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18/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17119

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mars 2004, 17119


Tribunal administratif N° 17119 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2003 Audience publique du 18 mars 2004

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17119 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, né le … à Oroshaza (Hongrie), de nationalité hongroise, demeurant actuellement en Hong...

Tribunal administratif N° 17119 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 octobre 2003 Audience publique du 18 mars 2004

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17119 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Oroshaza (Hongrie), de nationalité hongroise, demeurant actuellement en Hongrie, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 31 juillet 2003 ainsi que de la décision confirmative rendue sur recours gracieux du 10 septembre 2003, refusant d’accorder à Monsieur …, préqualifié, un permis de travail pour un emploi de carrossier auprès de la société O. S.àr.l. ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par déclaration datée au 16 avril 2003, Monsieur … et la société à responsabilité limitée O. S.àr.l. introduisirent auprès de l’administration de l’emploi (« ADEM ») une déclaration tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … pour un poste de carrossier.

Par arrêté du 31 juillet 2003, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa la délivrance d’un permis de travail « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes -

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 33 carrossiers inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

recrutement à l’étranger non autorisé ».

Le recours gracieux formé par le Consul Général Honoraire de la République de Hongrie pour le compte du demandeur suivant lettre du 24 août 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre en date du 10 septembre 2003, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée le 31 octobre 2003, un recours en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles précitées des 31 juillet et 10 septembre 2003.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche en premier lieu au ministre de s’être basé, dans sa décision, sur des formules standard, en se limitant à reprendre de manière abstraite les motifs prévus par la loi, sans préciser exactement les conditions particulières sur base desquelles la décision a été prise. Ainsi, l’administration aurait violé l’obligation de motivation et elle aurait mis le juge administratif dans l’impossibilité de contrôler la légalité des deux actes attaqués.

Il reproche également au ministre de ne pas avoir précisé de façon circonstanciée la prétendue disponibilité concrète de main d’œuvre apte à occuper le poste de carrossier auprès de la société à responsabilité limitée O. S.àr.l., eu égard à la spécificité du poste à occuper et des besoins concrets de l’employeur.

Concernant la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen, le demandeur estime que faute d’avoir pris en considération la situation et l’organisation du marché de l’emploi existant au moment où la décision a été prise ainsi que la situation particulière de l’employeur, ce motif ne permettrait pas de refuser un permis de travail.

Le demandeur fait encore exposer que le motif basé sur le recrutement non autorisé à l’étranger, sans contester les faits à sa base, ne saurait justifier de plein droit le refus d’un permis de travail.

Quant au motif de refus de délivrance d’un permis de travail tiré de la non-

déclaration de poste vacant, le demandeur soutient que ce motif ne saurait lui être opposé au motif que l’administration sanctionnerait ainsi le salarié pour les fautes commises par l’employeur.

Le demandeur fait encore valoir que les décisions déférées violeraient le principe de proportionnalité au motif que sa demande en obtention d’un permis de travail s’inscrirait dans une optique de demande de permis de séjour laquelle devrait permettre au demandeur de se rapprocher de sa mère résidant au Grand-Duché de Luxembourg. Ainsi, en lui refusant le permis de travail, l’administration lui ôterait toute possibilité de bénéficier d’un titre de séjour.

Enfin le demandeur soutient que les décisions ministérielles entreprises violeraient la liberté du commerce et de l’industrie telle que prévue par l’article 11 de la Constitution, le ministre enfreignant la liberté de l’employeur d’embaucher le demandeur.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen de l’absence de motivation suffisante, étant donné qu’il échet de rappeler qu’une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

En l’espèce, l’arrêté ministériel déféré du 31 juillet 2003 énonce quatre motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant utilement été complétée et explicitée par la lettre confirmative du ministre du 10 septembre 2003 ainsi que par le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses.

Il s’ensuit que le premier moyen laisse d’être fondé.

L’existence et l’indication des motifs ayant été vérifiées, il y a lieu d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier les décisions ministérielles déférées, étant relevé qu’une décision administrative individuelle est légalement motivée du moment qu’un des motifs invoqués à sa base la sous-tend entièrement.

En l’espèce, parmi les quatre motifs invoqués à la base du refus ministériel déféré figure celui du défaut d’autorisation quant au recrutement à l’étranger.

Le représentant étatique expose à ce sujet que Monsieur … n’a pas et n’a jamais eu d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il serait à considérer comme étant un étranger ayant été recruté dans un pays non membre de l’Espace Economique Européen.

Concernant le motif de refus basé sur le recrutement non autorisé à l’étranger de Monsieur …, il y a lieu de constater que conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvre se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art. 16).

En l’espèce, il est constant que Monsieur … a été recruté en Hongrie et qu’il n’a pas d’autorisation de séjour valable au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il a été recruté à l’étranger au sens de la disposition légale précitée et que partant, au vœu des dispositions de l’article 16.2 précité, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Monsieur … aurait préalablement dû solliciter en premier lieu l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

Dans la mesure où aucun élément du dossier tel que présenté en cause ne permet d’établir que le recrutement à l’étranger de Monsieur … fut dûment autorisé, les faits à la base du motif de refus sous examen sont à considérer comme étant établis en cause.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi précitée du 21 février 1976, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 à 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été décidé par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi précitée du 21 février 1976, fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Travail, n° 52).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant fondées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi précitée du 21 février 1976 ont été observées.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au-delà de toute question pouvant se poser en l’espèce au sujet de la disponibilité effective de ressortissants de l’Union européenne ou de l’Espace Economique Européen bénéficiant d’une priorité à l’emploi et susceptibles de pouvoir utilement occuper le poste de travail en question, l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat du non-respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) de la loi précitée du 21 février 1976, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

C’est encore à tort que le demandeur entend voir tenir en échec les obligations se dégageant de l’article 16 (2) de la loi précitée du 21 février 1976, en invoquant sa contrariété à l’article 11 (6) de la Constitution. En effet, s’il est vrai que l’article 11 (6) de la Constitution garantit la liberté du commerce et de l’industrie, il n’en demeure pas moins que la loi peut, en vertu de ladite disposition constitutionnelle, prévoir des restrictions, comme c’est le cas en matière de permis de travail, de sorte que le moyen d’annulation afférent laisse d’être fondé et est à écarter.

Le bien-fondé du susdit motif de refus ministériel n’est pas non plus affecté par le moyen basé sur le droit au regroupement familial, dans la mesure où le demandeur estime que le refus du permis de travail constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie familiale, toute considération afférente ne pouvant tenir en échec la législation spécifique en matière de permis de travail.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 18 mars 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17119
Date de la décision : 18/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-18;17119 ?

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