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16/02/2004 | LUXEMBOURG | N°16613

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2004, 16613


Numéro 16613 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16613 du rôle, déposée le 24 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Oust-

Kamenogorsk (Kazakhs...

Numéro 16613 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16613 du rôle, déposée le 24 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Oust-

Kamenogorsk (Kazakhstan), et de son épouse, Madame … …, née le … à Almaty (Kazakhstan), tous les deux de nationalité russe et de citoyenneté kazakhe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 mars 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mai 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 janvier 2004.

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Le 4 janvier 2001, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Madame … fut entendue en dates des 20 août et 10 septembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Monsieur … eut lieu en date du 26 juillet 2002.

Le ministre de la Justice informa les époux … par décision du 11 mars 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 17 mars 2003, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire daté au 18 avril 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 8 mai 2003, les époux … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 11 mars 2003 et confirmative du 8 mai 2003 par requête déposée le 24 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond en la matière. Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée de leur situation et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées en considération des éléments de persécution par eux invoqués. Ils exposent qu’en leur qualité de membres de la population russophone du Kazakhstan, ils auraient été victimes d’exactions graves et répétées de la part de certains éléments extrémistes dont certains auraient été membres de la milice, que suite aux plaintes par eux déposées, Monsieur … aurait été « passé à tabac » en novembre 2000 dans les locaux mêmes du département des affaires étrangères suite à la convocation de la part de l’agent chargé de l’instruction de leurs plaintes. Ils ajoutent que Madame … et sa mère auraient été violentées à leur domicile privé par des gens d’origine kazakhe qui leur auraient enjoint de quitter le pays au motif qu’il n’y aurait pas de place pour les Russes au Kazakhstan. Les demandeurs font valoir que les persécutions commises à leur encontre émaneraient en partie d’agents de la milice et qu’ils ne pourraient en conséquence pas dénoncer ces mêmes persécutions aux mêmes agents. Ils ajoutent que tous les actes commis à leur encontre s’inscriraient dans le cadre d’une persécution de la communauté russe par la majorité kazakhe et que, même en admettant que les actes perpétrés contre eux étaient à qualifier d’infractions de droit commun, ils devraient néanmoins être considérés comme actes de persécution en raison du défaut d’une poursuite de tels actes de la part des autorités publiques. Quant à la possibilité de fuite interne alléguée par le ministre, les demandeurs affirment qu’un simple changement de leur ville de résidence ne pourrait être considéré comme solution à leurs problèmes, étant donné qu’en tant que membres de la communauté russe, ils risqueraient d’être poursuivis sur tout le territoire kazakhe pour avoir déposé une plainte à l’encontre d’un agent de la milice.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la communauté russe ne peut pas être considérée comme minorité exposée à des persécutions, vu qu’elle représente, d’après les indications non contestées apportées par le délégué du Gouvernement, quelque 30 % de la population du Kazakhstan et donc le deuxième groupe ethnique du pays. Il s’ensuit que les actes commis contre les demandeurs doivent plutôt être qualifiés d’actes relevant de la criminalité de droit commun et non d’actes de persécution à l’encontre de membres d’une minorité vulnérable.

S’y ajoute que les actes de persécution invoqués par les demandeurs n’émanent essentiellement pas des autorités publiques mêmes, mais de certains éléments de la population. De tels actes ne peuvent être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution que si les autorités en place refusent d’accorder une protection adéquate pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. En l’espèce cependant, si les demandeurs font effectivement état d’un refus de protection de la part d’agents des autorités compétentes pour assurer leur protection, ils restent en défaut d’établir que les faits d’agents publics par eux avancés ne constituent pas des actes isolés mais traduisent une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes, de manière qu’ils se verraient empêchés de solliciter une protection adéquate auprès d’agents revêtant une position hiérarchique supérieure au sein des forces publiques.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 16 février 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16613
Date de la décision : 16/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-16;16613 ?

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