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08/03/2004 | LUXEMBOURG | N°17052

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mars 2004, 17052


Numéro 17052 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2003 Audience publique du 8 mars 2004 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17052 du rôle, déposée le 16 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston STEIN, avocat à la Cour, assisté de Maître

Laurent LUCAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Numéro 17052 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2003 Audience publique du 8 mars 2004 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17052 du rôle, déposée le 16 octobre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston STEIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Laurent LUCAS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, employée privée, ayant demeuré à L-…, demeurant actuellement à B-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 27 avril 2001, lui notifié le 12 mai 2003, portant refus d’une carte d’identité d’étranger en sa faveur;

Vu le courrier de Maître Laurent LUCAS du 9 octobre 2003, déposé le 16 octobre 2003, informant le tribunal de ce que Madame … bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu le dossier administratif déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2003;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 22 octobre 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Astrid BUGATTO en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 février 2004.

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Par arrêté du 27 avril 2001, notifiée le 12 mai 2003 et confirmé sur recours gracieux le 4 septembre 2003, le ministre de la Justice refusa de délivrer à Madame Renée …, préqualifiée, la carte d'identité d'étranger et l'invita à quitter le pays dans le délai d'un mois, au motif qu'elle avait été condamnée le 6 juillet 1998 par le tribunal correctionnel du Havre (France) à une peine d'emprisonnement de quatre ans, dont deux avec sursis, du chef d'escroquerie et d'escroquerie réalisée en bande organisée, le 29 novembre 1974 par le tribunal correctionnel de Bruxelles à une peine d'emprisonnement de trois mois pour escroquerie, chèque sans provision et banqueroute simple, et le 2 octobre 1996 par le même tribunal à une peine d'emprisonnement de cinq ans et à une amende de 500.000,- francs belges du chef de faux en écritures et usage de faux, banqueroute, escroquerie, abus de confiance / détournement, recels, association de malfaiteurs, chèque sans provision, infraction en matière de comptabilité et comptes annuels des entreprises et insolvabilité frauduleuse et que par son comportement personnel elle est susceptible de troubler l'ordre public.

Par requête déposée le 16 octobre 2003, inscrite sous le numéro 17052 du rôle, Madame … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre l’arrêté ministériel du 27 avril 2001. Par requête du même jour, inscrite sous le numéro 17053 du rôle, elle a introduit une demande tendant à ordonner le sursis à exécution de la décision en question, laquelle demande fut déclarée fondée par ordonnance du président du tribunal administratif du 22 octobre 2003 qui autorisa Madame … à séjourner sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours au fond.

Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en matière de refus de carte d’identité d’étranger, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse s’empare de l’article 5 (3) de la loi prévisée du 28 mars 1972 pour soutenir que seule une condamnation à l’étranger pour crime ou délit donnant lieu à une extradition conformément à la loi et aux traités en la matière pourrait justifier un refus de la carte d’identité d’étranger. Elle expose à cet égard que la condamnation prononcée à son encontre en Belgique le 2 octobre 1996 aurait été relative à des infractions fiscales pour lesquelles le Luxembourg n’accorderait pas l’extradition en l’état actuel de la législation indigène et des conventions internationales applicables. Elle affirme que sa condamnation en France du 6 juillet 1998 aurait certes donné lieu à une extradition depuis le Luxembourg, mais qu’il résulterait des éléments du dossier afférent « que des chefs d’entreprises français ont organisé leur mise en liquidation de manière frauduleuse et qu’ils ont réussi à « faire porter le chapeau » à la requérante de leur « abus de biens sociaux » -

argent prélevé dans leurs entreprises et placé au Luxembourg ou à l’étranger. Il s’agit de 7 clients de l’entreprise de domiciliation que Madame … faisait vivre au Luxembourg avec une petite équipe d’employés ». La demanderesse ajoute qu’elle n’aurait pas fait appel contre ce jugement de condamnation du 6 juillet 1998 au vu de la détention préventive de deux ans déjà par elle subie à ce moment, de manière qu’elle aurait été libérée dès après cette condamnation.

La demanderesse fait valoir qu’elle n’aurait plus exercé d’activité en relation avec des sociétés depuis cinq ans, qu’elle aurait travaillé au C., qui aurait été informé de ses démêlées judiciaires, jusqu’à la date où elle se serait présentée aux autorités judiciaires belges, qu’elle aurait bénéficié en décembre 2001 d’une libération conditionnelle et que les conditions de cette libération auraient été revues par la commission afin de lui permettre de se domicilier au Luxembourg et d’accroître ses chances de trouver un emploi complémentaire à son emploi de garde des enfants d’une famille à X. impliquant son logement auprès de cette famille. Elle relève qu’elle aurait passé avec succès son permis de conduire en 2002 afin de pouvoir, dans le cadre de son emploi de garde d’enfants, faire les transports des enfants vers la crèche et à l’école et qu’elle assurerait pendant ses heures de midi un bénévolat auprès de la « Stëmm vun der Strooss » pour contribuer à la rédaction d’un magazine.

Etant donné encore que son casier judiciaire luxembourgeois serait vierge, la demanderesse déduit de l’ensemble de ces éléments qu’elle ne constituerait plus une menace pour l’ordre public et qu’elle aurait construit une nouvelle vie, de manière que l’arrêté déféré devrait encourir l’annulation.

Dans la mesure où la demanderesse est une ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne, en l’espèce la Belgique, et où, en exécution de l’article 37 de la loi précitée du 28 mars 1972 « le gouvernement est autorisé à prendre par voie de règlement grand-ducal les mesures nécessaires à l’exécution des obligations assumées en vertu de conventions internationales dans le domaine régi par la (…) loi (…) [précitée du 28 mars 1972 et que ces] règlements pourront déroger aux dispositions de la présente loi dans la mesure requise par l’exécution de l’obligation internationale », le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, faisant entrer dans son champ d’application les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace Economique Européen occupant un emploi salarié au Luxembourg ou qui exercent le droit de demeurer conformément aux règlements et directives CEE, doit trouver application en l’espèce.

Au vœu de l’article 3 alinéa 1er dudit règlement grand-ducal du 28 mars 1972, « les personnes mentionnées à l’article 1er sub 1 à 10, âgées de plus de quinze ans, qui se proposent de résider au Luxembourg plus de trois mois, obtiennent une carte de séjour ».

Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal précité « la carte de séjour ne peut être refusée (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Le refus d’entrée ou de délivrance du 1er titre de séjour ne peut intervenir pour raison de santé publique qu’en cas de constatation d’une des maladies ou infirmités suivantes: (…). Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

Concernant en l’espèce le comportement personnel de la demanderesse, il ressort des éléments du dossier soumis au tribunal que la condamnation prévisée de la demanderesse par jugement du 2 octobre 1996 du tribunal correctionnel de Bruxelles à une peine d'emprisonnement de cinq ans et à une amende de 500.000,- francs belges du chef de faux en écritures et usage de faux, banqueroute, escroquerie, abus de confiance / détournement, recels, association de malfaiteurs, chèque sans provision, infraction en matière de comptabilité et comptes annuels des entreprises et insolvabilité frauduleuse, portait sur une escroquerie de trois milliards de francs belges à travers un « carrousel à la TVA » auquel la demanderesse avait activement participé, raison pour laquelle elle a été condamnée au maximum de la peine prévue.

En outre, il se dégage d’un rapport du service de police judiciaire du 7 octobre 1996 que la demanderesse a fait l’objet au Luxembourg d’un procès-verbal n° 4/726/96 du service de police judiciaire pour infraction à l’article 327 du Code pénal et qu’elle était la personne principalement visée par une instruction pénale n° 1174/95 concernant une infraction contre la législation sur le secteur financier. Un autre rapport du service de police judiciaire du 18 août 1998 relate qu’un procès-verbal n° 4/1187/98 du 17 août 1998 avait été dressé contre la demanderesse du chef d’escroquerie, d’abus de confiance et d’ « infractions aux articles 66 et 67 du Code pénal ». Il s’ensuit qu’au-delà de l’affirmation de la demanderesse quant à son casier vierge au Luxembourg, elle a fait l’objet de procès-verbaux pour infractions à la législation luxembourgeoise.

Eu égard à ce dernier élément particulier, indépendamment des suites y conférées ultérieurement par les autorités judiciaires luxembourgeoises, ensemble les condamnations dont la demanderesse a fait l’objet à l’étranger et la gravité particulière des faits à la base de la condamnation encourue le 2 octobre 1996 par la demanderesse, le ministre pouvait valablement estimer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que le comportement personnel de cette dernière, tel que se dégageant de tous ces faits suffisamment récents, justifiait le refus du droit de séjourner dans son chef pour des raisons d’ordre public.

Il s’ensuit que le recours en annulation laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 8 mars 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17052
Date de la décision : 08/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-08;17052 ?

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