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22/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17284

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2004, 17284


Tribunal administratif N° 17284 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17284 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, et de sa s...

Tribunal administratif N° 17284 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17284 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2003 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, et de sa sœur, Madame … …, né le … (Ukraine), demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 août 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 28 octobre 2003, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2004.

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Le 20 août 2001, Monsieur … et Madame … … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore entendus séparément en date des 4 juillet, 31 juillet et 1er août 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 14 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 22 août 2003, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux introduit par leur mandataire par courrier du 25 septembre 2003, le ministre de la Justice a pris une décision confirmative datée du 28 octobre 2003, qui leur fut notifiée le 10 novembre 2003.

Monsieur … et Madame … … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée en date du 11 décembre 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Madame … … fait exposer qu’elle serait journaliste d’opposition en Ukraine, qu’elle aurait publié un grand nombre d’articles dénonçant le pouvoir en place en Ukraine, son frère l’assistant dans cette activité en tant que photographe. Elle précise que l’assassinat d’un collègue journaliste, … , assassinat qui aurait été commandité par l’actuel président d’Ukraine, aurait marqué le début de persécutions à l’encontre des journalistes ayant travaillé, à l’instar de la demanderesse, avec le journaliste assassiné … .

Les demandeurs expliquent ainsi qu’ayant participé à une manifestation contre le Président, ils auraient été arrêtés par la milice et détenus pendant une nuit au cours de laquelle ils auraient subi des « brimades et violences physiques » de la part des policiers.

Ayant par la suite participé à une seconde manifestation, où ils auraient assumé le rôle de « leaders de cette manifestation », ils auraient plusieurs jours plus tard fait l’objet d’une nouvelle arrestation par la milice, qui les aurait retenu prisonniers pendant une semaine, durant laquelle ils auraient été à nouveau maltraités.

Les demandeurs font valoir qu’ils auraient été par la suite les victimes de harcèlement incessants, se matérialisant en des tentatives d’enlèvement de Madame …, la mise sur écoute de leur téléphone, la saisie de leur correspondance et une tentative d’incendie de leur maison.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, notamment en prenant prétexte des quelques oublis et omissions de la demanderesse à l’occasion de ses auditions, oublis et omissions s’expliquant en fait en raison de la situation de stress extrême dans laquelle elle vivrait.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Il relève en particulier que les demandeurs n’auraient apporté aucun élément de preuve tangible corroborant les faits allégués, mais au contraire que le récit de Madame … serait constellé d’incohérences et d’invraisemblances.

Il estime de surcroît que la situation en Ukraine aurait évolué de manière favorable grâce à l’émergence d’une réelle opposition démocratique et des mesures prises par le Président en vue de démocratiser les élections et le gouvernement de l’Etat.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la crédibilité des informations et documents fournis par les demandeurs à l’appui de leur demande, le tribunal retient, de manière exemplative, pour établir le caractère incohérent, vague et parfois invraisemblable du récit des demandeurs que si Madame … se présente lors de sa première audition comme « une célèbre journaliste de l’opposition », très engagée, auteur de nombreuses publications et tracts critiquant le régime politique ukrainien, dont les nombreux articles « se faisaient remarquer par leur caractère politique et faisaient fureur », tandis que son frère explique qu’ils auraient publiés et distribués des articles, des reportages, des tracts, qu’ils auraient créé « un réseau d’agents », qu’ils auraient mobilisé les gens « pour une lutte contre le régime pseudo-démocratique », qu’ils se seraient rendus fréquemment à des réunions clandestines, à des meetings illégaux et à des manifestations non-

autorisées, donnant ainsi l‘impression d’être sinon des figures emblématiques de l’opposition, sinon du moins des journalistes connus, la demanderesse, interrogée quant à d’éventuels articles qui auraient été rédigés sur elle ou sur son action, rétorque être quelqu’un de modeste ne méritant pas « d‘être au centre de l’attention générale », et ne parvient ni à citer le nom du journal électronique dans lequel elle publiait ses nombreux articles, ni le titre ou sujet d’articles y publiés critiquant directement le régime en place en Ukraine.

Le tribunal constate à ce sujet que les seules pièces versées en cause sont constituées par trois articles de journaux non identifiés, apparemment rédigés par la demanderesse à une époque où elle ne poursuivait aucune activité d’opposition.

Le tribunal relève encore que si Madame … déclare dans un premier temps avoir fait des études à la faculté d’histoire et rédigé une thèse, intitulée « Valeurs universelles », et être professeur d’histoire et d’anglais, et accessoirement journaliste, elle prétend, lors de l’audition du 1er août 2002, être « docteur ès psychologie et pédagogie » et être « spécialiste de physiologie et de psychologie pédagogique ». Il y a encore lieu de souligner à ce sujet que la déclaration en langue anglaise émanant Madame … et versée aux débats est rédigée dans un anglais primaire, guère compatible avec sa qualité alléguée de professeur d’anglais.

Le tribunal constate encore que si la demanderesse dans le cadre de son audition prétend souffrir d’une maladie chronique du foie et de forts vertiges « qui peuvent même engendrer une syncope », le certificat médical du docteur Pit Buchler, neurologue, décrit la demanderesse comme étant en excellente condition physique.

Madame … affirme encore que son frère, Monsieur …, censé l’accompagner durant ses enquêtes et reportages, ne prenait qu’exceptionnellement des photos (« quelques photos effectivement avaient été prises, mais ça avait un caractère exceptionnel »), pour expliquer le fait qu’elle ne se souvient pas des endroits et circonstances où il aurait pris des photos, et prétend qu’il ne possédait pas d’appareil photo; Monsieur … en revanche affirme posséder un tel appareil et avoir pris « en permanence » des photos.

Il s’avère par ailleurs que Madame … … a prétendu, dans le cadre de son audition du 31 juillet 2002, qu’elle souffrait de traumatismes crâniens et du nez suite aux persécutions dont elle aurait été victime, tandis que son frère a affirmé avoir subi une commotion cérébrale, tout en restant très évasif quant aux persécutions subies. Or le tribunal doit constater que le certificat établi par un « bureau régional d’expertise médico-légale de Kharkov » atteste certes d’une fracture des os du nez et de hématomes au niveau du visage, mais ce dans le chef de …, et non pas dans celui de sa sœur.

Il résulte de ce qui précède, que les explications fournies par les demandeurs, ensemble leur récit, sont à qualifier d’incohérents, vagues et contradictoires.

La demanderesse entend expliquer cependant ces incohérences par le stress psychologique auquel elle serait exposée de manière permanente et verse à ce sujet un certificat médical. Cette explication ne saurait cependant être retenue pour expliquer les nombreuses incohérences exposées ci-dessus, d’autant plus que madame … donne plutôt, tout au long de son audition tel que relatée par le rapport d’audition, l’impression d’une personne à forte personnalité ne se laissant guère impressionner.

Il y a encore lieu de relever que les documents rédigés en langue russe et de surcroît en alphabète cyrillique et versés par les demandeurs sans la moindre traduction ne sauraient être pris en considération par le tribunal.

Le tribunal retient par ailleurs que les seuls faits établis, à savoir la convocation des demandeurs au bureau de la milice - laquelle a même délivré des certificats attestant de leur présence en ses bureaux - et la présence d’un appareil d’écoutes sur leur téléphone, ne présentent pas une telle gravité qui serait de nature à rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine et ne dénotent pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève. A ce sujet, le tribunal est encore amené à retenir que contrairement à ce que font plaider les demandeurs, le certificat établi par le « bureau régional d’expertise médico-légale de Kharkov » n’atteste pas que la victime a subi des blessures après avoir été battue par des « agents de milice inconnus », mais ne porte que sur les constatations médicales faites par le médecin traitant.

Il suit de ce qui précède que les déclarations et récits des demandeurs n’emportent pas la conviction du tribunal quant aux persécutions ou craintes de persécutions alléguées, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que les demandeurs n’ont pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17284
Date de la décision : 22/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-22;17284 ?

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