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20/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17602

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 février 2004, 17602


Tribunal administratif Numéro 17602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 20 février 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17602 du rôle, déposée le 18 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité iranienne, retenu actuellement au Centre de séjour...

Tribunal administratif Numéro 17602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2004 Audience publique du 20 février 2004

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17602 du rôle, déposée le 18 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité iranienne, retenu actuellement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 2004 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique extraordinaire du 20 février 2004 à 11.00 heures.

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Le 9 février 2004, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

1« Vu le rapport n° 15/0382/04/AR du 9 février 2004 établi par le Service de Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 9 février 2004 ;

- qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en Belgique en date du 5 août 2003 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités belges dans les meilleurs délais ;

- qu’en attendant l’accord de reprise un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 février 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Le recours est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la condition légale d’un risque de soustraction à la mesure de rapatriement ultérieure n’existerait pas dans son chef, au motif qu’il aurait spontanément introduit en date du 9 février 2004 une demande d’asile auprès du bureau d’asile du ministère de la Justice, tout en informant les autorités de l’introduction préalable d’une telle demande d’asile en Belgique et qu’aucun indice ne justifierait la conclusion quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef. Par ailleurs, un refoulement immédiat ne serait pas impossible, les autorités luxembourgeoises connaissant le pays européen à partir duquel il se serait rendu au Luxembourg et qu’il serait d’accord à y retourner volontairement « après sa rétention administrative ».

Il conclut encore à la violation de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, au motif que son placement constituerait une mesure disproportionnée au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle. Dans ce contexte, il fait valoir que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne constituerait pas un établissement approprié pour l’exécution d’une mesure de placement, le régime de rétention serait quasiment identique à celui applicable aux détenus de droit commun.

Le délégué du gouvernement rétorque que contrairement aux allégations contenues dans la requête introductive d’instance, le demandeur n’aurait pas spontanément avoué l’introduction préalable d’une demande d’asile en Belgique, mais qu’il aurait d’abord essayé de cacher ce fait et que ce ne serait qu’après avoir été confronté aux informations obtenues à 2partir du système Eurodac qu’il l’aurait reconnu. Le délégué ajoute encore que l’expérience aurait montré que les personnes qui ne déclarent pas spontanément avoir déjà formulé antérieurement des demandes d’asile dans un autre pays disparaîtraient « généralement dans la nature » et que les autorités luxembourgeoises seraient dans l’impossibilité de procéder au transfert vers l’Etat compétent pour connaître de la demande d’asile. Sur ce, le délégué du gouvernement estime que le demandeur présenterait un danger de se soustraire à la mesure d’éloignement du fait qu’il aurait délibérément menti lors du dépôt de sa demande d’asile.

L’impossibilité matérielle quant à elle existerait bien, étant donné que les autorités belges disposeraient d’un délai de quinze jours pour prendre position par rapport à la demande de reprise formulée par le ministre de la Justice.

Par ailleurs, le représentant étatique soutient que le Centre de séjour provisoire constituerait un établissement approprié au sens de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans le chef du demandeur.

Force est de constater qu’il est apparu au cours de l’instruction de la demande d’asile déposée par le demandeur, qu’il avait, préalablement à sa venue au Luxembourg, présenté une demande d’asile en Belgique, de sorte que le mécanisme de reprise prévu en la matière par le règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers a pu être déclenché, étant précisé encore que s’il est vrai que la Convention de Genève contient des mesures qui restreignent le droit d’expulser ou de refouler des demandeurs d’asile, elle ne tient pas entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit le placement, sous certaines conditions, d’étrangers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement.

Compte tenu du fait que dans un premier temps, le demandeur avait volontairement caché qu’il avait présenté une demande d’asile antérieure en Belgique, ses contestations non autrement étayées par un élément de preuve tangible étant insuffisantes pour contredire le rapport dressé par le commissaire de police G.A. lors de l’audition du demandeur en date du 9 février 2004, et eu égard au fait qu’il ne saurait dès lors être exclu que l’intéressé tentera d’éviter dans la mesure du possible son éloignement du territoire luxembourgeois, le ministre de la Justice a valablement pu décider de le retenir dans un Centre de séjour fermé destiné au séjour provisoire des étrangers en situation irrégulière en attendant son éloignement.

Concernant le caractère approprié du lieu de placement retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, et modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

3 Lors des plaidoiries, le mandataire du demandeur a soutenu plus particulièrement que les conditions actuelles régnant au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig seraient inacceptables, ledit Centre étant surpeuplé, 50 étrangers y étant retenus alors qu’il n’y aurait que de la place pour une trentaine, que les retenus seraient obligés de côtoyer les détenus de droit commun, sinon ils seraient contraints à demeurer dans la pièce qui leur a été assignée, que le contact avec les délinquants de droit commun aurait également lieu lors de l’utilisation des douches, le mandataire soutenant que les conditions seraient insupportables pour son mandant, lequel aurait déjà fait une tentative de suicide. Sur ce, il a invité le tribunal à prendre inspection du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour vérifier les conditions actuelles dans lesquelles la rétention du demandeur aurait lieu.

Le délégué du gouvernement a soutenu qu’elle ne saurait ni confirmer ni infirmer les déclarations faites en nom et pour compte du demandeur et qu’elle se joindrait à la demande de procéder à une visite des lieux au susdit Centre.

Compte tenu des nature et gravité des reproches formulés par le mandataire du demandeur, le tribunal a jugé indispensable de procéder à une vérification personnelle des conditions actuelles dans lesquelles a lieu la rétention de l’intéressé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et a suspendu l’audience jusqu’à 14.00 heures pour se transporter sur les lieux et pour l’y continuer, dans le respect du contradictoire, en présence des mandataires des parties au procès.

Lors de ladite mesure de vérification personnelle des faits, le tribunal a pu se rendre compte de visu des conditions générales dans lesquelles les rétentions se passent et particulièrement de celles du demandeur, étant relevé que le tribunal a pu rencontrer et auditionner les directeur, directrice-adjointe et différents agents et que le vice-président, délégué à cette fin, a rencontré et entendu le demandeur - qui s’est exprimé en langue anglaise -, en présence de son mandataire et du délégué du gouvernement.

Le résultat de cette visite des lieux peut être résumé comme suit :

-

le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière constitue en fait un étage d’un des bâtiments du Centre pénitentiaire de Schrassig, spécialement affecté à cette fin ;

-

ledit Centre, sauf circonstances particulières inhérentes aux retenus, peut fonctionner dans des conditions normales lorsqu’il est appelé, à accueillir une vingtaine de retenus, les conditions restant acceptables jusqu’à concurrence d’une limite d’une quarantaine de retenus ;

-

le reproche que les retenus seraient contraints à entrer en contact avec des détenus de droit commun à chaque fois qu’ils désirent utiliser les préaux prévus pour les promenades à l’extérieur s’est révélé injustifié, le directeur ayant expliqué que les retenus ont à leur disposition un préau leur réservé exclusivement pour faire des promenades pendant une heure par jour et que seulement s’ils désirent sortir plus longtemps ou faire d’autres activités (p. ex.

sport), ils doivent se déclarer d’accord à côtoyer les détenus condamnés pour 4une infraction de droit commun, la gestion des sorties et activités devenant impossible autrement ;

-

le directeur a en outre expliqué que les douches sont, pour ce qui concerne l’étage spécialement affecté aux retenus, toujours réservées exclusivement à l’usage des retenus, l’utilisation de douches ensemble avec d’autres détenus n’apparaissant incontournable que lorsque le Centre doit accueillir plus d’une quarantaine de détenus ;

-

le demandeur quant à lui est actuellement logé à l’étage réservé aux retenus, ceci dans une cellule qu’il partage avec deux autres personnes, les cellules dudit étage étant par ailleurs ouvertes pendant la journée et les retenus peuvent librement y circuler ;

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que si le demandeur s’est lui même infligé une blessure, elle doit être considérée comme légère et comme un signal de détresse qu’on ne saurait ignorer, le tribunal a été informé qu’il a été soigné et qu’il est suivi médicalement et psychologiquement ;

-

que si les retenus sont fouillés lors de leur entrée au Centre, cette mesure est objectivement justifiée par des raisons de sécurité tant personnelle de la personne concernée, que des personnes se trouvant audit Centre.

En guise de conclusion, s’il est vrai que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière connaît des problèmes à cause de la nécessité d’accueillir un nombre toujours croissant de personnes et que la surpopulation doit être évitée dans la mesure du possible, il n’en reste pas moins que pour ce qui concerne la personne du demandeur, dans les conditions dans lesquelles sa rétention s’opère actuellement, sa situation n’est certes pas la meilleure qui soit possible, mais elle est à considérer somme toute comme acceptable.

Ainsi, comme le demandeur est en séjour irrégulier au pays et qu’il n’a fait état d’aucun élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire, son placement audit Centre est partant à confirmer.

Son moyen afférent est partant à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

5 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 février 2004 à 17.00 heures par le vice-

président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17602
Date de la décision : 20/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-20;17602 ?

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