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18/02/2004 | LUXEMBOURG | N°16530

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 février 2004, 16530


Tribunal administratif N° 16530 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2003 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16530 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2003 par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant Ã

  l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes d...

Tribunal administratif N° 16530 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2003 Audience publique du 18 février 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16530 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2003 par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 27 mars 2003 en ce qu’il a refusé de considérer les frais d’études de son fils en tant que charges extraordinaires fiscalement déductibles au sens de l’article 127 LIR, concernant l’impôt sur le revenu de l’année 1994 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Fernand ENTRINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 janvier 2004, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en ses plaidoiries respectives aux audiences publiques des 14 et 28 janvier 2004.

Le 19 octobre 1998, Madame … réclama contre le bulletin d’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 1994, émis le 17 septembre 1998 par le bureau d’imposition Luxembourg IV. Elle fit grief au bulletin d’imposition d’avoir refusé un abattement de revenu imposable du fait de frais d’études de son fils, …, dans la mesure où ces frais n’avaient pas été considérés comme charges extraordinaires au sens de l’article 127 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR).

Le 27 mars 2003, le directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », confirma l’imposition effectuée par le bureau d’imposition « en ce que les al. 2 et 3 précités de l’article 127 LIR s’opposent à la reconnaissance des frais invoqués en tant que charges fiscalement déductibles ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2003, Madame … a fait introduire un recours en annulation contre la décision directoriale litigieuse du 27 mars 2003.

Le § 228 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », ensemble l’article 8, paragraphe 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif prévoient un recours au fond contre la décision directoriale critiquée, de sorte qu’en principe seul un recours en réformation a pu être introduit.

A l’audience du 14 janvier 2004, Maître ENTRINGER a demandé acte qu’il entendait redresser « l’erreur matérielle », par lui ainsi désignée en termes de plaidoiries, en ce qu’il ne faudrait pas lire qu’il demande « l’annulation » de la décision litigieuse mais bien au contraire « sa réformation ».

La procédure devant le tribunal administratif étant une procédure écrite et l’indication de la nature du recours introduit par un avocat contre une décision ne pouvant être qualifiée de simple formalité, susceptible d’être redressée comme une erreur matérielle, il convient de lire les conclusions contenues dans la requête introductive d’instance, seul acte de procédure écrit déposé, d’après leur libellé en tant que recours en annulation.

Si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité, et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et des délais dans lesquels le recours doit être introduit (Trib. adm. 30 août 2002, n° 15270 du rôle, Pas. adm.

2003, V° Recours en réformation, n°1, p. 589 et autres décisions y citées).

Il s’ensuit que le recours introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable dans la mesure des moyens de légalité proposés.

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait ayant existé au jour où elle a été prise.

En l’espèce, Madame … demande un abattement de revenu imposable au titre de l’article 127 LIR du fait de frais d’études de psychologie suivies par son fils … à la « Texas Christian University » aux Etats-Unis pendant l’année 1994. Le fait du suivi d’études de psychologie pendant l’année 1994 aux Etats-Unis n’est pas contesté en tant que tel de la part de la partie publique, de sorte qu’il y a lieu de retenir comme établi que Monsieur … était inscrit à la « Texas Christian University » au courant de l’année 1994.

L’article 127, alinéa 1er LIR, pose le principe que le contribuable obtient, sur demande, un abattement de revenu imposable du fait de charges « extraordinaires » qui sont « inévitables » et qui « réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive ».

Pour qu’un contribuable puisse faire valoir l’abattement, les trois conditions de fond énoncées à l’article 127, alinéa 1er LIR doivent être remplies cumulativement.

Les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 127 LIR précisent les conditions suivant lesquelles les charges sont à considérer comme extraordinaires (alinéa 2), comme inévitables (alinéa 3) et quand elles réduisent d’une façon considérable la faculté contributive du contribuable (alinéa 4).

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si les conditions de fond telles que prévues par l’article 127 LIR sont remplies en l’espèce.

1) Charges extraordinaires A ce titre l’article 127, alinéa 2 LIR dispose :

« le contribuable est censé avoir des charges extraordinaires lorsqu’il a des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune. Ne sont toutefois pas à prendre en considération les charges et dépenses déductibles à titre de dépenses d’exploitation, de frais d’obtention ou de dépenses spéciales. » Madame … est d’avis que les frais d’études post-secondaires de son fils, au vu de sa situation familiale et de fortune, laquelle ne se confondrait pas avec celle de la majorité des contribuables, revêtiraient le caractère de « charges extraordinaires ».

A ce titre, le directeur a fait d’abord remarquer que :

« Considérant que la réclamante insiste que son fils n’a pu être immatriculé en aucune université d’Europe à défaut de diplômes de fins d’études secondaires ou correspondants, que cependant une université texane l’a admis sur concours, en vue duquel il a dû fréquenter préliminairement un centre de Langues au Royaume-Uni ;

Considérant qu’il est établi, partant non pas extraordinaire, que de nombreux étudiants luxembourgeois poursuivent année pour année leurs études aux Etats-Unis, tandis que des résultats brillants relèvent de l’excellence, non de l’extraordinaire ;

que si le diplôme de fins d’études secondaires est requis pour poursuivre des études supérieures en Europe, il est possible de l’acquérir au Luxembourg, lors même d’une scolarité interrompue, par la voie des cours du soir ».

Il a finalement retenu que « les charges litigieuses seraient susceptibles d’incomber normalement aux contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune (cf. trib. adm. 28.10.1999, no 10583), à l’instar de parents dont les enfants étudient aux Etats-Unis, et que l’al. 2 précité de l’art. 127 LIR s’oppose en conséquence à la reconnaissance des frais invoqués entant que charges fiscalement déductibles ».

Le délégué du gouvernement réplique que le directeur n’aurait fait qu’adopter le critère strict défini et illustré par le jugement par lui cité et que la présente affaire ne paraîtrait pas si différente qu’elle aurait dû comporter une autre solution.

Le cas de figure sous-jacent à la présente affaire est celui des dépenses engagées par un parent permettant à son enfant de faire des études universitaires. A priori ces frais présentent un caractère ordinaire dans la mesure où ils incombent à tous les parents qui ont un enfant effectuant des études post-secondaires.

Par conséquent, il appartient au tribunal de vérifier si la situation spécifique de Madame … se distingue de la situation de la majorité des contribuables ayant également un enfant à charge poursuivant des études universitaires à l’étranger, pour revêtir un caractère extraordinaire.

Madame … était mariée à un ressortissant américain. … est né le 30 septembre 1970 à Fullerton en Californie et est décédé le 8 octobre 1998 des suites d’un accident de circulation. Les époux …-… ont divorcé en 1977 et depuis lors Madame …, rentrée au Grand-

Duché de Luxembourg, a subvenu seule aux besoins d’… et de son frère.

Madame … énonce de façon non contestée en fait que le père, qui est en plus introuvable, ne participe pas à l’entretien de ses enfants, qu’…, ayant eu une enfance et une adolescence bouleversées et ayant été par ailleurs malade, n’était pas détenteur du diplôme de fin d’études secondaires, mais qu’il a désiré entamer des études universitaires de psychologie. Ainsi, son fils n’a pas pu rentrer dans une faculté européenne en l’absence du diplôme de fins d’études secondaires requis et finalement, vu qu’il avait la nationalité américaine, il a été accepté par la « Texas Christian University » après divers tests jugés probants. La situation spécifique de Madame … dénote dès lors des caractéristiques allant au-delà de l’ordinaire.

Au vu de ce qui précède, le tribunal arrive à la conclusion que Madame … est à qualifier comme ayant eu en 1994 des charges extraordinaires au sens de l’article 127, alinéa 2 LIR, étant donné qu’elle avait des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une situation analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune, compte tenu du montant des charges déclaré.

Quant au moyen soulevé par le délégué du Gouvernement à partir d’un jugement du tribunal administratif du 28 octobre 1999 (n° du rôle 10583), force est de constater que le cas d’espèce sous-jacent à la décision en question diffère fondamentalement du cas d’espèce actuellement soumis à l’examen du juge. En effet dans cette affaire, les parents, en déplacement temporaire au Luxembourg pour des raisons de travail, voulaient bénéficier de l’article 127 LIR en raison des frais d’inscription encourus du fait de la scolarisation, pour la durée de leur séjour au Luxembourg, de leurs deux enfants dans une école privée anglo-

saxonne, afin de leur éviter en cas de retour au Canada des difficultés dans leur cursus scolaire.

2) Charges inévitables L’article 127, alinéa 3 LIR dispose :

« Une charge extraordinaire est inévitable au sens du présent article, lorsque le contribuable ne peut s’y soustraire pour des raisons matérielles, juridiques ou morales. » A ce titre le directeur retient :

« Que d’ailleurs la volonté d’obtenir des diplômes universitaires ne résulte ni en général ni en l’espèce d’une obligation inévitable, que pareille obligation n’existe pas en ce qui concerne les études universitaires (doc. parl. 571-4, p. 270) ;

Considérant à ce titre, d’une part, que les obligations qu’un contribuable s’impose à lui-même et qui résultent donc de son libre choix ne sauraient être visées par les dispositions de l’article 127 précitées, d’autre part, que les frais pour entretien et études d’enfants sont couverts, d’une manière générale, par l’attribution de la modération d’impôt pour enfants conformément à l’article 123 LIR (cf. doc. parl. 571-4, p. 269) et ne donnent pas lieu à l’octroi d’un abattement du chef de charges extraordinaires ;

Considérant que la décision de la réclamante de participer aux frais d’études de son fils n’a pas été prise sous l’empire de la nécessité ou de la contrainte, mais que les raisons morales qui l’ont motivée n’ont pas diminué le libre choix ;

Qu’il ne suffit pas, d’après les termes de l’article 127 précités, que les charges soient extraordinaires, mais qu’il faut encore qu’elles soient inévitables, c’est-à-dire que la situation les ayant engendrées soit provoquée par une contrainte ou nécessité extérieure, donc indépendante, du contribuable de façon qu’il ne puisse s’y soustraire ;

Que ces conditions ne sont toutefois pas remplies à l’endroit des frais d’études déclarés, la libre volonté de les entamer ayant été prédominante ; » Madame … fait valoir qu’elle aurait été moralement et légalement obligée de financer les études que son fils avait choisies de poursuivre.

Le délégué du gouvernement réplique que ce ne serait pas sans raison que la demanderesse fait valoir qu’elle aurait dû subir le choix effectué par son fils et que depuis l’époque de la rédaction de l’exposé des motifs de la loi de 1967, auquel le directeur a fait référence, la jurisprudence civile aurait étendu aux études universitaires l’obligation des parents de pourvoir à l’établissement de leurs enfants.

Force est de constater que ce n’est pas Madame … qui a pris la décision de faire des études aux Etats-Unis, mais c’est bien au contraire la décision de son fils majeur de faire des études universitaires qui s’est imposée à elle. A cela s’ajoute que si dans le chef d’… la décision de faire des études n’était pas une décision inévitable, en revanche dans le chef de sa mère l’obligation de financer les études de son fils est en plus une obligation légale.

En effet aux termes de l’article 203 du Code civil « les époux contractent, ensemble par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ». Si l’obligation d’entretien et d’éducation prend fin, en principe, à la majorité des enfants, les parents demeurent cependant tenus de leur donner, même au-delà de la majorité, les moyens de poursuivre des études destinées à les préparer à la profession qu’ils entendent embrasser, à la condition toutefois qu’ils se révèlent aptes à les poursuivre (cf. Cour d’appel 7 juillet 1969 Pas. 22, p.40).

Au vu de ce qui précède, le tribunal arrive à la conclusion que la charge extraordinaire invoquée a été inévitable au sens de l’article 127, alinéa 3 LIR, dans le chef de Madame …, d’autant plus qu’elle a dû subvenir seule aux besoins de son fils étant donné que son mari divorcé a disparu.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’annuler la décision directoriale déférée, en ce qu’elle a retenu que les alinéas 2 et 3 de l’article 127 LIR s’opposent à la reconnaissance des frais invoqués en tant que charges fiscalement déductibles.

Enfin l’article 127, alinéa 4 LIR n’admet une réduction de la faculté contributive du contribuable que dans la mesure où les charges extraordinaires dépassent un pourcentage du revenu imposable variant d’après l’importance du revenu et la classe d’impôt du contribuable.

Etant donné que le directeur n’a pas été amené à examiner la situation de Madame … au vu des conditions posées à l’article 127, alinéa 4 LIR, il y a lieu de renvoyer le dossier devant lui à cette fin.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme dans la mesure des moyens de légalité invoqués, au fond le déclare justifié, partant annule la décision déférée et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le directeur de l’Administration des Contributions directes ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 18 février 2004 :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16530
Date de la décision : 18/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-18;16530 ?

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