La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/02/2004 | LUXEMBOURG | N°16625

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 février 2004, 16625


Numéro 16625 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2003 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16625 du rôle, déposée le 24 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Vitomirica (Ko...

Numéro 16625 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2003 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16625 du rôle, déposée le 24 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Vitomirica (Kosovo), et de son épouse, Madame … …, née le … à Vitomirica, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mai 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 par Maître Olivier LANG pour compte des époux …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 janvier 2004.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 4 novembre 2002, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux … furent entendus séparément en date du 12 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux … par décision du 17 mars 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 19 mars 2003, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux … à travers un courrier de leur mandataire du 17 avril 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 8 mai 2003, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles des 17 mars et 8 mai 2003 par requête déposée le 24 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et appartenant à la communauté bochniaque, font valoir qu’ils seraient assimilés de par leur langue serbo-croate aux Serbes par la population albanaise et qu’ils auraient fait l’objet d’insultes et de menaces, des voisins albanais les ayant notamment terrorisé à plusieurs reprises au mois de mai 2001 par des rafales nocturnes d’armes automatiques autour de leur maison. Ils exposent encore que Madame … et le fils … …, étant handicapé physique depuis sa naissance, se seraient vus à plusieurs reprises opposer un refus de soins par des médecins à défaut de parler la langue albanaise, que leur fils aurait été exclu du bénéfice du transport gratuit par bus vers le centre pour handicapés de Pec mis à disposition par la ville de Vitomirica et que Monsieur … aurait été menacé par des policiers lors d’un contrôle routier pour ne pas leur avoir parlé en albanais.

Les demandeurs ajoutent qu’un des frères de Monsieur … aurait été policier et l’autre facteur du temps de l’occupation serbe du Kosovo, de même que Monsieur … aurait été mobilisé par l’armée serbe durant la guerre du Kosovo et chargé de garder pour les Serbes du bétail abandonné par les Albanais enfuis et que ces faits les exposeraient encore davantage à un risque de représailles de la part de la population albanaise. Les demandeurs reprochent au ministre d’exiger, au-delà des termes de la Convention de Genève, l’existence d’actes de persécution caractérisée dans le chef d’un demandeur d’asile et qu’il se baserait sur des considérations générales relatives à la situation actuelle au Kosovo, lesquelles seraient pourtant contredites par des rapports internationaux récents, d’autant plus qu’il faudrait assimiler leur situation à celle des Serbes et que les forces internationales en place ne seraient pas capables d’assurer leur sécurité, ainsi qu’il ressortirait de certains rapports d’organisations internationales.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font état de leur crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des Bochniaques.

Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée datant de janvier 2003 du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bochniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Quant aux éléments particuliers invoqués par les demandeurs, ils ne sont pas, au vu de l’évolution positive de la situation générale visée ci-avant, d’une gravité suffisante pour établir que les demandeurs risquent encore à l’heure actuelle de subir des actes de persécution du fait de leur appartenance ethnique.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 18 février 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16625
Date de la décision : 18/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-18;16625 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award