La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17095

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mars 2004, 17095


Tribunal administratif N° 17095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2003 Audience publique du 17 mars 2004

============================

Recours formé par Monsieur …, ,,, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2003 par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

. …, né le … à Skenderaj (Kosovo-Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, d...

Tribunal administratif N° 17095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2003 Audience publique du 17 mars 2004

============================

Recours formé par Monsieur …, ,,, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2003 par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Skenderaj (Kosovo-Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, agissant en remplacement de Maître Ender ULCUN, en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître NGONO YAH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 28 mai 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 12 juin 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 26 septembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 2 juin 2003 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 26 mai 2003 pour vous rendre en camionnette au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 28 mai 2003. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 mai 2003.

Vous dites être simple sympathisant du LDK, mais étant donné que votre famille aurait adhéré au LDK, vous seriez considéré comme membre de ce parti et de ce fait votre vie serait en danger. Vous dites qu’il y aurait des problèmes entre les membres du PDK et ceux du LDK, sans pourtant pouvoir préciser quels seraient ces problèmes, vous dites seulement que des membres du LDK se feraient tuer par des membres du PDK. Dans votre village, la majorité de la population serait membre du PDK. Votre père serait secrétaire du LDK à Kozica et étant donné que vous l’accompagneriez souvent, vous auriez peur de vous faire tuer comme cela aurait été le cas pour le fils de Tahir ZEMA. Vous vivriez avec la peur. Votre famille aurait décidé de déménager chez des cousins à Ulcinj au Monténégro.

Vous ajoutez que vous craignez également la vengeance d’une famille dont un membre aurait été tué par votre cousin.

Il y a d’abord lieu de relever que vous dites ne jamais avoir séjourné dans un pays de l’Union européenne alors que nos recherches ont abouti que vous êtes connu en Allemagne.

Ce mensonge rend vos dires peu crédibles.

A cela s’ajoute que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève et ne sauraient suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié. En effet, ni des membres du PDK, ni une famille ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La vengeance d’une famille ne constitue par ailleurs pas un acte de persécution. De simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro où vous avez de la famille et où votre famille s’envisage de s’installer pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 27 octobre 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 23 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur conteste avoir séjourné en Allemagne et il estime que le ministre de la Justice n’aurait pas rapporté la preuve afférente, le contraire résultant du rapport de police dressé le 28 mai 2003 suivant lequel une recherche sur les systèmes d’information SIS et EURODAC serait restée négative.

Sur ce, le demandeur soutient être un sympathisant du parti politique LDK, dont son père serait un membre actif et qu’ainsi, il serait exposé à des risques de persécution émanant des proches du parti politique PDK. Il fait également état d’un risque pour son intégrité physique émanant des membres d’une famille qui chercheraient à venger la mort d’un des leurs qui aurait été tué par son cousin au cours d’une rixe. Il ajoute encore que la situation générale régnant au Kosovo serait instable et tendue et qu’il y serait impossible d’exprimer ses opinions politiques et « d’afficher publiquement ses relations personnelles ». Enfin, il soutient que les forces internationales présentes au Kosovo seraient dans l’impossibilité d’assurer efficacement la sécurité publique et qu’il n’aurait pas pu trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, invalidant les allégations et contestations afférentes du demandeur, il appert d’un rapport de police dressé le 2 juin 2003, suite à des investigations additionnelles auprès des autorités allemandes au sujet du demandeur, que ce dernier a, antérieurement à sa venue au Luxembourg, séjourné en Allemagne, où il avait introduit une demande d’asile le 28 mai 2003 et où il fait l’objet d’un mandat d’arrêt en vue de son éloignement par le ALA Leinfelden-Echterdingen.

Or, des déclarations mensongères faites par un demandeur d’asile affectent sensiblement sa crédibilité générale.

En outre, force est de constater que les craintes exprimées par le demandeur se révèlent vagues et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible.

Au regard de cet état des choses, le tribunal arrive à la conclusion que les allégations du demandeur se révèlent insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro, le récit du demandeur traduisant en définitive tout au plus un sentiment général d’insécurité, mais est insuffisant pour justifier une persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Pour le surplus, même en faisant abstraction du défaut de preuves et du peu de crédibilité du récit du demandeur, le fait de recevoir des menaces de la part d’individus inconnus, opposants politiques d’un mouvement dont il est sympathisant, ou des menaces proférées par des membres d’une famille qui cherche à se venger d’un crime commis par un de ses cousins, ne sauraient suffire à eux seuls pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, les auteurs de pareilles menaces – relevant plutôt d’une criminalité de droit commun - ne pouvant être considérés comme des agents de persécution au sens de ladite Convention et le demandeur restant en défaut d’établir à suffisance de droit avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, ainsi qu’un refus ou une impossibilité de pouvoir obtenir une protection d’une efficacité suffisante de ceux-ci.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 17 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17095
Date de la décision : 17/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-17;17095 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award