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16/02/2004 | LUXEMBOURG | N°16635

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2004, 16635


Numéro 16635 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16635 du rôle, déposée le 27 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Janine BIVER, avocat à la Cour, assistée de Maître Delphi

ne HORN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Numéro 16635 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16635 du rôle, déposée le 27 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Janine BIVER, avocat à la Cour, assistée de Maître Delphine HORN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … à Prizren (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 avril 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 mai 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle JASPART, en remplacement de Maître Janine BIVER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 janvier 2004.

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Le 12 mars 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux… furent entendus séparément en date du 26 mars 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux… par décision du 8 avril 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 14 avril 2003, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux… à travers un courrier de leur mandataire du 8 mai 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 21 mai 2003, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles des 8 avril et 21 mai 2003 par requête déposée le 27 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et appartenant à la minorité goranaise, exposent qu’ils auraient vécu dans un état d’insécurité permanente et que des personnes inconnues seraient venues terroriser tous les villages de leur région durant les nuits des 22 et 31 décembre 2002, qu’ils n’auraient pas ouvert leur porte quand ces personnes auraient frappé à leur porte, mais que leur voisin aurait été assassiné après avoir ouvert la porte. Ils font valoir que la situation de la minorité goranaise serait caractérisée par une barrière linguistique et les mauvais traitements et harcèlements dont elle ferait quotidiennement l’objet de la part de la majorité albanaise. Ils soutiennent que la situation générale au Kosovo serait telle que des persécutions organisées auraient lieu à l’encontre de leur minorité, de sorte que tout Goranais serait une victime probable, voire potentielle, et que seul le hasard désignerait quelle personne ferait l’objet des prochaines exactions, entraînant que le fait d’appartenir à cette minorité serait suffisant pour fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils affirment que la circonstance qu’ils ne pourraient pas prouver les persécutions et les menaces de mort dont ils auraient fait l’objet ne pourrait pas faire conclure que leurs vies et leur liberté ne seraient pas en danger.

Les demandeurs s’emparent de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950, en abrégé « CEDH », en ce qu’ils auraient fixé au Luxembourg leur domicile qui devrait dès lors bénéficier de la protection de cette dispisition et que les décision ministérielles critiquées ne seraient pas justifiées par une des conditions limitativement énumérées par l’article 8, alinéa 2 CEDH.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la dernière version en date du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Face à l’évolution positive ainsi tracée de la situation de la minorité goranaise, les éléments isolés invoqués par les demandeurs ne peuvent plus être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Finalement l’invocation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que les décisions critiquées ne contiennent pas une mesure d’éloignement du territoire national à l’égard des demandeurs.

Pour le surplus, le simple fait de tomber dans le champ d’application de cet instrument juridique international n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 16 février 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. CAMPILL 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16635
Date de la décision : 16/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-16;16635 ?

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