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01/03/2004 | LUXEMBOURG | N°16954

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 mars 2004, 16954


Numéro 16954 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2003 Audience publique du 1er mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16954 du rôle, déposée le 5 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bicevc (Kosovo/Etat de Se...

Numéro 16954 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2003 Audience publique du 1er mars 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16954 du rôle, déposée le 5 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bicevc (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mai 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 4 août 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par Maître Frank WIES pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 janvier 2004.

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Le 10 avril 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 25 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 22 mai 2003, notifiée par courrier recommandé du 26 mai suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 26 juin 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 4 août 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 22 mai 2003 et confirmative du 4 août 2003 par requête déposée le 5 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Kosovo et appartenant à la minorité des « Ashkali », expose qu’il aurait quitté une première fois son pays d’origine en 1994 pour l’Allemagne, où il aurait présenté une demande d’asile qui a cependant été rejetée, mais où il aurait continué à résider jusqu’à son rapatriement en 2001 sur base d’un statut de tolérance. Il fait valoir que depuis son départ en 1994, la situation dans son village d’origine de Kacanik aurait profondément changé en ce sens que la communauté « Ashkali » y implantée aurait complètement déserté Kacanik depuis la fin de la guerre du Kosovo en raison des persécutions subies de la part de la majorité albanaise et que plusieurs maisons appartenant à des « Ashkali » – dont sa propre maison – auraient été brûlées, de manière que lors de son retour en 2001, il aurait quitté le Kosovo par crainte pour sa personne et ses biens et se serait rendu à Skopje en Macédoine. Dans la mesure où sa situation en Macédoine aurait pourtant été très précaire tant sur le plan financier que celui de la sécurité, il aurait quitté également la Macédoine afin d’échapper à cette situation intenable. Le demandeur soutient que l’hostilité de son voisinage à Kacanik et le fait que sa maison a été incendiée devraient être qualifiés d’actes de persécution et il conteste la réalité d’une amélioration de la situation générale au Kosovo, telle qu’avancée par le ministre dans la décision entreprise du 22 mai 2003, en renvoyant à des rapports internationaux et à la jurisprudence ayant reconnu le statut de réfugié à des membres de la communauté des Roms du Kosovo, dont la situation serait similaire à la sienne.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 25 avril 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des «Ashkalis », s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à l’égard de la minorité « Ashkali » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place soient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place, d’autant plus qu’il a quitté le Kosovo depuis l’année 2001 pour s’installer en Macédoine. En ce qui concerne ce dernier pays il n’allègue aucune crainte raisonnable de persécution pour l’une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le contenu du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, auquel s’est référé le demandeur à l’appui de son recours, étant donné que le demandeur n’habite plus le Kosovo depuis 2001 et que les considérations avancées dans ledit rapport en relation avec la situation de sécurité de certaines minorités ont été avancées essentiellement au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo. Dans la mesure où un empêchement éventuel à un retour forcé ne saurait être assimilé automatiquement en un motif d’octroi du statut de réfugié, les considérations ainsi invoquées en cause ne permettent pas de conclure que la situation générale de la minorité des « Ashkalis » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à cette minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 1er mars 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16954
Date de la décision : 01/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-03-01;16954 ?

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