque peu malencontreux dans l’explicitation des motifs, qui a pu heurter le sentiment de dignité de la demanderesse, ne s’est pas moins exprimé de façon claire, précise et suffisante dans le cadre de sa mission, de sorte qu’il a satisfait à l’obligation de l’énoncé d’une motivation légalement valable.

Il s’ensuit que la première branche du premier moyen d’annulation relativement à l’obligation d’une motivation formelle est à écarter pour manquer de fondement.

Dans son deuxième ordre d’idées, la demanderesse vise le contenu de la motivation de l’avis du procureur général, lui reprochant en substance une violation de la loi et, plus particulièrement, un détournement de pouvoirs, pour ne pas l’avoir appréciée quant à ses qualités réelles vérifiables.

Ce deuxième volet du premier moyen d’annulation appelle le tribunal, agissant dans le cadre d’un contrôle de légalité, non d’opportunité, à se prononcer quant au but de l’avis et quant à sa conformité au bien public, sans pour autant que le tribunal ne puisse se substituer à l’autorité consultative, c’est-à-dire sans qu’il puisse reprendre entièrement l’appréciation de l’opportunité des conclusions qui ont été tirées.

L’avis du procureur général, comme il se dégage des considérations qui précèdent, est destiné à dresser le tableau des qualités scientifiques de même que des mérites ou défauts des candidats. Dans le cadre de sa mission, le procureur général est appelé à se prononcer sur base de ses connaissances personnelles des candidats et de leur travail, de leur dossier, tout comme il peut compléter ces éléments d’appréciation par des avis et des renseignements à recueillir notamment auprès d’autres magistrats.

Il y a lieu de préciser encore dans ce contexte, en ce qui concerne la charge de la preuve, que de même que l’autorité investie du pouvoir de nomination, le procureur général, dans sa fonction consultative, a une compétence d’appréciation discrétionnaire, son exercice étant présumé légal et il n’a pas à justifier avoir agi dans l’intérêt public, la charge de la preuve incombant au contraire à la demanderesse qui doit établir que le pouvoir a été détourné de sa fin nécessaire.

En l’espèce, faute du moindre indice ou élément de preuve tangible en ce sens, le tribunal est amené à retenir que la demanderesse ne saurait utilement se prévaloir ni d’une violation de la loi ni d’un détournement de pouvoirs pour ébranler la légalité de l’avis querellé. En d’autres termes, aucun élément de preuve tangible produit en cause ne contredit le fait que le procureur général d’Etat, dans son for intérieur, a été mû par un souci intime d’impartialité et d’honnêteté et dans un dévouement réel à garantir le bon fonctionnement du service.

Or, le bien fondé ou mal fondé d’un moyen relativement au détournement de pouvoirs étant fonction de cette preuve, la demanderesse ne saurait être suivie dans sa conclusion et la deuxième branche du premier moyen d’annulation laisse également d’être fondée.

Quant au second moyen d’annulation soulevé par la demanderesse tiré de la prétendue irrégularité de la nomination anticipée de Monsieur …, il est constant en cause qu’au moment de l’introduction de sa candidature de même qu’au jour de la prise de l’arrêté grand-ducal, M.

… ne remplissait pas encore les conditions légales prévues par l’article 15 alinéa 4 de la loi précitée du 7 mars 1980 pour être nommé au poste de juge des tutelles pour lequel il avait postulé, pour ne pas encore avoir justifié de deux ans de fonctions judiciaires effectives ou de service au parquet.

Ceci dit, le moyen d’annulation laisse cependant d’être fondé, étant donné qu’en l’espèce, contrairement aux circonstances factuelles à la base des décisions des juridictions françaises auxquelles la demanderesse se réfère (Conseil d’Etat français 5 juillet 1919, Rec.

C.E., p. 605 et 11 et 13 mars 1931, Rec. C.E. 1931, p. 288), il ne s’agissait nullement d’une nomination anticipée longtemps avant la date à laquelle elle devait prendre effet afin de pourvoir Monsieur … d’un grade qu’il n’avait pas encore le droit de détenir, mais que le délai entre la nomination et la prise d’effet est essentiellement bref et la prise d’effet retardée base sur des considérations relatives à l’intérêt de service indéniables, l’intention affichée et non utilement contredite ayant été d’assurer le fonctionnement du service dans les meilleures conditions possibles. Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation basée sur ce que l’intérêt du service aurait exigé que le poste de juge des tutelles ait été pourvu au plus tard à la rentrée judiciaire du 16 septembre 2003 et non pas seulement le 19 octobre 2003, étant donné que le bon fonctionnement dudit service n’a nullement été perturbé du fait de la prise d’effet retardée, l’ancien titulaire étant simplement resté en place quelques semaines plus longtemps.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que la demanderesse doit en être déboutée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 25 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17108
Date de la décision : 25/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-25;17108 ?

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