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10/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17583

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2004, 17583


Tribunal administratif N° 17583 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2004 Audience publique du 10 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17583 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2004 par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de M. …, né le … à Jablanica Rozaje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-montén...

Tribunal administratif N° 17583 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2004 Audience publique du 10 mars 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17583 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2004 par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Jablanica Rozaje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 2003, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée irrecevable, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 20 janvier 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Respectivement en date des 11 et 21 juin 1999, Madame …, agissant en son propre nom et pour compte de son fils mineur …, et l’époux de Madame …, Monsieur … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Après avoir auditionné les époux …-… sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile, le ministre de la Justice les informa par lettre du 3 août 2000 que leur demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de ce dernier rapport que vous, Monsieur, vous étiez en possession d'une « Duldung » en Allemagne, valable jusqu'au 30 juin 1999. D'après le LRA Waldeck-Frankenberg à Korbach, vous êtes parti pour une destination inconnue le 14 juin 1999. Vous étiez jusque-là en possession d'un passeport portant le numéro CG 198637.

En ce qui vous concerne, Madame, vous êtes entrée sur le territoire allemand en date du 29 mars 1995 et vous y avez résidé illégalement jusqu'au 6 juin 1999, date à laquelle vous avez été déclarée partie pour une destination inconnue. Contrairement à votre déclaration votre fils n'est pas né en 1996 à Rozaje au Monténégro mais à Frankenberg près de Korbach.

Je dois conclure, sur base des renseignements dont je dispose, que vous avez fait de fausses déclarations à votre arrivée ainsi que lors de l'audition par l'agent du Ministère de la Justice.

Ainsi vous n'êtes pas retournés au Monténégro en 1996, mais vous êtes venus en juin 1999 directement d'Allemagne au Luxembourg. De même, Monsieur, n'avez-vous pas déserté de l'armée comme vous l'avez affirmé lors de votre audition. Vous restez d'ailleurs en défaut d'apporter le moindre élément de preuve concernant votre séjour au Monténégro. En effet, ni l'appel, ni la convocation pour le tribunal militaire, n'ont exigé votre présence physique sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

Or selon l'article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, « une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d'asile d'être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile ». Par ailleurs, l'article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, précise dans son §2 b) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur a « délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l'asile ».

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme manifestement infondées au sens de l'article 9 de la de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux introduit par les époux …-… par l’intermédiaire de leur mandataire en date du 26 octobre 2000 à l’encontre de la décision ministérielle précitée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 10 novembre 2000, ils firent introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 10 novembre 2000 par requête déposée en date du 14 décembre 2000.

Par jugement du 25 avril 2001, le tribunal administratif reçut le recours dans la mesure des moyens de légalité invoqués, mais le rejeta pour manquer de fondement. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal considéra que le ministre de la Justice avait valablement pu retenir que les demandeurs avaient fait de fausses déclarations à l’appui de leur demande d’asile, qu’ils n’avaient pas pu fournir d’explication satisfaisante relativement à leur fraude et que leur demande tombait partant dans le cas d’ouverture prévu par l’article 6 alinéa 2 sub b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 prévisé permettant au ministre de la considérer comme manifestement infondée.

Suite à un appel introduit par les consorts …-…, la Cour administrative confirma le jugement du 25 avril 2001 par un arrêt prononcé le 28 juin 2001.

Le 24 juillet 2001, les consorts …-… déclarèrent renoncer à leur demande en obtention du statut de réfugié et vouloir retourner volontairement au Monténégro.

Le 21 novembre 2003, Monsieur … introduisit une deuxième demande d’asile auprès du service compétent du ministère de la Justice.

Suite à une nouvelle audition en date du même jour par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa nouvelle demande d’asile, M. … fit l’objet d’une décision en date du 28 novembre 2003 par laquelle le ministre de la Justice déclara la nouvelle demande en reconnaissance du statut de réfugié irrecevable aux motifs suivants :

« (…) Vous aviez déposé une première demande en obtention du statut de réfugié le 21 juin 1999.

Vous aviez invoqué à la base de votre demande votre insoumission puisque vous auriez refusé d’aller à la réserve, malgré un appel reçu.

Il était apparu, au cours de l’instruction du dossier, que vous disposiez d’une Duldung en Allemagne valable jusqu’au 30 juin 1999 et que vous aviez quitté ce pays le 14 juin 1999.

Votre demande avait été rejetée sur la base de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision fut confirmée par le Tribunal Administratif et par la Cour Administrative.

Vous avez finalement renoncé à votre demande d’asile en date du 24 juillet 2001.

Dans votre audition au Ministère de la Justice, le 21 novembre 2003, vous donnez, à l’appui de votre seconde demande, une version nouvelle.

Vous invoquez votre homosexualité et les problèmes qui y seraient liés dans votre pays d’origine. Vos parents et votre épouse vous auraient rejeté, vous auriez du mal à vous affirmer comme « gay » au Monténégro, ne pouvant ni afficher vos tendances ni fréquenter des établissement réservés aux homosexuels, comme il s’en trouve ici.

D’après l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « le ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d’après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent ».

Je constate d’abord que si, effectivement l’élément tiré de votre homosexualité, que vous apportez à la base de votre nouvelle demande, est nouveau par rapport à ceux invoqués lors de la première audition, ce nouvel élément n’est pas postérieur à la prise de décision négative du 3 août 2000, ni à l’arrêt de la Cour Administrative du 28 juin 2001.

De plus, le fait d’appartenir à une minorité, quelle qu’elle soit, n’entraîne pas d’office l’application de l’article 1er de la Convention de Genève. Le fait de ne pouvoir vous afficher comme homosexuel, de ne pouvoir fréquenter d’établissements réservés aux « gays », d’être mal vu de votre entourage ne saurait constituer une sérieuse indication d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention précitée (…) ».

Suite à un recours gracieux, introduit par le mandataire du demandeur le 15 décembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision d’irrecevabilité le 20 janvier 2004.

Par requête déposée le 16 février 2004, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 28 novembre 2003 et 20 janvier 2004.

L’article 15 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoyant expressément qu’en cas d’une décision ministérielle d’irrecevabilité d’une nouvelle demande d’asile, introduite postérieurement au refus définitif du statut de réfugié, faute d’éléments nouveaux, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (trib. adm.

28 mai 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Le recours subsidiaire en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, dans le cadre de ses moyens et arguments d’annulation lesquels peuvent seuls être pris en considération, le demandeur fait état de ce qu’il a toujours essayé de cacher son homosexualité pour ne pas être confronté à des discriminations et persécutions inévitables dans une « société musulmane imperméable et violente » et qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas en avoir fait état lors de sa première demande d’asile, mais seulement depuis qu’il a dû repartir dans son pays d’origine. Ainsi, selon le demandeur, sa situation aurait changé depuis qu’il a ouvertement affiché son homosexualité, laquelle devrait ainsi être considérée comme un fait nouveau et en outre comme une raison justifiant la reconnaissance du statut de réfugié pour être d’une gravité indéniable, un retour au Monténégro lui étant dorénavant impossible, sous peine de mettre en danger son intégrité physique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait à bon droit déclaré la demande de M. … irrecevable, faute d’éléments nouveaux, et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 15 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose dans son paragraphe 1er que « le ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d’après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent ».

En l’espèce, s’il est vrai que les craintes de persécution exprimées par le demandeur en raison de son homosexualité constituent un motif nouveau dont il n’a pas fait état antérieurement, il n’en reste pas moins que l’homosexualité ou la bisexualité du demandeur, dont il reconnaît avoir pris conscience bien avant son mariage, à la supposer établie, ne saurait être analysée en un fait ou une situation nouvelle qui s’est produit depuis la première procédure d’asile entamée par le demandeur. Le demandeur conscient de son orientation sexuelle aurait pu et dû en faire état dans le cadre de sa première demande d’asile et en omettant de faire état dès le début de l’intégralité des motifs à l’appui de sa demande d’asile, il a manqué à ses obligations de franchise et de collaboration.

En outre, même s’il est indéniable que l’homosexualité est dans beaucoup de pays de nature à engendrer des attitudes de refus voire des discriminations, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement l’existence d’indications sérieuses que dans son cas particulier, son orientation sexuelle l’a exposé ou risque de l’exposer à une persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a pu déclarer la nouvelle demande d’asile formulée par Monsieur … irrecevable et son recours est partant à rejeter pour manquer de fondement.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 10 mars 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17583
Date de la décision : 10/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-10;17583 ?

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