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15/03/2004 | LUXEMBOURG | N°16774

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mars 2004, 16774


Numéro 16774 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 15 mars 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée X., … contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16774 du rôle, déposée le 28 juillet 2003 au greffe du tribunal admin

istratif par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avo...

Numéro 16774 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 15 mars 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée X., … contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16774 du rôle, déposée le 28 juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland ASSA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée X., représentée par son gérant actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le numéro …, tendant  à l’annulation d’une lettre du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 25 avril 2003 dans l’hypothèse où cette lettre devrait être qualifiée d’acte administratif à caractère réglementaire,  à la réformation, sinon à l’annulation de la même lettre ministérielle du 25 avril 2003 dans l’hypothèse où elle devrait être qualifiée de décision administrative individuelle,  à la réformation, sinon à l’annulation d’une lettre du même ministre du 21 mai 2003 dans l’hypothèse où cette même lettre devrait être considérée comme décision administrative individuelle,  à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de rejet au cas où les lettres prévisées des 25 avril et 21 mai 2003 ne seraient pas à qualifier d’actes administratifs à caractère réglementaire ou de décisions administratives individuelles, en ce que ces actes ont comporté le rejet de sa demande de remplacement de son gérant antérieur par Monsieur … en tant que gérant reconnu dans le cadre de son autorisation d’établissement pour l’activité de transport de marchandises par route;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2003 par Maître Roland ASSA pour compte de la société à responsabilité limitée X.;

Vu les pièces versées en cause et notamment les lettres critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jeanne FELTGEN, en remplacement de Maître Roland ASSA, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 janvier 2004.

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Par courrier de son mandataire du 29 janvier 2003, la société à responsabilité de droit luxembourgeois X., préqualifiée, désignée ci-après par la « société X. », introduisit auprès du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement une demande de « transfert de l’autorisation mentionnée en marge sur la personne de Monsieur …, lequel demeure à DK-… ».

La commission prévue par l’article 2 alinéa 1er de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, désignée dans la suite par la « loi d’établissement », émit le 24 février 2003 l’avis que Monsieur … satisferait aux conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles, mais qu’il « doit indiquer comment il compte assurer une gestion effective et permanente de la société alors qu’il réside en un lieu éloigné ». Par courrier du 28 février 2003 adressé au mandataire de la société X., le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par le « ministre », invita Monsieur … à prendre position quant à la question soulevée par ladite commission.

Suivant courrier du 7 mars 2003, le mandataire de la société X. soumit au ministre la prise de position suivante :

« Faisant suite à votre courrier du 28 février 2003 relatif à la demande sous référence, nous nous empressons de vous informer que Monsieur … assurera la gestion journalière permanente et efficace de la société X. sàrl de la manière suivante :

- lorsque la gestion journalière permanente et efficace nécessitera sa présence personnelle au Grand-Duché, Monsieur … sera présent au Grand-Duché ;

- lorsque sa présence personnelle physique ne sera pas nécessaire au Grand-Duché, la gestion permanente et efficace de la société sera assumée, par application de l’article 2 alinéa 3 de la loi du 30 juillet 2002, par Madame . ., demeurant à L-… en qualité de « personne autorisée » au sens du prédit texte.

Je joins à la présente la note par laquelle la mission susmentionnée a été confiée à Madame … ainsi que l’information par laquelle le mandat en question se trouve affichée dans les locaux de la société.

Monsieur … continuera bien entendu à assurer ses propres devoirs et notamment la surveillance appropriée des opérations à l’aide de l’équipement de son bureau, à savoir :

-

par téléphone ;

-

téléfax ;

-

courrier électronique ;

-

conférence téléphonique ou informatique, -

etc.

Nous savons que ces moyens ne permettent pas seulement la prise de contact instantanée, mais aussi le transfert quasi instantané de tous documents utiles, dans un délai inférieur à celui que nécessiterait à l’intérieur d’un même bâtiment le déplacement d’un étage à l’autre.

Comme les jours ouvrables, Monsieur … est joignable à l’adresse de DK-…indiquée, et en dehors, encore par l’intermédiaire de son téléphone portable, les conditions imposées par la nouvelle loi au niveau de la gérance nous semblent remplies.

Nous restons toutefois bien volontiers à votre disposition pour tous renseignements et toutes précisions complémentaires que vous souhaiteriez encore obtenir au sujet des développements qui précèdent ».

Suite à un nouvel avis de la susdite commission du 17 avril 2003 ayant retenu que « l’article 6 (3) de la loi du 30 juillet 2002 sur les transporteurs prévoit que la personne qualifiée doit assurer la gérance effective et permanente », le ministre prit position quant à la demande prévisée du 29 janvier 2003 par lettre du 25 avril 2003 conçue dans les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-

temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997, et à l’article 5 de la loi du 3 octobre 1991 concernant l’établissement des transporteurs de voyageurs et de transporteur de marchandises par route.

Il en résulte que le gérant Monsieur … remplit la condition de qualification professionnelle requise pour le transport de marchandises par route avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes .

Néanmoins, je vous signale qu’en principe, l’exigence d’une présence continue d’une personne autorisée à engager le transporteur à l’égard des tiers stipulée à l’article 2 in fine de la loi en question, est à nuancer et à rapprocher des dispositions de l’article 6 qui érige en principe qu’une personne physique dirige effectivement et en permanence l’activité de transporteur, personne physique qui doit satisfaire aux conditions d’honorabilité et de qualification professionnelles.

L’exception consiste à admettre – et là réside la finalité et l’utilité des dispositions de l’article 2 in fine – qu’en l’absence compréhensible, inévitable mais nécessairement occasionnelle de la personne physique sur laquelle repose l’autorisation d’établissement, la présence continue d’une autre personne en mesure d’engager le transporteur à l’égard des tiers est requise, cette personne devant alors simplement être investie du pouvoir afférent, quelles qu’en soient par ailleurs les modalités, sans devoir répondre à la condition légale de la qualification professionnelle (la condition de l’honorabilité sera toujours requise en vertu des dispositions de l’article 6(3) in fine qui prévoit que « le respect des conditions d’honorabilité professionnelle pourra toutefois également être exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de la société »).

Aussi, s’il s’avère d’emblée, après examen des éléments du dossier administratif, que la personne sur laquelle repose l’autorisation ne semble pas en mesure d’assurer la direction effective et permanente de l’activité de transporteur telle que requise par l’article 6 de la loi, les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles seront exigées de la personne autorisée à engager le transporteur en son absence, puisque cette absence n’est plus chronique mais vouée à être habituelle.

Les dispositions de l’article 2 in fine ne doivent pas avoir pour effet de dénaturer les dispositions légales relatives au fonctionnement d’une entreprise de transport, mais constituent une mesure de souplesse destinée à suppléer occasionnellement et provisoirement l’absence, compréhensible, de la personne sur laquelle repose l’autorisation.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif.

Veuillez agréer, .. ».

Le mandataire de la société X. réagit par courrier du 8 mai 2003 dans les termes suivants :

« Nous avons l’honneur de revenir à votre courrier du 25 avril 2003 dans l’affaire sous référence, courrier qui a retenu toute notre attention.

Sans reconnaissance préjudiciable aucune quant à l’exactitude en droit des développements que vous nous soumettez, nous nous permettons d’attirer votre attention sur le fait que ceux-ci présentent un caractère général et théorique et qu’ils ne sont suivis d’aucune application des principes énoncés à la situation concrète soumise à votre administration pour décision.

Dans ces conditions, votre courrier du 25 avril 2003 ne saurait être qualifié de décision administrative individuelle et ne saurait faire l’objet d’un recours administratif.

Nous vous prions dès lors de bien vouloir nous faire tenir, dans un prochain courrier, les conclusions que votre administration tire, par rapport à la demande sous référence, des principes énoncés dans votre courrier du 25 avril 2003 ».

Le ministre donna suite à ce courrier du 8 mai 2003 à travers une lettre du 21 mai 2003 formulée comme suit :

« J’ai l’honneur de me référer par la présente à votre lettre du 8 mai 2003 relative à votre demande d’autorisation d’établissement pour votre mandante la société X. SARL (v. réf. :

MT/KECL-SOCT-C41/) et qui fait suite à mon courrier du 25 avril 2003.

Je vous rappelle que mon courrier du 25 avril 2003 s’inscrit dans un cadre plus large, en l’occurrence nos divers et précédents échanges portant sur la question de la condition de l’établissement stable, et plus particulièrement la nécessité d’une direction effective et permanente des activités par le gérant remplissant les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles.

Mon courrier du 28 février 2003 vous invitait à indiquer comment le gérant de la société, Monsieur …, compte garantir cette gestion permanente et effective requise à la loi du 30 juillet 2002 concernant l’activité de transporteur, alors qu’il réside au Danemark.

Votre réponse du 7 mars 2003 confirmait que Monsieur … resterait en réalité au Danemark, et qu’une autre personne s’occuperait, de fait, de la gestion quotidienne sur place.

Ceci m’a conduit à clarifier la situation, pour ce dossier précis, avec le courrier précité du 25 avril 2003, qui s’ajoute cependant à un autre courrier du 1er avril 2003 en réponse à votre courrier du 24 février 2003 concernant, de manière générale et en dehors de tout dossier précis, les modalités de mise en œuvre des dispositions de la loi du 30 juillet 2002, et plus particulièrement l’exigence d’une présence continue d’une personne autorisée à engager le transporteur à l’égard des tiers stipulée à l’article 2 in fine de la loi en question.

Par conséquent, et en référence aux renseignements notamment transmis dans votre courrier du 7 mars 2003, ma réponse du 25 avril 2003 vous signifiait en conclusion d’une analyse juridique de la situation, que les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles seront exigées de la personne autorisée à engager le transporteur en son absence, puisque cette absence n’est plus sporadique mais vouée à être habituelle, en l’occurrence Madame …, ce qui constitue bien une décision administrative.

Je reste ainsi dans l’attente des pièces requises afin de pouvoir prendre une décision en ce qui concerne Madame …, afin de pouvoir octroyer le cas échéant, l’autorisation d’établissement sollicitée à votre mandante, sous la gérance de cette dernière, conjointement avec Monsieur … qui remplit déjà les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles suite à l’examen initial du dossier.

Il vous est donc actuellement loisible, soit de compléter le dossier de votre mandante en ce qui concerne les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles de Madame …, soit de contester ladite décision auprès du tribunal administratif.

Dans l’espoir d’avoir pu clarifier la situation et d’avoir précisé la portée de ma décision du 25 avril 2003, je vous prie de croire, Maître, à l’assurance de ma considération distinguée ».

Par requête déposée le 28 juillet 2003, la société X. a fait introduire un recours tendant à  l’annulation de la lettre précitée du ministre du 25 avril 2003 dans l’hypothèse où elle devrait être qualifiée d’acte administratif à caractère réglementaire,  la réformation, sinon à l’annulation de la même lettre ministérielle du 25 avril 2003 dans l’hypothèse où elle devrait être qualifiée de décision administrative individuelle,  la réformation, sinon à l’annulation de la lettre précitée du même ministre du 21 mai 2003 dans l’hypothèse où elle devrait être considérée comme décision administrative individuelle,  la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de rejet au cas où les lettres prévisées des 25 avril et 21 mai 2003 ne seraient pas à qualifier d’actes administratifs à caractère réglementaire ou de décisions administratives individuelles, en ce que ces actes ont comporté le rejet de sa demande de remplacement de son gérant antérieur par Monsieur … en tant que gérant reconnu dans le cadre de son autorisation d’établissement pour l’activité de transport de marchandises par route.

Dans la mesure où la société X. a spécifié la voie de recours par elle introduite d’après les différentes qualifications qu’on pourrait, d’après elle, conférer aux lettres ministérielles des 25 avril et 21 mai 2003, il y a lieu de définir la nature exacte de ces dernières.

Etant donné que la lettre ministérielle du 25 avril 2003 retient « que la personne sur laquelle repose l’autorisation ne semble pas en mesure d’assurer la direction effective et permanente de l’activité de transporteur telle que requise par l’article 6 de la loi », elle s’analyse, même en présence d’une formulation plutôt générale, en un refus d’autoriser le changement de gérant tel que sollicité par la société X. au profit de Monsieur … seul et de requérir que « les conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles seront exigées de la personne autorisée à engager le transporteur en son absence, puisque cette absence n’est plus chronique mais vouée à être habituelle ». Cette analyse du contenu de cette lettre se trouve confirmée par l’insertion dans son texte d’une instruction sur les voies de recours ouvertes à son encontre. La lettre ministérielle du 21 mai 2003 constitue partant une décision confirmative de celle du 25 avril 2003.

Les deux courriers précités des 25 avril et 21 mai 2003 constituant ainsi des décisions administratives individuelles, le recours sous analyse doit être considéré, d’après les énonciations mêmes de la requête introductive, comme tendant à la réformation, sinon à l’annulation desdites décisions, entraînant que les autres chefs de recours soumis sont à déclarer comme étant sans objet.

Etant donné que la loi du 30 juillet 2002 concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route, ci-après désignée par la « loi du 30 juillet 2002 », rend applicable, à travers son article 1er alinéa 2, la loi d’établissement dans la mesure où elle n’est pas incompatible avec ses propres dispositions et que ladite loi d’établissement instaure expressément dans son article 2 alinéa final un recours en annulation en la matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La société demanderesse fait valoir que sa lecture de la loi du 30 juillet 2002 serait « toute autre » que celle du ministre. Elle estime à cet égard que le gérant sur lequel repose l’autorisation d’établissement disposerait seul du pouvoir de décision lui confié conformément aux règles du droit des sociétés et que le législateur aurait posé l’exigence de la présence continue d’une personne autorisée à engager à la société à l’égard de tiers en raison seulement des difficultés causées par le fait que le gérant n’est pas nécessairement présent en permanence au siège de la société, de manière que l’autre personne remplacerait le gérant seulement sur base d’un mandat en étant liée aux instructions de ce dernier, seul investi des pouvoirs prévus par le droit des sociétés. Elle soutient que l’exigence de la présence permanente au siège de la personne sur laquelle repose l’autorisation d’établissement ne serait pas un moyen nécessaire pour lutter contre les sociétés « boîtes à lettres » et qu’elle serait anachronique au regard des moyens de communication et de transmission de données modernes. La société demanderesse affirme que la loi du 30 juillet 2002 n’imposerait pas expressément la condition d’une présence permanente au siège social de la personne sur laquelle repose l’autorisation d’établissement, tout comme cette condition ne se dégagerait pas des travaux parlementaires relatifs à cette loi, ceux-ci ne visant une présence permanente que du personnel administratif en ce qui concerne la gestion du parc automobile, mais estimant que la personne responsable devrait seulement être « joignable à tout moment » et donc pas être constamment présente au siège de la société. Elle en déduit que l’exigence lui opposée par le ministre ne trouverait pas d’appui dans la loi du 30 juillet 2002 et lui conférerait le pouvoir d’apprécier si la présence d’un gérant est habituelle ou sporadique pour imposer, dans cette dernière hypothèse, la substitution de la personne désignée par les associés par une tierce personne non investie des pouvoirs d’un organe social. La société demanderesse conclut que l’erreur dans le raisonnement ministériel reposerait « dans le double fait de considérer que la direction effective des affaires de la société ne peut s’effectuer et doit s’effectuer au siège social d’une part, que la présence au siège de la société et le fait d’y représenter la société à l’égard de tiers implique un pouvoir de direction effectif dans le chef de la personne autorisée d’autre part ».

La société demanderesse ajoute en termes de réplique que, sans reconnaissance préjudiciable quant au bien-fondé de la position ministérielle contestée à travers le recours sous analyse, son gérant a confié le 24 septembre 2003 par mandat les attributions de « personne autorisée » à Madame … demeurant à Luxembourg, qu’une nouvelle demande en délivrance d’une autorisation d’établissement a été introduite à la même date sur base de cette nouvelle situation et que le ministre aurait pris le 17 novembre 2003 une décision afférente lui imposant la nomination de Madame … à la fonction de gérante technique, décision contre laquelle elle entendrait introduire un recours contentieux.

Elle fait valoir que les conditions imposées par le ministre pour la reconnaissance de Monsieur … comme personne sur laquelle repose l’autorisation d’établissement reviendrait, sans l’énoncer expressément, à consacrer une exigence de résidence territoriale prohibée par le droit communautaire et ne répondant plus « aux modalités d’exercice de la gestion au troisième millénaire », tout en se prévalant à ce dernier égard de l’existence d’un échange de communications intensif entre Monsieur … et l’établissement au Luxembourg. Elle conteste que la « Kompetenzzuteilung » conférée par Monsieur … en sa qualité de gérant à Madame … l’investirait de pouvoirs de direction et de gestion quotidienne en l’absence du gérant, vu que cette délégation se confinerait à une mission de représentation du gérant et d’exécutante des décisions de celui-ci. Elle ajoute qu’une reconnaissance d’un pouvoir de décision propre dans le chef de Madame … serait encore contraire à l’article 191 de la loi modifiée du 15 août 1915 sur les sociétés commerciales qui conférerait aux associés d’une société à responsabilité limitée le pouvoir exclusif de nommer le ou les gérants, de manière qu’une délégation générale des pouvoirs de gestion de la société relèverait de la compétence des associés et non pas du gérant statutaire, et que l’interprétation ministérielle de la loi du 30 juillet 2002 reviendrait en fin de compte à obliger à nommer la personne sur laquelle reposerait alors l’autorisation d’établissement également gérant de la société.

La société demanderesse s’empare encore de l’article 11 (6) de la Constitution pour soutenir qu’en exigeant que toute société dont le gérant ne se trouve pas habituellement au Luxembourg devrait mettre en place une autre personne non pas chargée du remplacement du gérant et de l’exécution de ses instructions, mais investie d’un pouvoir de direction correspondant à celui du gérant, le ministre « étouffe les principes constitutionnels visés » dans la mesure où il rendrait impossible la gestion d’une société par un seul gérant, laquelle serait pourtant admise par la loi prévisée du 15 août 1915.

Aux termes de l’article 1er de la loi précitée du 30 juillet 2002 « nul ne peut, à titre principal ou accessoire, exercer la profession de transporteur de voyageurs par route ni celle de transporteur de marchandises par route au Grand-Duché de Luxembourg sans y disposer d'un établissement et sans être en possession d'une autorisation écrite délivrée par le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions les autorisations d'établissement et appelé ci-après «le ministre». (…) ».

L’article 2 définit la notion d’«établissement» comme étant « un siège d’exploitation fixe au Grand-Duché de Luxembourg de la personne physique ou morale exerçant la profession de transporteur de voyageurs ou de marchandises par route et qui y est imposable au sens du droit fiscal. Ce siège d’exploitation fixe se traduit par l’existence d’une infrastructure opérationnelle, par l’exercice effectif et à caractère permanent de la direction des activités du transporteur, par le fait d’y conserver tous les documents relatifs à ces activités ainsi que par la présence continue d’une personne autorisée à engager le transporteur à l’égard des tiers ».

Cette dernière disposition requiert en tant qu’élément indispensable d’un établissement d’un transporteur la présence continue d’une personne autorisée à engager le transporteur à l’égard de tiers. C’est à raison que la société demanderesse affirme que cette personne ne doit pas être nécessairement, dans l’hypothèse d’une société à responsabilité limitée, un gérant statutaire nommé par les associés, mais qu’il peut s’agir d’une personne bénéficiant d’une certaine délégation de compétence dans le cadre de son contrat d’emploi, étant donné que les travaux parlementaires afférents définissent la personne continuellement présente comme une « personne responsable de l’entreprise en matière de gestion journalière soit un gérant technique au sens de l’autorisation de commerce » (projet de loi concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route, doc. parl. 471410, rapport de la commission des classes moyennes, du tourisme et du logement, p. 10).

Force est néanmoins de constater que l’article 6 de la loi du 30 juillet 2002, en disposant dans son paragraphe (3) que, « si le requérant est une personne morale, la personne physique qui dirige effectivement et en permanence l’activité de transporteur doit satisfaire aux conditions prévues au paragraphe (1) sous a) [honorabilité professionnelle] et c) [capacité professionnelle] », impose la présence, au sein de la personne morale concernée et au-delà de la personne responsable visée à l’article 2 précité, d’une personne physique investie en tant qu’organe social de tous les pouvoirs nécessaires afin de pourvoir utilement au nom de cette personne morale à la direction de toutes les affaires liées à l’activité de transporteur. En définissant la direction comme effective et permanente, cette disposition requiert également, implicitement mais nécessairement, que la personne chargée de la direction des affaires doit du moins présenter, au moment de la demande en obtention d’une autorisation d’établissement, les assurances nécessaires pour justifier d’une présence du moins régulière à l’établissement luxembourgeois du transporteur au cours de l’exploitation.

En effet, « dans le droit d’établissement, le droit d’exercer une activité est … toujours lié à la localisation de l’entreprise » (projet de loi concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route, doc. parl. 4714, commentaire des articles, ad art. 2, p. 13) et la loi du 30 juillet 2002 se caractérise, au-delà de la transposition de certaines directives communautaires, « par le poids que les auteurs ont donné à la condition d’établissement du transporteur » (projet de loi concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route, doc. parl. 47144, avis du Conseil d’Etat, p. 2). S’il est dès lors vrai que les moyens modernes de télécommunication permettent dans une certaine mesure de pallier aux absences de la personne chargée de la direction des affaires et de maintenir le contact avec le personnel et les tiers, la pétition de vouloir assurer la direction effective des affaires d’une société opérant comme transporteur au Luxembourg à partir de l’étranger à l’aide des moyens de télécommunication et de ne se présenter physiquement au Luxembourg qu’en cas de nécessité ne répond pas à la finalité de la loi du 30 juillet 2002, étant donné que la réalité de l’établissement luxembourgeois d’un transporteur inclut nécessairement que la personne investie du pouvoir de direction et satisfaisant notamment à la condition légale de capacité professionnelle puisse directement et personnellement surveiller tous les aspects de la gestion de l’établissement.

Il ressort des développements qui précèdent qu’en l’espèce, le ministre a valablement pu refuser à la société demanderesse l’autorisation pour le remplacement de son gérant antérieur par Monsieur … en tant que gérant reconnu dans le cadre de son autorisation d’établissement pour l’activité de transport de marchandises par route, étant donné qu’il se dégage du courrier du 7 mars 2003 soumis au ministre pour compte de la société demanderesse que Monsieur … assurerait en principe « la surveillance appropriée des opérations à l’aide de l’équipement de son bureau » à partir du Danemark, donc sans être régulièrement présent au Luxembourg, et qu’en son absence « la gestion permanente et efficace de la société sera assumée, par application de l’article 2 alinéa 3 de la loi du 30 juillet 2002, par Madame … … en qualité de « personne autorisée » au sens du prédit texte ». Le ministre était de plus en droit de solliciter de la part de la société demanderesse de lui indiquer une autre personne qu’elle entendait nommer gérant et investir des pouvoir lui permettant de diriger de manière effective et permanente son activité de transporteur de marchandises par route.

La société demanderesse épingle néanmoins de manière pertinente le courrier ministériel du 21 mai 2003 en ce que son énoncé pourrait être compris comme imposant la nomination de Madame … en tant que personne sur laquelle reposerait l’autorisation d’établissement et, par voie de conséquence, sa nomination en qualité de gérant de la société demanderesse. En effet, l’article 191 de la loi précitée du 15 août 1915 confère aux seuls associés d’une société à responsabilité le pouvoir de nommer le ou les gérants de la société et la loi du 30 juillet 2002 ne restreint le choix des associés d’une telle société exerçant l’activité de transporteur qu’au niveau de la disponibilité de la personne concernée d’assurer une présence régulière à l’établissement luxembourgeois et au niveau de ses honorabilité et capacité professionnelles. En outre, il est loisible à la société en cause d’assurer sa gestion par le biais de deux gérants, dont l’un seulement serait mentionné dans l’autorisation d’établissement. Force est néanmoins de relever que Madame … était la seule autre personne mentionnée comme personne responsable dans le dossier de demande d’autorisation, de manière que le courrier du 21 mai 2003 doit être compris comme suggérant à la société demanderesse de vérifier la satisfaction par Madame … aux critères d’honorabilité et de capacité professionnelles et de la nommer éventuellement gérant afin de répondre aux exigences posées par l’article 6 (3) de la loi du 30 juillet 2002. En outre, il résulte du propre récit des faits de la société demanderesse qu’elle ne s’est pas méprise sur la liberté de choix lui relaissée et a soumis, par lettre du 24 septembre 2003, une nouvelle demande d’autorisation indiquant une autre personne, à savoir Madame …, comme « personne autorisée ».

Sur base des considérations qui précèdent, force est de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande du 29 janvier 2003 au motif que Monsieur … ne serait pas en mesure, d’après les indications fournies au dossier, d’assurer la direction effective et permanente de l’établissement de transporteur de la société demanderesse à défaut d’une présence régulière au pays et qu’il y aurait lieu de nommer un autre gérant répondant à cette exigence légale.

Quant au moyen de la société demanderesse fondé sur l’article 11 (6) de la Constitution disposant que « la loi garantit la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif », il ressort de la formulation même de cette disposition que si l’interdiction de l’exercice d’une profession libérale ne peut être décrétée, la liberté d’exercice d’une telle profession n’est garantie que pour autant que les prescriptions édictées par le législateur sont observées.

Or, force est au tribunal de constater que les dispositions de la loi précitée du 30 juillet 2002 ne restreignent pas directement le droit d’exercer l’activité de transporteur par route, mais se limitent à instaurer un encadrement de l’accès et de l’exercice de cette activité dans un but évident d’exercice sérieux de la profession, d’empêchement de pratiques frauduleuses et de protection des tiers, lequel but relève clairement de la protection de l’intérêt général et de l’ordre public. S’il est vrai que l’application prédécrite de la loi précitée du 30 juillet 2002 peut imposer une certaine contrainte au niveau de la gestion d’une société, elle ne saurait néanmoins être considérée comme constituant une restriction excessive à la liberté du commerce dans la mesure où elle trouve sa justification valable dans le finalité d’intérêt général poursuivie. Le moyen de la société demanderesse tiré de la violation de l’article 11 (6) de la Constitution doit dès lors être déclaré dénué de tout fondement au sens de l’article 6, alinéa 2, b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle et être rejeté.

En conclusion de l’ensemble des développements qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la société demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 15 mars 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16774
Date de la décision : 15/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-15;16774 ?

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