La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2004 | LUXEMBOURG | N°16997

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2004, 16997


Tribunal administratif N° 16997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16997 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, d...

Tribunal administratif N° 16997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 10 mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16997 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision implicite de refus du ministre de la Justice de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour formulée en date du 5 juin 2003, ainsi que contre un éventuel ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Sandra ESPOSITO, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er mars 2004.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Monsieur … s’étant vu refuser l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés au Grand-Duché de Luxembourg, il s’adressa, par courrier de son mandataire datant du 5 juin 2003, au ministre de la Justice pour solliciter l’octroi d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires en invoquant à l’appui de cette demande son faible niveau d’études, son état de santé psychique qui accuserait un sérieux retard, ainsi que la situation de précarité prévalant dans son pays d’origine tant au regard des traitements discriminatoires auxquels il y serait exposé que d’un point de vue économique, cette précarité justifiant entre autres son souhait de venir s’installer auprès de son frère Asad … établi au Luxembourg et disposé à lui offrir des conditions de vie plus dignes.

Cette demande, au-delà d’avoir fait l’objet d’un accusé de réception de la part du ministre par courrier du 25 juin 2003, n’ayant pas fait l’objet d’une décision administrative dans les trois mois, Monsieur … a fait introduire en date du 26 septembre 2003 un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision implicite de refus du ministre de la Justice de faire droit à sa demande formulée le 5 juin 2003.

Aucun recours en réformation n’étant prévu dans la présente matière, le tribunal est incompétent pour analyser le recours introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours le demandeur reproche au ministre une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit devant entraîner son annulation.

Il conclut plus particulièrement à une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par une loi du 29 août 1953, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », en faisant valoir qu’eu égard à sa situation particulière caractérisée par un retard psychique évident, ainsi que par un déficit intellectuel manifeste dans son chef, ainsi qu’aux conditions d’extrême précarité dans lesquelles lui-même et sa famille auraient dû vivre au Monténégro, il devrait bénéficier d’un droit au regroupement familial par rapport à son frère Asad … légalement établi au pays et seul membre de sa famille apte et disposé à s’occuper de lui et à lui offrir des conditions de vie plus dignes.

Il fait état en outre d’une promesse d’embauche qu’il aurait obtenu il y a quelques mois après son arrivée de la part de la société à responsabilité limitée « Toitures européennes » pour conclure à une violation de son droit au travail en ce que la décision litigieuse aurait pour conséquence d’empêcher toute perspective de travail dans son chef et le priverait de la chance de pouvoir honorer cette promesse d’embauche, ce qui serait incompatible avec l’article 11, alinéa 4 de la Constitution garantissant le droit au travail et assurant à chaque citoyen l’exercice de ce droit.

Dans ce même contexte le demandeur conclut à une violation de l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 prévoyant que « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisante de travail et à la protection contre le chômage », de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, ainsi que de l’article 1er de la partie I de la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961.

Le demandeur conclut finalement à une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et plus particulièrement de ses articles 3 et 6.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur n’est arrivé au Luxembourg qu’en juin 2002 et qu’auparavant il a vécu avec ses parents au Monténégro, de sorte qu’il n’y aurait pas eu cohabitation entre lui et son frère Asad pendant les dernières années, ledit frère étant arrivé au pays le 4 mai 1998 déjà. Quant à la situation particulière invoquée par le demandeur et ayant trait à son équilibre mental, le représentant étatique s’interroge sur la pertinence d’un certificat attestant un « retard psychique évident » établi par un médecin généraliste et signale que le retard mental ainsi invoqué n’aurait empêché Monsieur … ni d’effectuer son service militaire de 2000 à 2001 à Podgorica, ni de trouver un emploi potentiel. Il rappelle en outre qu’aussi bien les parents que deux autres frères du demandeur se trouvent actuellement au Monténégro pour conclure au caractère non fondé du reproche d’une violation du droit à la vie familiale du demandeur.

Quant au reproche d’une violation du droit au travail du demandeur ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le représentant étatique fait valoir que les principes ainsi invoqués ne seraient pas des principes absolus, mais devraient être lus à la lumière des dispositions légales nationales et notamment de celles sur l’immigration. Il relève que la décision litigieuse a comme base légale l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dont les conditions d’application seraient parfaitement remplies en l’espèce, le demandeur ne disposant pas de moyens d’existence personnels suffisants pour supporter les frais liés à son séjour au pays.

Dans son mémoire en réplique le demandeur réitère son argumentation relativement au caractère compréhensible de son souhait de s’établir auprès de son frère Asad au Luxembourg et signale qu’il aurait toujours entretenu des liens très étroits avec ce dernier qui est par ailleurs célibataire. Estimant que la décision attaquée serait constitutive d’une violation des dispositions relatives au droit au regroupement familial, il fait valoir que cette violation entraînerait automatiquement une violation de son droit au travail et que l’on ne saurait ignorer le lien étroit existant entre une décision de refus d’entrée et de séjour et l’impossibilité pour le demandeur d’obtenir un permis de travail. Il signale finalement que lui reprocher de ne pas être titulaire d’un permis de travail alors qu’il dispose d’une promesse d’embauche, tout en lui refusant l’entrée et le séjour au titre du regroupement familial reviendrait à ne lui laisser aucune chance de pouvoir s’installer en toute légalité sur le territoire luxembourgeois, ce qui reviendrait indiscutablement à une pratique administrative abusive proche du détournement de pouvoir.

Concernant le motif de refus invoqué à l’appui de la décision litigieuse tiré du défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef du demandeur, il y a lieu de relever qu’au vœu de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, « l’entrée et le séjour au Grand-

Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il s’en dégage qu’une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, II.

Autorisation de séjour, n° 134 et autres références y citées).

En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier soumis au tribunal que Monsieur … dispose de moyens personnels susceptibles de lui permettre de subvenir à ses besoins personnels au pays et il ne dispose pas non plus d’un permis de travail émis par le ministre du Travail et de l’Emploi, qui lui permettrait de s’adonner légalement à une activité salariée au Luxembourg.

Cette conclusion ne saurait être énervée par l’existence d’une simple promesse d’embauche invoquée par le demandeur, étant donné que cette dernière est insuffisante, en l’absence de permis de travail valable, pour justifier de l’effectivité de la possibilité de s’adonner à une activité salariée au Luxembourg.

Compte tenu de ces circonstance de fait, c’est dès lors en principe à bon droit et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la Justice a pu se baser sur le défaut de moyens personnels propres légaux au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur ….

Quant au moyen d’annulation basé sur un droit au regroupement familial dans le chef du demandeur, il échet de relever que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international, étant donné que celle-ci est le cas échéant de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il y a lieu de relever tout d’abord que le noyau de la vie familiale effective du demandeur reste localisé au Monténégro où demeurent tant ses parents que deux de ses frères et qu’au-delà d’arguments basés sur la situation générale dans son pays d’origine entrevue notamment d’un point de vue économique, le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance un état de dépendance spécifique justifiant la nécessité de sa présence auprès de son frère établi au Luxembourg plutôt qu’auprès du restant de sa famille.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le constat non autrement étayé en cause d’un déficit intellectuel dans le chef du demandeur, étant donné que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à une impossibilité s’en dégageant dans son chef de mener une vie familiale effective dans son pays d’origine.

Il se dégage au contraire des explications fournies en cause que le demandeur a pu aider ses parents dans le cadre de l’exploitation de leur petite ferme ce qui laisse entrevoir la possibilité dans son chef de travailler manuellement et de trouver ainsi sa place dans le contexte familial.

Le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en annulation n’étant pas juge de l’opportunité de la décision soumise à son contrôle, il y a dès lors lieu de conclure, sur base de l’ensemble des développements qui précèdent, qu’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas établie en cause.

Concernant la violation alléguée du droit au travail du demandeur ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, force est encore de constater que le ministre de la Justice, saisi d’une demande en obtention d’une autorisation de séjour, est amené à statuer par rapport à sa propre sphère de compétence et dans le cadre légal prétracé en la matière, de sorte qu’à partir du constat qu’il a pu valablement prendre la décision litigieuse sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, les moyens basés sur les conséquences s’en dégageant pour le demandeur au niveau de son droit au travail, ne sont pas directement litigieux en l’espèce.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience du 10 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge Mme Thomé, juge M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16997
Date de la décision : 10/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-10;16997 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award