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10/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17106

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2004, 17106


Tribunal administratif N° 17106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2003 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame … …-…, né...

Tribunal administratif N° 17106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2003 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur … et consorts, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame … …-…, née le … (Kosovo), ainsi que de leurs enfants mineurs …, … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision confirmative du ministre de la Justice intervenue le 19 septembre 2003 suite à un recours gracieux dirigé contre une première décision du même ministre du 30 juin 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 9 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN au nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Arthur SCHUSTER, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er mars 2004.

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Le 7 mai 2003, la famille … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le 28 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ; tandis que Madame … fut à son tour auditionnée le 4 mars 2003.

Par décision du 30 juin 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame … de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 21 août 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 19 septembre 2003.

Le 29 octobre 2003, Monsieur et Madame … ont fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 19 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils auraient fait l’objet au Kosovo de persécutions diverses du fait de leur appartenance à la minorité bochniaque.

Monsieur … fait plaider à ce sujet qu’il serait entré au service de la « nouvelle armée kosovare » en tant que militaire de carrière avec le grade de capitaine, la nouvelle armée kosovare étant tenue de recruter des membres des diverses minorités ethniques, mais qu’il aurait, précisément du fait de son origine bochniaque, subi des menaces de la part de collègues. Il fait état à ce sujet de menaces répétées de la part d’hommes armés et de l’incendie de la maison familiale.

Les demandeurs font encore exposer qu’en leur qualité de bochniaque, ils auraient été privés de la liberté de circuler ainsi que de la liberté de parler ; d’une manière générale, les demandeurs décrivent la situation difficile dont souffriraient les Bochniaques au Kosovo.

Enfin, ils réitèrent formellement les moyens de fait et de droit plus amplement développés dans leur recours gracieux, moyens censés être reproduits pour faire partie intégrante du recours en réformation.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifie à elle seule l’octroi du statut de réfugié.

Il expose encore que la situation des Bochniaques au Kosovo se serait améliorée, de sorte qu’ils n’auraient plus à craindre des attaques directes contre leur sécurité. Plus particulièrement, en ce qui concerne les Bochniaques de la région de Pec, région dont sont originaires les demandeurs, il souligne, sur base du rapport de l’UNHCR de janvier 2003, qu’ils n’y seraient plus exposés à des risques pour leur sécurité physique et qu’ils y jouiraient de la libre circulation.

Le délégué du Gouvernement relève enfin que les demandeurs n’auraient apporté aucune preuve qu’ils risqueraient actuellement, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires du fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou politique.

Les demandeurs contestent l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il appartient aux demandeurs de présenter un récit crédible et cohérent. En l’espèce cependant, force est de constater que si Monsieur …, lors de son audition, a fait état de persécutions personnelles, culminant en des menaces émanant de militaires armés à son domicile et en l’incendie de sa maison, son épouse, entendue séparément, prétend ne pas avoir fait personnellement l’objet de persécutions, si ce n’est quelques chicaneries de la part de commerçants albanais : en particulier, il est flagrant que Madame … ne mentionne pas l’incendie de sa propre maison.

Il résulte encore des pièces versées en cause, et en particulier d’un rapport d’enquête de l’UNMIK que Madame … a seulement déclaré l’incendie d’une maison non occupée (« unoccupied house was destroyed by fire ») et que cette déclaration n’a été faite par Madame … ni en tant que plaignante, ni en tant que victime, de sorte que l’affirmation du demandeur selon laquelle sa maison - et par conséquent celle de son épouse - aurait été détruite par un incendie provoqué par des Albanais n’est guère crédible. En effet, de tels faits, à les supposer réels, n’auraient pas manqué de marquer l’épouse du demandeur, de sorte qu’elle en aurait fait état à l’occasion de son audition.

Le tribunal constate encore que les affirmations du demandeur relatives à l’agression armée dont il aurait fait l’objet à son domicile ne sont pas corroborées par son épouse, qui évoque seulement et sans autres détails une « attaque » et qui prétend tout ignorer de l’issue de l’affaire pénale (« Le cas est allé au tribunal mais je ne sais pas le résultat. On n’a pas essayé de questionner mon mari parce qu’il était tout le temps sous pression et nerveux »).

Il en résulte que le tribunal est amené à considérer que les incohérences relevées ci-dessus sont de nature à ébranler la crédibilité des demandeurs.

Concernant la crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions. En plus comme il s’agit de persécutions émanant de tiers et non pas de l’Etat, il appartient aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée datant de janvier 2003 du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse. En effet il est relevé que : « The general security situation of Kosovo Bosniaks remained stable with no incidents of serious violence . However, Bosniaks have been taken to the police station for questioning after speaking their language in public … Their situation in Peje /Pec and Prizren region, where the vast majority of Bosniaks reside, remains calm. » 1 A cela s’ajoute que les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque 1 UNHCR, Update on the situation of Roma, Ashkaelia, Egyptian, Bosniak and Gorani in Kosovo, UNHCR Kosovo January 2003, p. 5.

fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il convient de relever en outre que les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles ils n’auraient pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du pays et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne, notamment en se rendant auprès du frère de Madame … à Rozaje, qui, aux dires de la demanderesse, ne connaît pas de problèmes avec les Albanais.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17106
Date de la décision : 10/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-10;17106 ?

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