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25/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17616

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 février 2004, 17616


Tribunal administratif N° 17616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 25 février 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17616 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité iranienne, actuellement placÃ

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Tribunal administratif N° 17616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2004 Audience publique du 25 février 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17616 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité iranienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Justice du 9 février 2004 prononçant à l’égard de Monsieur … une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 février 2004.

Monsieur … s’est présenté au bureau des réfugiés du ministère de la Justice en date du 9 février 2004 pour solliciter l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Le système Eurodac ayant révélé, à partir des empreintes digitales de Monsieur …, l’existence de demandes d’asile antérieurement présentées, par l’intéressé, en Grèce et en Belgique, le ministre de la Justice prit en date du même jour un arrêté ordonnant le placement de Monsieur …, dans l’attente de son éloignement, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification.

La décision de rétention du 9 février 2004 est motivée comme suit :

« Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 9 février 2004 ;

- qu’il est signalé au système Eurodac comme ayant déposé une demande d’asile en Grèce en date du 16 août 2003 et en Belgique en date du 24 novembre 2003 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités grecques respectivement belges dans les meilleurs délais ;

- qu’en attendant l’accord de reprise un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 19 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de rétention du 9 février 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 9 février 2004.

Ledit recours, non autrement contesté sous ce rapport, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement ne seraient pas remplies dans son chef, étant donné qu’un éventuel danger de se soustraire à son transfert ne résulterait ni de la décision attaquée, ni du dossier administratif.

Il estime au contraire que les circonstances de fait auraient dû amener le ministre à reconnaître l’absence de risque de fuite dans son chef, étant donné qu’il s’est adressé spontanément au bureau d’asile pour y solliciter l’octroi du statut de réfugié et qu’il aurait lui-même informé l’autorité compétente de l’existence du dépôt d’une demande d’asile dans son chef en Belgique. Il signale par ailleurs avoir clairement indiqué lors de son audition qu’il est arrivé sur le territoire luxembourgeois en provenance de Belgique et que dès lors les autorités luxembourgeoises, en ce qu’elles auraient eu connaissance du pays européen à partir duquel il s’est rendu sur le territoire luxembourgeois, auraient pu procéder à son refoulement vers la Belgique sans autre forme de procédure.

Il conclut finalement au caractère disproportionné de la mesure entreprise en faisant valoir que le régime auquel il est soumis au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig serait identique à celui des détenus de droit commun, à l’exception du droit limité à la correspondance et de la dispense de l’obligation de travail.

Le délégué du Gouvernement conclut au bien-fondé de la décision litigieuse et signale qu’une demande de reprise en charge de l’intéressé a été sollicitée, tel que précisé à l’audience des plaidoiries, le 11 février 2004 auprès des autorités grecques avec la précision que l’intéressé se trouve actuellement en rétention administrative, de sorte qu’une réponse dans les meilleurs délais s’imposerait.

Il signale ensuite que Monsieur … fut placé non pas au Centre pénitentiaire de Schrassig, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, lequel serait à considérer comme un établissement approprié à cet effet. Concernant les contestations du demandeur relativement à l’absence de danger de soustraction à la mesure de transfert envisagée, il relève plus particulièrement que Monsieur … n’aurait reconnu l’existence de deux demandes d’asile antérieures qu’une fois confronté au résultat du système Eurdodac et que l’expérience aurait montré que dans des cas similaires, les demandeurs d’asile ont disparu dans la nature, mettant ainsi le ministre de la Justice dans l’impossibilité d’organiser le transfert vers le pays compétent pour l’examen de la demande d’asile.

Concernant ensuite l’impossibilité du refoulement, le représentant étatique précise que ce n’est pas la Belgique qui est compétente pour connaître de la demande d’asile, mais la Grèce, étant donné que la première demande d’asile a été déposée en Grèce. Il rappelle à cet égard que l’article 20 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 prévoit que l’Etat membre requis dispose d’un délai de deux semaines pour répondre à une demande de reprise en charge lorsque la demande est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, de sorte que le ministre de la Justice serait actuellement encore dans l’impossibilité de procéder au transfert de l’intéressé vers la Grèce, le délai de 2 semaines ne venant à expiration que le 26 février 2004.

Il est constant en cause que suite à la demande d’asile introduite spontanément par Monsieur … auprès des autorités luxembourgeoises, le ministre de la Justice a sollicité en date du 11 février 2004, par application du mécanisme de répartition de la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile de la Convention de Dublin et sur base du règlement CE n° 343/2003 prévisé, sa prise en charge auprès des autorités grecques auxquelles le même règlement reconnaît un délai de deux semaines pour répondre à une demande de reprise en charge formulée dans ce cadre.

Il est encore constant que Monsieur … a introduit une demande d’asile au Luxembourg et qu’il revêt dès lors à l’heure actuelle encore le statut de demandeur d’asile, étant donné que d’après la définition même de la Convention de Dublin on entend par demandeur d’asile « tout étranger ayant présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ».

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’examiner en l’espèce si Monsieur …, en tant que demandeur d’asile ayant antérieurement présenté des demandes d’asile en Grèce et en Belgique et se trouvant dans l’attente du résultat d’une demande de reprise en charge fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, adressée aux autorités grecques, rentre dans les prévisions légales de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

En effet, si la Convention de Genève a certes pour effet de restreindre le droit d’expulser ou de refouler les demandeurs d’asile, elle ne tient pas pour autant entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement, et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit le placement, sous certaines conditions, de l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement reste applicable (cf. trib. adm. 3 octobre 2002, n° 15405, confirmé par Cour adm. 17 octobre 2002, n° 15438C du rôle, Pas. adm.

2003, V° Etrangers, n° 286 et autres références y citées, page 246).

Une mesure de rétention administrative est soumise aux conditions découlant directement de l’article 15 prévisé qui dispose dans son paragraphe (1) comme suit :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Etant donné que Monsieur … n’a pas fait l’objet d’une mesure d’expulsion visée par l’article 9, il y a dès lors lieu d’examiner si, de par sa situation spécifique, il était susceptible d’être éloigné du territoire sur base d’une mesure de refoulement visée par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui énonce cinq catégories d’étrangers non autorisés à résidence susceptibles d’entrer en ligne de compte à cet égard, en l’occurrence ceux « 1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi [en question] ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre public. » Dans la mesure où la protection reconnue par la loi aux demandeurs d’asile et les conditions d’accueil leur garanties reposent sur la prémisse que les personnes concernées prétendant au bénéfice d’une protection internationale ne sont en règle générale pas en possession de papiers de légitimation et de moyens de subsistance, un demandeur d’asile, dûment enregistré au Luxembourg, n’est susceptible d’être éloigné du territoire par application de l’article 12 précité que de manière limitée et, par essence, ne saurait se voir opposer comme motif d’éloignement le fait d’être dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, voire de ne pas disposer de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ou encore de se trouver en état de vagabondage, sous peine de méconnaissance du principe même de la protection internationale lui accordée à partir du constat de son statut de demandeur d’asile.

Par ailleurs un demandeur d’asile confronté non pas à une mesure de refoulement vers son pays d’origine, mais se trouvant dans l’attente d’une décision de transfert vers un autre Etat en vue de l’examen de sa demande d’asile, ne saurait en principe être considéré comme présentant un risque de fuite inhérent à sa situation, étant donné qu’il en va a priori de son intérêt de voir statuer sur sa demande.

Il se dégage des considérations qui précèdent que ce n’est qu’en présence d’éléments permettant d’établir dans le chef du demandeur d’asile concerné une potentialité de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, pouvant le cas échéant prendre la forme d’un risque caractérisé de se soustraire à une mesure de transfert vers un autre pays responsable de l’examen de sa demande d’asile, que le ministre de la Justice, sur base d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour, peut ordonner la rétention d’un demandeur d’asile lorsque par ailleurs l’exécution de son transfert vers un autre pays responsable de l’examen de sa demande d’asile s’avère impossible en raison des circonstances de fait (cf. trib. adm. 4.2.2004, n° 17412 du rôle, www.

Etat.lu :9090/jugements).

Si l’impossibilité de procéder au transfert immédiat de Monsieur … vers un autre pays responsable de l’examen de sa demande d’asile est en l’espèce certes patente au regard du caractère encore pendant de la procédure de reprise en charge initiée par les autorités luxembourgeoises dans les meilleurs délais, force est cependant de constater que les affirmations, par ailleurs contestées en cause, du représentant étatique suivant lesquelles Monsieur … n’aurait reconnu l’existence de deux demandes d’asile antérieures qu’une fois confronté au résultat du système Eurodac sont insuffisantes, à elles seules, pour conclure à l’existence d’une potentialité de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics sous la forme alléguée d’un risque caractérisé de se soustraire à l’exécution du transfert envisagé vers la Grèce.

En effet, les pièces versées au dossier et plus particulièrement le rapport établi par le service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, en date du 9 février 2004 ne permet pas de dégager un comportement du demandeur qui aurait consisté à cacher volontairement, voire nier l’existence de demandes d’asile antérieures en Belgique ou en Grèce, ledit rapport se limitant à faire rapport des explications fournies par le demandeur dans ce contexte.

Au-delà des considérations ci-avant dégagées, force est cependant de relever qu’il se dégage des pièces versées au dossier que la demande d’asile présentée par le demandeur à Athènes en date du 16 août 2003 n’est actuellement plus en cours d’instruction mais s’est soldée par une décision de refus ayant emporté dans son chef, en septembre 2003, un ordre de quitter le territoire de la part des autorités helléniques.

Compte tenu du fait qu’en dépit de cet ordre de quitter le territoire, le demandeur s’est rendu d’abord en Belgique et ensuite au Grand-Duché de Luxembourg pour présenter à chaque fois une nouvelle demande d’asile, le ministre, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, a valablement pu estimer que l’intéressé présente un risque caractérisé de se soustraire à la mesure de transfert envisagée, laquelle, en substance, a pour finalité de le remettre aux autorités qui, dans un passé récent, lui ont ordonné de quitter le territoire.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu décider de retenir Monsieur … dans un Centre de séjour fermé destiné au séjour provisoire des étrangers en situation irrégulière en attendant son transfert vers la Grèce.

Concernant le caractère approprié du lieu de placement retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, et modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

A défaut pour le demandeur d’avoir rapporté un quelconque élément tangible permettant de conclure au caractère inapproprié dudit Centre de séjour par rapport à son cas spécifique, le moyen afférent laisse d’être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 février 2004 par :

M. Campill, vice-président Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17616
Date de la décision : 25/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-25;17616 ?

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