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10/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17678

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2004, 17678


Tribunal administratif N° 17678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2004 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17678 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité serbo-monténégrine, détenu au Centre de séjour proviso

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Tribunal administratif N° 17678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2004 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17678 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité serbo-monténégrine, détenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Justice du 26 février 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 mars 2004 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

Monsieur … ayant introduit au Luxembourg le 9 octobre 2003 une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, le ministre de la Justice, par une décision d’incompétence prise le 26 février 2004, notifiée le 5 mars 2004, a retenu qu’en vertu des dispositions de l’article 16 § 1 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant le critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement », ce n’est pas le Grand-Duché de Luxembourg qui est responsable du traitement de cette demande d’asile, mais le Royaume de Belgique.

En date du même jour, le ministre de la Justice prit à l’encontre de Monsieur … une décision ordonnant son placement, dans l’attente de son éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification.

La décision de rétention du 26 février 2004 est motivée comme suit :

« Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile en date du 9 octobre 2003 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 16 § 1 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités belges en date du 13 novembre 2003 ;

- que le délai de réponse prévu à l’article 20 § 1b du règlement précité a largement expiré ;

- qu’il s’ensuit que les autorités belges ont tacitement accepté le reprise en charge de l’intéressé ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

En date du 5 mars 2004, le ministre notifia encore au demandeur un arrêté de refus d’entrée et de séjour pris le même jour.

Par requête déposée le 2 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de rétention du 26 février 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 26 février 2004.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement ne seraient pas remplies dans son chef, étant donné qu’un éventuel danger de se soustraire à son transfert ne se dégagerait ni de la décision entreprise, ni du dossier administratif. Il estime au contraire que les circonstances de fait auraient dû amener le ministre à reconnaître l’absence de risque de fuite dans son chef, étant donné qu’il aurait informé les autorités luxembourgeoises dès son arrivée en date du 9 octobre 2003 du rejet de sa demande d’asile en Belgique et qu’il se serait rendu par la suite volontairement au ministère de la Justice pour se renseigner sur sa demande d’asile pendante au Luxembourg, de même que dans le cadre de la prorogation de son attestation d’asile, cela d’autant plus qu’il a été hébergé avec l’assentiment de l’autorité compétente dans la ville de Vianden.

Monsieur … soulève ensuite la violation de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, au motif que cet article viserait uniquement un étranger en situation irrégulière et non un demandeur d’asile qui a été autorisé à résider sur le territoire luxembourgeois pendant l’examen de sa demande d’asile, de sorte que le ministre n’aurait partant pas pu procéder à son placement.

Il conclut finalement au caractère disproportionné de la mesure entreprise en faisant valoir que le régime auquel il est soumis au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig serait identique à celui des détenus de droit commun, à l’exception du droit limité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail.

Le délégué du gouvernement relève en premier lieu que le demandeur avait déposé préalablement à sa venue au Luxembourg une demande d’asile en Belgique, demande qui a fait l’objet d’une réponse négative, et que le Luxembourg s’est déclaré incompétent le 26 février 2004 pour examiner la nouvelle demande déposée le 9 octobre 2003. Pour le surplus, les autorités belges auraient tacitement marqué leur accord avec une reprise en charge du demandeur et le transfert de Monsieur … vers la Belgique aurait été réalisé le 5 mars 2004.

En droit, le délégué soutient que la pratique montrerait qu’à partir du moment où un demandeur d’asile est informé de son rapatriement ou de son transfert vers un autre Etat membre, il essaierait de se soustraire à cette mesure en quittant son domicile et que la mesure de placement serait ordonnée afin d’assurer sa disponibilité au jour où la remise doit avoir lieu.

D’autre part, un personne ne pourrait plus invoquer sa qualité de demandeur d’asile pour justifier un droit de séjourner au Luxembourg à partir du moment où un autre Etat s’est déclaré compétent pour l’examen de la demande d’asile et lorsque cette personne ne serait pas en possession d’un autre titre de séjour elle serait à considérer comme se trouvant en séjour irrégulier, de sorte que le ministre pourrait prendre les mesures nationales applicables dans le cadre des préparations d’une mesure de refoulement.

Finalement le représentant étatique conteste encore le caractère disproportionné de la mesure de placement, étant donné que le demandeur aurait été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Il est constant en cause que suite à la demande d’asile introduite par Monsieur …, le ministre de la Justice a sollicité en date du 13 novembre 2003, par application du mécanisme de répartition de la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile en vertu du règlement, sa prise en charge auprès des autorités belges sur base de l’article 16, paragraphe 1 du règlement. Cette demande de prise en charge n’a pas connu de réponse, de sorte que par application de l’article 20 paragraphe 1 c) du règlement, les autorités belges ont tacitement accepté la reprise en charge de Monsieur …. Ce dernier a d’ailleurs fait l’objet d’une décision d’incompétence prise par le ministre de la Justice en date du 26 février 2004 et son transfert vers la Belgique a eu lieu le 5 mars 2004.

S’il est établi qu’en l’espèce ni la réformation, ni l’annulation de la décision litigieuse ne saurait avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé au particulier par les décisions en question (cf. trib. adm. 24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm.

2003, V° Procédure contentieuse, n° 14 et autres références y citées).

Il y a lieu encore d’examiner en l’espèce si Monsieur …, en tant que demandeur d’asile ayant fait l’objet d’une décision d’incompétence et ayant été transféré par application du règlement vers un autre Etat membre responsable de l’examen de sa demande, rentrait dans les prévisions légales de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée.

En effet, si le règlement a certes pour effet de restreindre le droit d’expulser ou de refouler les demandeurs d’asile, elle ne tient pas pour autant entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement, et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit le placement, sous certaines conditions, de l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement reste applicable (cf. trib. adm. 3 octobre 2002, n° 15405, confirmé par Cour adm. 17 octobre 2002, n° 15438C du rôle, Pas. adm.

2003, V° Etrangers, n° 286 et autres références y citées, page 246).

Une mesure de rétention administrative est soumise aux conditions découlant directement de l’article 15 prévisé qui dispose dans son paragraphe (1) comme suit :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Etant donné que Monsieur … n’a pas fait l’objet d’une mesure d’expulsion visée par l’article 9, il y a dès lors lieu d’examiner si, de par sa situation spécifique, il était susceptible d’être éloigné du territoire sur base d’une mesure de refoulement visée par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui énonce cinq catégories d’étrangers non autorisés à résidence susceptibles d’entrer en ligne de compte à cet égard, en l’occurrence ceux « 1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi [en question] ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. » D’après la définition donnée à l’article 2 d) du règlement, on entend par demandeur d’asile « le ressortissant d’un pays tiers ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ». Dans ce contexte, en raison de la ventilation des compétences nationales pour l’examen au fond d’une demande d’asile et de la considération qu’en l’espèce, la Belgique s’est tacitement déclarée compétente pour reprendre en charge Monsieur … dont il a déjà rejeté la demande d’asile et le Luxembourg incompétent pour en connaître, c’est à juste titre que le ministre de la Justice a considéré que, pour ce qui concerne la situation de Monsieur … au Luxembourg, il ne peut plus invoquer sa qualité de demandeur d’asile pour justifier un droit de séjourner au Luxembourg. Ainsi, à défaut d’autre titre de séjour, le ministre pouvait le considérer comme ne se trouvant pas en séjour régulier et en application des dispositions légales nationales prendre une mesure de refoulement à son égard.

Concernant le risque de soustraction à la mesure d’éloignement envisagée, il convient de relever que le demandeur ne se trouvait pas dans l’attente d’une décision de transfert vers un autre Etat en vue de l’examen de sa demande d’asile, entraînant a priori une absence d’un risque de fuite inhérent à sa situation, mais que cette demande, de son propre aveu, avait déjà été définitivement rejetée par les autorités belges et qu’il doit nécessairement craindre que lesdites autorités vont lui ordonner prochainement de quitter le territoire. Il s’ensuit que le ministre a valablement pu estimer, au vu de cette situation, que l’intéressé présente un risque de se soustraire à la mesure de transfert envisagée à partir du moment où il est informé de cette mesure, laquelle, en substance, a pour finalité de le remettre aux autorités belges qui sont susceptibles d’organiser dans un proche avenir son rapatriement vers son pays d’origine.

Partant, le ministre de la Justice a valablement pu décider de retenir Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en attendant son transfert vers la Belgique.

Finalement, il est constant que par application de la décision litigieuse, Monsieur … a été placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais audit Centre de séjour provisoire créé par règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, précité.

Concernant le caractère approprié du lieu de placement ainsi retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, précité, et modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Or, à défaut pour le demandeur d’avoir rapporté un quelconque élément tangible permettant de conclure au caractère inapproprié dudit Centre de séjour par rapport à son cas spécifique, le moyen afférent laisse d’être fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 mars 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17678
Date de la décision : 10/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-10;17678 ?

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