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18/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17535

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 février 2004, 17535


Tribunal administratif N° 17535 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17535 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellemen

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Tribunal administratif N° 17535 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17535 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 2003 déclarant manifestement infondée la demande en obtention du statut de réfugié introduite par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 février 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître François MOYSE au greffe du tribunal administratif le 13 février 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 février 2004.

Monsieur … introduisit le 20 octobre 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 28 novembre 2003 lui notifiée en mains propres le 31 décembre 2003 de ce que sa demande est refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Il indique plus précisément que le fait de ne pas s’être présenté au ministère de la Justice au rendez-vous fixé pour l’audition constitue une des omissions prévues par l’article 6 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile. Il retient que « de ce manque flagrant de coopération, je déduis que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions susceptibles de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. Dès lors, votre demande ne correspond à aucun des critères de fond prévus par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 28 novembre 2003.

Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit que seul un recours en annulation peut être introduit contre les demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le tribunal est incompétent pour analyser le recours en réformation introduit à titre principal. Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Monsieur … ne conteste pas qu’il a été convoqué pour l’audition, concernant sa demande d’asile, en date du 18 novembre 2003 à 10.30 heures à la galerie Kontz à Luxembourg-ville. Il explique cependant qu’il se serait présenté à cette audition avec un retard substantiel à cause du vol de son titre de transport gratuit lui mis à disposition, de sorte qu’il aurait dû se procurer péniblement un billet de train. Le demandeur ne conteste pas non plus que son audition a été reportée à la date du 19 novembre 2003 à 9 heures du matin.

Il avoue qu’il ne s’est pas rendu à ce rendez-vous, mais fait valoir qu’il se serait retrouvé dans l’impossibilité matérielle de se rendre en date du 19 novembre 2003 à la galerie Kontz étant donné que dans la nuit du 18 au 19 novembre 2003, il aurait fait une grave chute dans les escaliers de son domicile et qu’il aurait été obligé de garder le lit en date du 19 novembre 2003. Il ajoute qu’il aurait même dû se rendre en date du 20 décembre 2003 aux urgences à la clinique d’Eich.

Quant au fond il fait valoir que l’intégralité de sa famille notamment ses parents, auraient été massacrés lors de la guerre irakienne en 1992 et qu’il se serait réfugié au Liban en 1995. Il relate qu’il aurait tenté récemment de partir du Liban pour s’établir de nouveau en Irak, mais qu’au vu de nombreuses menaces et atteintes aux droits de l’homme, son retour au pays lui aurait été impossible, de sorte qu’il se serait réfugié à ce moment-là au Luxembourg.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que Monsieur … se serait présenté à l’audience prévue pour le 18 novembre 2003 avec presque 4 heures de retard sans par ailleurs présenter aucune explication valable. Il ajoute qu’une seconde chance lui fut néanmoins accordée et que l’audition a été refixée au lendemain 19 novembre 2003 à 9 heures. Etant donné que le requérant a de nouveau été absent à cette date, le ministre a rejeté sa demande d’asile comme étant manifestement infondée en qualifiant cette attitude d’absence de coopération manifeste. Quant à l’explication fournie par le demandeur, il fait valoir qu’il ne ressortirait d’aucune pièce du dossier administratif que Monsieur … aurait été dans l’impossibilité de se présenter le 19 novembre 2003 à l’heure convenue et que même à supposer qu’il aurait fait une chute dans les escaliers de son domicile, il lui aurait appartenu d’en informer le ministre de la Justice dans les meilleurs délais. Il ajoute dans ce contexte que le fait que Monsieur … se serait rendu aux urgences le 20 décembre 2003, soit un mois plus tard, sans que cette visite aux urgences ne soit circonstanciée par un certificat médical, ne saurait constituer une preuve valable de son impossibilité de se rendre à l’audition du 19 novembre 2003. Il conclut que le ministre de la Justice, à défaut d’être en possession d’une excuse ou d’une explication quelconque, aurait valablement pu conclure que le requérant aurait omis de manière flagrante de s’acquitter de son obligation de coopération et qu’il aurait en effet appartenu à Monsieur … d’informer le ministre de la Justice des raisons de son absence et le cas échéant des motifs de persécution qu’il comptait invoquer, faute de quoi le ministre de la Justice n’aurait pas eu d’autre choix que de rejeter sa demande d’asile comme étant manifestement infondée.

Dans son mémoire en duplique le demandeur fait valoir que contrairement aux affirmations de Monsieur le délégué du Gouvernement il aurait valablement justifié son retard. Quant à son absence à l’audition refixée au 19 novembre 2003, il estime également qu’il aurait fourni des explications valables y relatives. Il ajoute qu’il n’aurait jamais essayé de se soustraire à son audition étant donné qu’il aurait été légitimement empêché de se présenter aux dates convenues. Il souligne que, dans un premier temps, il aurait connu de sérieux soucis de santé et que, dans un deuxième temps, il se serait attendu à recevoir de nouveau une nouvelle date pour une convocation à une audience. Il fait valoir que le fait qu’il n’aurait pris contact avec le service des réfugiés avant le 31 décembre 2003 résulterait d’un quiproquo de sa part et que son intention n’aurait été à aucun moment de refuser la coopération avec ledit service. Il estime que cette malheureuse circonstance ne devrait pas le priver de faire valoir ses motifs de persécution et de voir analyser sa situation in concreto et qu’il serait contraire aux droits de l’homme de l’empêcher d’exposer ses arguments et de lui refuser tout soutien pour le simple motif qu’il ne s’est pas présenté à une audition et qu’il n’a expliqué son absence qu’antérieurement, ceci d’autant plus qu’il n’aurait pas pu s’y présenter pour des raisons médicales.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée … si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

L’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose :

« 1) Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

2) Tel est notamment le cas lorsque le demandeur a : …f) omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asil ; … 3) Si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou au recours abusif aux procédures en matière d’asile lui reproché, sa demande d’asile ne sera pas automatiquement rejetée ».

En l’espèce il est constant que Monsieur … a été convoqué le 5 novembre 2003 pour l’audition concernant sa demande d’asile fixée au 18 novembre 2003. Il est également constant qu’il s’est présenté le 18 novembre 2003 avec un retard considérable, de sorte que l’audition a été refixée au 19 novembre 2003 à 9 heures du matin. Il est de même constant qu’en date du 19 novembre 2003 il ne s’est pas du tout présenté, sans pour autant présenter d’excuse en temps utile, et qu’il a seulement repris contact avec le service des réfugiés en date du 31 décembre 2003.

« Il échet de constater à la lecture de la loi précitée du 3 avril 1996 que l’audition d’un demandeur d’asile par un agent du ministère de la Justice, afin de connaître les motifs sur lesquels ledit demandeur se base afin de se voir reconnaître le statut de réfugié constitue une étape importante et essentielle dans le cadre de l’instruction administrative, à laquelle le demandeur d’asile doit obligatoirement se soumettre, pour mettre le ministre de la Justice en mesure de prendre une décision en connaissance de cause des éléments de fait. » (Cour adm. 15 janvier 2004, n° du rôle 17331C, sous www.etat.lu:9090/jugements).

En l’espèce il y a donc lieu de retenir que Monsieur …, en se présentant à la première audition avec un retard considérable et en ne se présentant pas du tout à la deuxième audition, a omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes lui incombant dans le cadre de la procédure d’asile.

Il convient dès lors au tribunal d’examiner en application de l’article 6, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 cité ci-avant si, en l’espèce, le demandeur a donné une explication satisfaisante à son comportement, de sorte que sa demande d’asile aurait pu ne pas être automatiquement rejetée.

A titre d’excuse Monsieur … avance qu’en date du 18 novembre 2003 il se serait fait voler son titre de transport gratuit et qu’en date du 19 novembre 2003 il aurait dû garder le lit, à cause d’une chute dans les escaliers de son domicile dans la nuit du 18 novembre au 19 novembre 2003. Le tribunal constate que ces explications, lesquelles ne sont étayées par aucune pièce ou attestation, sauf l’indication d’une visite aux urgences en date du 20 décembre 2003, sans qu’il ne résulte de cette pièce une quelconque relation entre cette visite médicale et la prétendue chute, ne sauraient être qualifiées d’explications satisfaisantes. A cela s’ajoute que le demandeur n’a pas prévenu, le jour même ou dans les jours suivants, le service responsable de son retard et de sa prétendue indisposition de se rendre à l’audition refixée au 19 novembre 2003 et qu’il a attendu ensuite plus d’un mois avant de recontacter ledit service.

De tout ce qui précède il résulte que le ministre de la Justice a pu valablement considérer la demande d’asile posée par Monsieur … comme manifestement infondée, dans la mesure où Monsieur … a omis, sans explication satisfaisante, de s’acquitter d’une obligation importante dans le cadre de la procédure d’asile.

Le moyen soulevé par le demandeur que « cette malheureuse circonstance » ne pourrait cependant pas le priver de son droit de voir analyser le fond de son affaire, ne saurait porter à conséquence, dans la mesure où la loi permet au ministre de la Justice de ne pas analyser le fond d’une demande d’asile et de la déclarer à un stade préliminaire « manifestement infondée » dans des cas de figure précisément circonscrits.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 février 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M.Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17535
Date de la décision : 18/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-18;17535 ?

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