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22/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17203

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2004, 17203


Tribunal administratif N° 17203 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17203 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2003, par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et

de son épouse Madame …, née le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), tous les deux de ...

Tribunal administratif N° 17203 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17203 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2003, par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse Madame …, née le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 octobre 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 mars 2004.

Le 7 avril 2003, Monsieur … et son épouse Madame … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … et Madame … furent entendus chacun séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié en date du 17 avril 2003.

Par décision du 15 octobre 2003, envoyée par lettre recommandée le 23 octobre 2003, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande d’asile avait été refusée comme étant non fondée au motif que leurs dires s’analyseraient en un sentiment d’insécurité général plutôt qu’en une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2003, les époux …-… ont fait déposer un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 15 octobre 2003.

L’article 12, paragraphe 3 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est par conséquent irrecevable.

Quant au fond les demandeurs habitant au Kosovo font valoir qu’ils seraient membres du parti politique SDA depuis la création de ce dernier. Ils se réfèrent à un certificat établi par ledit parti duquel il résulterait qu’ils se seraient fait attaquer par des extrémistes albanais. Ils ajoutent que ce certificat préciserait encore que l’arrivée des troupes de la KFOR au Kosovo n’aurait absolument pas changé la situation étant donné que 61 personnes auraient été tuées depuis l’arrivée de ces troupes. Ils s’appuient encore sur un certificat établi par « l’Organisation internationale boschnaque » duquel il résulterait qu’ils subiraient une grande pression de la part des extrémistes albanais, laquelle ne leur aurait pas permis de mener une existence et une vie normale au Kosovo.

Ils estiment dès lors qu’ils rempliraient les conditions de la Convention de Genève afin d’obtenir le statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les demandeurs font essentiellement état de leur crainte d’être victimes d’actes de violence de la part de la population albanaise et de l’UCK en raison de leur appartenance au parti politique SDA.

Force est dès lors de constater que les demandeurs se prévalent d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, les demandeurs ont simplement affirmé l’incapacité, encore à l’heure actuelle, des autorités compétentes de leur fournir une protection adéquate, sans pour autant établir une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place.

Même s’ils ont relaté dans leur audition qu’ils ont déclaré à la police l’incident durant lequel des personnes en uniforme de l’UCK leur auraient volé du foin, ils déclarent également que suite à une menace, ayant eu lieu en mars/avril 2002, ils n’ont pas porté plainte.

Il en résulte que les demandeurs n’ont pas dûment établi l’exécution de démarches afin d’obtenir la protection des autorités en place, lesquelles constituent cependant, ensemble avec un refus de protection des autorités pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, une prémisse nécessaire pour la reconnaissance de l’existence d’une crainte légitime de persécution.

Force est de constater que les craintes exprimées par les époux …-… s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité insuffisant à établir à leur égard une crainte actuelle de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation à la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17203
Date de la décision : 22/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-22;17203 ?

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