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22/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17021

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2004, 17021


Numéro 17021 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17021 du rôle, déposée le 2 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né le …, de nationalité camerounaise, tend...

Numéro 17021 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2003 Audience publique du 22 mars 2004 Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17021 du rôle, déposée le 2 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né le …, de nationalité camerounaise, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 juin 2003 refusant la délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 11 août 2003;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2004 par Maître Marc MODERT pour compte de Madame …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc MODERT et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er mars 2004.

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Par courrier de son mandataire du 22 avril 2004, Monsieur R. F. sollicita une autorisation de séjour en faveur de Madame …, préqualifiée, au motif qu’ils auraient fait connaissance lors d’un voyage de Madame … en Europe et qu’il « souhaite approfondir la relation, raison pour laquelle il a invité Mlle … à le rejoindre ».

Par lettre du 13 juin 2003, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande aux motifs suivants :

« (..) la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, à la possession de moyens personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée ».

Sur recours gracieux introduit par Madame … à travers un courrier de son mandataire du 11 juillet 2003, le ministre de la Justice confirma, par lettre du 11 août 2003, sa décision du 13 juin 2003 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée le 2 octobre 2003, Madame … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre desdites décisions des 13 juin et 11 août 2003.

Etant donné que ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition législative n’instaure un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La demanderesse soutient que la motivation à la base des décisions attaquées et tirée du défaut de moyens d’existence personnels dans son chef ne correspondrait pas à la réalité de sa situation, vu qu’elle se proposerait de vivre en communauté de vie avec un ressortissant luxembourgeois qui serait disposé à l’accueillir, qu’un « projet de mariage n’est pas exclu si les affinités réciproques se confirment » et que leur ménage disposerait de moyens et de capacités pécuniaires suffisantes pour faire face à ses frais de séjour. Elle fait en outre valoir qu’elle aurait sollicité une autorisation de séjour non pas définitive mais provisoire, dont les critères devraient être appréciés de manière moins restrictive et sévère.

Le délégué du gouvernement rétorque que le caractère personnel des moyens d’existence d’un demandeur en obtention d’une autorisation de séjour aurait été introduit comme exigence spécifique à l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1995 par une novelle législative en l’année 1995 et qu’en conséquence un engagement pris par une tierce personne, que ce soit un parent ou une personne sans lien de parenté avec la personne en cause, ne pourrait être considéré comme preuve de moyens d’existence personnels. Or, en l’espèce, les moyens d’existence de la demanderesse seraient « assurés par un homme qui envisage le cas échéant de l’épouser plus tard », de manière que le ministre aurait à juste titre fondé ses décisions de refus sur l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972. Le représentant étatique fait valoir que la distinction avancée par la demanderesse entre une autorisation de séjour provisoire et définitive ne serait pas prévue par la loi du 28 mars 1972 et que, dans la mesure où la demande en cause aurait porté sur une autorisation pour une durée supérieure à trois mois, l’exigence de la preuve de l’existence de moyens d’existence personnels s’imposerait à la demanderesse. Il conclut enfin que la demanderesse serait encore restée en défaut de soumettre des éléments de preuve relatifs à de tels moyens d’existence dans son chef au Luxembourg.

La demanderesse fait répliquer que Monsieur F., célibataire, serait propriétaire de la maison par lui habitée et titulaire d’une pension d’invalide, qu’étant titulaire d’un diplôme de la « Hochschule für Gestaltung » à Offenbach/Main et créateur profilique dans le domaine des arts plastiques, il envisagerait de dispenser, avec l’accord de l’organisme de pension, des cours d’art appliqué notamment dans le cadre de l’établissement pour personnes handicapées à Capellen et même de donner des cours du soir. Elle ajoute qu’elle se proposerait de reprendre sa formation en secrétariat commencée au Lycée technique à Duala (Cameroun) afin de pouvoir contribuer par le revenu de son travail aux frais du ménage commun. Elle critique que les décisions attaquées reviendraient à lui imposer un mariage immédiat et qu’ « au titre des dispositions légales, il est de bon sens de mettre sur un pied d’égalité un lien d’obligation d’un tiers en faveur d’un ressortissant étranger, tel qu’il résulterait d’une relation consacrée par le mariage, avec un lien d’engagement unilatéral prise par cette tierce personne en faveur d’un ressortissant étranger ».

Le délégué du gouvernement estime en termes de duplique que la demanderesse admettrait elle-même qu’elle dépendrait du point de vue financier de Monsieur F., de manière à ne pas satisfaire à l’exigence légale d’assurer elle-même sa subsistance au Luxembourg. Il conteste que le ministre de la Justice aurait imposé un mariage et considère que le dit ministre se serait limité à appliquer la loi en refusant l’autorisation de séjour sollicitée.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :– qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

La condition que les moyens d’existence doivent être « personnels » fut insérée à l’article 2 précité par la loi du 18 août 1995 portant modification de la susdite loi du 28 mars 1972 et cet amendement fut justifié comme suit :

« L'objet de la modification proposée consiste à préciser que l'entrée et le séjour au Grand-Duché peuvent être refusés par le Ministre de la Justice à l'étranger qui ne dispose pas personnellement des moyens d'existence nécessaires pour supporter ses frais de voyage et de séjour. Il s'est en effet avéré que des étrangers sollicitant une autorisation de séjour versent souvent à l'appui de leur demande une déclaration de prise en charge signée par un tiers, qu'ils n'ont cependant pas de moyens personnels pour subvenir à leurs besoins. Le risque de voir tomber ces étrangers à la charge de l'Etat n'est pas hypothétique alors que l'expérience a montré que les personnes ayant signé une prise en charge soit la retirent après un certain temps soit ne sont financièrement pas en mesure de remplir les obligations qu'elles ont assumées. La modification du texte de l'article 2 consacre l'interprétation donnée à ce texte, interprétation dont le bien-fondé a d'ailleurs été reconnu par la jurisprudence du Comité du Contentieux du Conseil d'Etat » (projet de loi portant modification de la loi du 28 mars 1972, doc. parl. n° 4013, commentaire des articles, p. 7).

Il s’ensuit que c’est à bon droit que les décisions ministérielles déférées des 13 juin et 11 août 2003 retiennent qu’une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 134 et autres références y citées).

En outre, la seule preuve de la perception de sommes, même suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est en principe insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 140). Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi (cf. trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm 2003, v° Etrangers, n° 138 et autres références y citées).

En l’espèce, la demanderesse se prévaut seulement de la prise en charge des frais de son séjour émise par Monsieur F. et à son intention de continuer sa formation en secrétariat pour conclure à la possibilité d’assurer les frais de séjour au Luxembourg, mais reste en défaut d’établir concrètement la faculté d’occuper légalement un poste de travail à travers la production d’un contrat d’emploi et d’un permis de travail afférent. Elle n’a pas non plus soumis un quelconque autre élément de preuve de l’existence d’une autre source légale de moyens de subsistance, étant entendu que la prise en charge fournie par Monsieur F.

s’analyse comme une source de moyens procurés par un tiers ne rentrant pas dans la notion de moyens personnels.

S’y ajoute que la distinction entre autorisations de séjour provisoire et définitive ne se dégage aucunement de la loi précitée du 28 mars 1972 dont l’article 5 dispose par contre que l’autorisation de séjour valable pour une durée maximale de douze mois peut être refusée à l’étranger se trouvant dans l’une des hypothèses prévues à l’article 2 de la même loi, dont celle d’un défaut de moyens d’existence personnels suffisants, entraînant que le ministre peut valablement refuser l’autorisation pour un séjour dépassant trois mois sur base de ce motif.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de la demanderesse et que le recours sous analyse laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 22 mars 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17021
Date de la décision : 22/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-22;17021 ?

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