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22/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17646

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2004, 17646


Tribunal administratif N° 17646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de Monsieur …, né le … (Russie), de nationalité russe, et de son épouse, Madame …,...

Tribunal administratif N° 17646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2004 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Russie), de nationalité russe, et de son épouse, Madame …, née le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 novembre 2003, déclarant leur demande en obtention du statut de réfugié manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 janvier 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2004.

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Le 15 octobre 2003, Monsieur … et Madame … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore tous deux entendus en date du 6 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes.

Par décision datant du 12 novembre 2003, leur notifiée en date du 19 novembre 20003, le ministre de la Justice les informa de ce que leurs demandes avaient été rejetées comme étant manifestement infondées.

Suite à un recours gracieux introduit par leur mandataire par courrier du 22 décembre 2003, le ministre de la Justice a pris une décision confirmative datée du 20 janvier 2004, qui leur fut notifiée le même jour.

Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée en date du 23 février 2004.

Il ressort des éléments du dossier que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et sur l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des article 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours.

Ce recours, non autrement critiqué à cet égard, est par ailleurs recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent, en ce qui concerne Madame …, être d’origine et de nationalité ukrainienne, et, en ce qui concerne Monsieur …, d’origine et de nationalité russe.

Ils expliquent que les autorités ukrainiennes auraient refusé de reconnaître leur mariage célébré en Russie, de sorte que Monsieur … se serait vu refuser de s’installer en Ukraine auprès de son épouse. Madame … précise à ce sujet qu’elle aurait subi de vexations et menaces de la part de la population locale qui n’aurait pas accepté leur mariage mixte.

Ils exposent encore que Monsieur … connaîtrait pour sa part des problèmes en Russie, qui l’empêcheraient d’y vivre et d’y travailler.

A ce sujet, Monsieur … fait plaider que les autorités russes auraient refusé de l’exempter de son obligation d’accomplir son service militaire, et qu’elles auraient refusé de reconnaître l’ulcère à l’estomac dont il souffrirait, alors qu’une telle maladie serait pourtant admise en Russie comme cause d’exemption. Monsieur … n’ayant pas donné de suites à son appel à accomplir son service, les autorités russes le considèreraient comme insoumis et lui auraient refusé le renouvellement de son passeport interne, l’empêchant ainsi de séjourner régulièrement en Russie.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les demandeurs n’auraient fait état d’aucune crainte raisonnable de persécution correspondant à l’un des motifs de fond prévus par la Convention de Genève, et estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes d’asile dans le cadre de leur audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance.

En effet, force est de constater qu’en ce qui concerne Monsieur …, le motif principal de sa demande d’asile est à rechercher dans le refus des autorités militaires russes de l’exempter de l’obligation de prester son service militaire. Il s’avère à ce sujet que le dossier tel que soumis au tribunal ne permet pas de conclure que ce refus constituerait une quelconque persécution de la part des autorités russes, mais porte au contraire à croire que ce refus repose sur le fait que le demandeur, qui a demandé à être exempté pour des raisons médicales, n’arrive manifestement pas à en rapporter la preuve, ou du moins pas à rapporter une preuve satisfaisante aux yeux des autorités russes.

Il résulte encore de son audition que le seul risque qu’encourait Monsieur … est de devoir accomplir son service militaire.

Le demandeur ne fait dès lors pas état d’une persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, mais d’un problème administratif l’opposant aux autorités militaires de son pays qui n’admettent pas la réalité de la cause d’exemption dont le demandeur entend se prévaloir.

En ce qui concerne les motifs avancés par Madame …, à savoir principalement le fait que l’Ukraine refuse de reconnaître leur mariage célébré en Russie, force est encore de constater qu’il ne s’agit pas là d’une persécution ou d’une crainte de persécution, mais d’un problème d’état civil ou de droit civil.

En ce qui concerne les vexations et menaces alléguées par du fait de leur mariage en Ukraine, ces humiliations, à les supposer établies, tirent leur origine, aux dires mêmes de la demanderesse, de la « grande » différence d’âge entre les époux (« Il y a une grande différence d’âge entre mon mari et moi, je suis son aînée. Pour cette raison nous sommes poursuivis »), et ne permettent pas de retenir des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il convient de relever en outre que les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils n’auraient pas été en mesure de se rendre dans une autre partie du pays, où les habitants ignorent leurs nationalités respectives et leur différence d’âge, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne afin d’éviter l’hostilité des populations locales.

Enfin, en ce qui concerne la difficulté de trouver du travail, prétendument réservé aux Tatares et aux Ukrainiens, ainsi que la peur non autrement précisée des Tatares, il s’agit là d’un sentiment général d’insécurité, lié à la situation générale du pays et des tensions entre celui-ci et la Russie.

Le tribunal est par conséquent amené à conclure que les demandeurs n’ont manifestement pas établi des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leurs pays de provenance respectifs.

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a déclaré les demandes d’asile sous analyse comme étant manifestement infondées pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne le moyen des demandeurs tendant à voir prononcer l’annulation des décisions ministérielles déférées au motif que l’agent ayant procédé à leur audition aurait refusé d’interroger Madame … sur les raisons ayant amené la sœur de celle-ci à quitter l’Ukraine pour les Etats Unis, le tribunal constate que non seulement les demandeurs se sont vu accorder la possibilité de répondre à cette question par écrit (« Me Lang est informé que ces informations peuvent être ajoutées au dossier par courrier séparé »), ce que les demandeurs ont d’ailleurs omis de faire, mais encore que ces informations ne concernent pas la situation individuelle des demandeurs, mais celle d’un tiers, de sorte qu’il ne saurait être question d’un vice ayant empêché les demandeurs de faire valoir leurs moyens.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17646
Date de la décision : 22/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-22;17646 ?

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