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18/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17180

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mars 2004, 17180


Tribunal administratif N° 17180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2003 Audience publique du 18 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17180 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2003 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Mitrovica (Kosovo-Etat de Se...

Tribunal administratif N° 17180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 novembre 2003 Audience publique du 18 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17180 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2003 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Mitrovica (Kosovo-Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrinne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 12 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 17 octobre 2003, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Laurence JACQUES, en remplacement de Maître Deidre DU BOIS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 28 avril 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 16 mai 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 28 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo en août 2002 pour aller à Sarajevo / Bosnie-Herzégovine. Vous y auriez vécu pendant plus de dix mois. Le 25 avril 2003, vous auriez pris place dans la camionnette d’un passeur pour venir au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 avril 2003.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire car vous auriez été trop jeune.

Vous exposez que vous seriez de père Turc et de mère Bochniaque. Au Kosovo, vous faisiez l’objet de provocations et d’insultes de la part des Albanais. Vous en auriez eu assez et vous seriez parti pour Sarajevo où vous auriez travaillé et loué une chambre. Vous ajoutez que vous ne vous étiez pas déclaré officiellement en Bosnie-Herzégovine et que vous craignez de retourner au Kosovo à cause des Albanais.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour entraîner d’office l’application de la Convention de Genève.

Je constate que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité au Kosovo, qu’une réelle crainte de persécution. Les provocations que vous auriez subies de la part des Albanais sont insuffisantes pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève, les Albanais ne constituant pas des agents de persécution au sens de la prédite Convention.

D’ailleurs, après les élections du 18 novembre 2001 au Kosovo, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, vous dites que vous n’avez fait qu’y « survivre ». Je constate cependant que vous y aviez loué un logement et que vous y travailliez. Vous y avez également vécu presque un an sans problème.

Il ne résulte donc pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible d’y rester.

De même, il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre ville de Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 29 septembre 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 17 octobre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 18 novembre 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 12 août et 17 octobre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté sa ville d’origine (Mitrovica), de même que sa région d’origine (Kosovo) parce que la vie lui aurait été impossible en raison de son appartenance à la minorité des turcs, lesquels seraient soumis à de nombreuses discriminations et persécutions, lui même ayant fait l’objet de menaces et d’insultes de la part d’Albanais en raison de son appartenance à ladite minorité et en raison du fait qu’il aurait entretenu des relations avec des Serbes et des Bochniaques. Il fait ajouter que les autorités chargées d’assurer le maintien de la sécurité publique ne seraient pas en mesure de le protéger efficacement et qu’il n’aurait pas pu trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures contentieuse et gracieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les craintes exprimées par le demandeur se révèlent générales et vagues et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, de sorte qu’elles se révèlent insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro.

Le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il y a encore lieu de préciser dans ce contexte que le fait de recevoir des menaces ou des insultes de la part d’individus inconnus, à le supposer vrai, ne saurait suffire à lui seul pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, dès lors que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine ainsi qu’un refus ou une impossibilité de pouvoir obtenir une protection d’une efficacité suffisante.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 18 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17180
Date de la décision : 18/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-18;17180 ?

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