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16/02/2004 | LUXEMBOURG | N°16557

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2004, 16557


Tribunal administratif N° 16557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004

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Recours formé par la société anonyme S.A. …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de … en matière de plan d’aménagement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16557 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2003 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme S.A. …, établie et ayant so...

Tribunal administratif N° 16557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2003 Audience publique du 16 février 2004

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Recours formé par la société anonyme S.A. …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de … en matière de plan d’aménagement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16557 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2003 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme S.A. …, établie et ayant son siège social à L- …, tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Intérieur du 14 février 2003 portant refus d’approbation d’une délibération du conseil communal de … prise le 12 juillet 2002 portant adoption définitive d’un projet de modification de la partie graphique du projet d’aménagement général de la commune de … concernant des fonds sis à … au lieu-dit « … » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-

Alzette, du 18 juin 2003 portant signification de ce recours à l’administration communale de … en sa maison communale sise à L-5310 …, 4, Place de la Mairie ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2003 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2003 en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2003 par le délégué du gouvernement ;

Vu l’ordonnance rendue le 24 novembre 2003 par M. Carlo SCHOCKWEILER, en sa qualité de vice-président et président de la deuxième chambre du tribunal administratif, par laquelle la partie demanderesse a été autorisée à déposer un mémoire supplémentaire jusqu’au 28 novembre 2003 et le délégué du gouvernement autorisé d’y répondre dans un mémoire supplémentaire à déposer au plus tard le 10 décembre 2003 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2003 en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2003 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Patrick KINSCH, ainsi que Messieurs les délégués du gouvernement Jean-Paul REITER et Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 avril 2001, la société anonyme S.A. … introduisit une demande devant l’administration communale de … en vue de l’extension de la zone d’activités communale dite « Chaux de … » par reclassement de fonds - classés en zone agricole - sis au lieu-dit « … », inscrits au cadastre de la commune de …, section « C » de …, n°s cadastraux ….

Dans sa séance du 14 septembre 2001, la commission d’aménagement instituée auprès du ministre de l’Intérieur, prévue par l’article 6 de la loi modifiée du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, ci-après désignée par la « commission d’aménagement », avisa défavorablement le susdit projet de modification du plan d’aménagement général (PAG) de la commune de ….

La commission d’aménagement retint « qu’il n’existe aucun argument valable permettant de justifier une extension du périmètre de la zone industrielle en ces lieux. En effet, il y a lieu de noter que des terrains actuellement non encore affectés à la construction sont encore disponibles dans la zone d’activités existante et qu’il importe de les urbaniser avant de prévoir des extensions supplémentaires.

Dans le cadre d’une utilisation rationnelle du sol, il incombe également aux autorités communales de veiller à ce que des constructions à plusieurs niveaux soient d’avantage promues par rapport aux constructions à un seul niveau en vue de limiter la consolidation du sol. Partant, il serait tout à fait envisageable de prévoir une organisation plus efficace et rationnelle des activités actuellement existantes et projetées.

Finalement la commission tient à remarquer que l’extension de la zone d’activités telle que prévue se heurte d’une part à l’existence d’une zone naturelle boisée digne d’être protégée et d’autre part à un chemin rural qui constitue une limite logique et naturelle de la zone d’activités existante ».

Par délibération du 24 avril 2002, le conseil communal de …, passant outre l’avis de la commission d’aménagement statuant avec une majorité de sept voix contre une et une abstention, adopta provisoirement l’extension de la zone d’activités communale dite « Chaux de … » par incorporation et reclassement des fonds prévisés sis au lieu-dit « … », « sous réserve de l’observation des conditions ci-après :

- présentation d’un projet d’aménagement particulier, - fonds réservés exclusivement à des fins de stockage, - frais des travaux d’infrastructure à charge de Chaux de …, y compris le déplacement du chemin rural passant en ces lieux, - réalisation de mesures compensatoires (plantation, aménagement d’un étang, e.a.) ».

Le 12 juillet 2002, le conseil communal de …, statuant avec une majorité de sept voix contre une et une abstention, adopta définitivement le projet d’extension de la zone d’activités communale dite « Chaux de … », étant relevé qu’outre les conditions formulées dans le cadre de l’adoption provisoire, une condition supplémentaire fut ajoutée relativement à la prise en charge des travaux de déplacement de la conduite d’eau « SEBES ».

Par courrier du 14 février 2003, le ministre de l’Intérieur s’adressa au commissaire de district de Luxembourg en ces termes : « Monsieur le commissaire de district à Luxembourg, Je vous prie de bien vouloir informer les autorités communales de … que je ne suis pas en mesure d’approuver sur la base de l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes la délibération du 12 juillet 2002 du conseil communal portant adoption définitive du projet de modification de la partie graphique d’Aménagement Général concernant des fonds sis à …, commune de …, au lieu-dit «… » présenté par la société Chaux de ….

J’estime qu’il n’existe aucun argument valable permettant de justifier une extension de la zone d’activités en ces lieux. En effet, il y a lieu de noter que les terrains actuellement non encore affectés à la construction, faisant partie de la zone concernée, dépassent de par leur étendue largement la surface destinée à être intégrée dans le périmètre d’agglomération. En premier lieu il importe d’utiliser le potentiel disponible avant toute extension supplémentaire.

En outre, il serait tout à fait envisageable de prévoir une organisation plus efficace et rationnelle des activités actuellement existantes et projetées.

Finalement, je tiens à remarquer que l’extension de la zone d’activités telle que prévue se heurte d’une part à l’existence d’une zone naturelle digne d’être protégée et d’autre part à un chemin rural qui constitue une limite logique et naturelle de la zone d’activités actuelle.

Veuillez agréer, Monsieur le commissaire de district, l’expression de mes sentiments très distingués ».

Le 13 mars 2003, le bourgmestre de la commune de … transmit la prise de position ministérielle libellée dans le susdit courrier du 14 février 2003 à la S.A. ….

Par requête introduite auprès du tribunal administratif le 13 juin 2003, la S.A. … a formulé un recours tendant à l’annulation du refus d’approbation ministériel du 14 février 2003.

Concernant la compétence d’attribution du tribunal administratif, question que le tribunal est appelé à examiner d’office, il convient de relever que, d’une part, les décisions sur l’extension du périmètre d’agglomération d’un PAG ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et, de ce fait, ils ont un caractère réglementaire et, d’autre part, la décision d’approbation ou de refus d’approbation du ministre de l’Intérieur participe à ce caractère réglementaire de l’acte de l’autorité communale.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit à l’encontre de l’acte déféré.

La S.A. … soutient qu’aucun des motifs de refus énoncés par le ministre de l’Intérieur ne saurait être analysé en un motif objectif proportionné et précis de nature à sous-tendre légalement la décision litigieuse.

Dans ce contexte, elle estime plus particulièrement que :

- le premier motif manque en fait, au motif qu’il n’existe aucun terrain qui soit concrètement disponible pour permettre l’extension de son aire de stockage, inexistence qu’elle offre de prouver par la voie testimoniale pour autant que de besoin ;

- l’énoncé du second motif est non seulement trop vague, mais il serait en outre erroné de soutenir qu’en « s’organisant plus rationnellement », elle n’a pas besoin d’une aire de stockage supplémentaire ;

- le dernier motif manque également en fait, étant précisé qu’une partie des terrains dont le reclassement a été demandé, est exploitée industriellement par elle depuis 1923, que les terrains à reclasser ne constituent pas une « zone naturelle boisée digne d’être protégée » et que le chemin rural existant ne constitue pas une « limite logique et naturelle de la zone d’activités existante », cette zone s’étendant des deux côtés du chemin rural en question.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision ministérielle attaquée serait en premier lieu motivée par le fait que la zone d’activités communale de la commune de … comprendrait actuellement des terrains non encore construits, qui, de par leur étendue et superficie seraient nettement supérieurs à la surface du terrain dont la S.A. … a demandé l’intégration dans le périmètre d’agglomération et que la critique mise en avant par elle relativement à leur indisponibilité concrète, constituerait une argumentation « basée sur des considérations ayant un caractère purement individuel et particulier, pour ne pas dire égoïste, et avancée dans un but presque exclusivement financier, mais aucunement motivée par un quelconque aspect général » et le délégué conclut que pareille argumentation ne saurait suffire pour justifier un reclassement du terrain litigieux. Le délégué relève encore que la tutelle du ministre de l’Intérieur sur les communes s’exercerait en vue du respect de la légalité et de l’intérêt général et qu’elle aurait pour but de veiller à ce que le service autonome reste dans la légalité et que les intérêts particuliers du service ne soient pas satisfaits au détriment de l’intérêt général et qu’en l’espèce le refus ministériel reposerait « en fait sur des considérations visant à mettre un frein à l’éparpillement non réfléchi et inapproprié des activités industrielles ou économiques, considérations qui relèvent à ce sujet non seulement d’une politique urbanistique rationnelle, mais répondent encore et surtout à une finalité d’intérêt général, ce qui d’ailleurs se trouve être confirmé par une jurisprudence unanime et constante » et sur ce que la modification litigieuse du PAG de … ne servirait pas à l’intérêt général, pour ne profiter qu’à la seule demanderesse.

Le représentant étatique soutient encore que la demanderesse aurait tort de critiquer le caractère vague et imprécis de la motivation de la décision ministérielle en ce qu’elle préconise une organisation plus rationnelle et efficace des activités de la requérante, au motif qu’« il s’agit là d’une appréciation en fait, échappant à l’appréciation du juge de l’annulation ».

Enfin, quant aux « fausses réalités » et la violation du principe de proportionnalité de l’action administrative par rapport à la restriction qu’elle implique quant aux droits et libertés des particuliers, le délégué fait état de ce que l’aménagement général, régional et communal relèvent des attributions du ministre de l’Intérieur, et que le ministre aurait à juste titre pu faire état « de raisons tenant au caractère spécial du paysage et de la beauté du site en cause » pour refuser l’approbation de l’extension du périmètre pour le terrain litigieux, « de sorte à éviter par-là que des matériaux et produits fabriqués par la partie adverse ne soient stockés sur ce terrain et ne dégradent, voire ne préjudicient à la beauté dudit site » et qu’une disproportion flagrante entre la mesure prise et les faits établis de l’espèce ne se dégagerait pas des éléments de la cause.

Dans son mémoire en duplique, le délégué fait encore état de ce que l’extension du périmètre d’agglomération du PAG de … ne reposerait pas sur des considérations urbanistiques ou d’aménagement du territoire communal réfléchies ou cohérentes, mais elle ne viserait « qu’à répondre au besoin exprimé par un particulier confronté à une pénurie de terrains abordables situés à l’intérieur du périmètre » et que l’autorité de tutelle serait en droit de veiller à ce que les intérêts particuliers du service ne soient pas satisfaits au détriment de l’intérêt général.

Le délégué du gouvernement relève encore que la politique du gouvernement en matière de zones industrielles, telle qu’elle aurait été arrêtée dans le « Programme Directeur adopté formellement en date du 27 mars 2003 par le Conseil de Gouvernement », consisterait à :

« - optimiser l’utilisation des zones d’activités économiques existantes, ou à créer en cas de nécessité reconnue, par la définition et l’application de critères de qualité tant pour les projets d’ensemble (PAP) que pour les projets de construction individuels, - utiliser le potentiel disponible avant la création de nouvelles zones industrielles et artisanales, - développer un système d’information permettant de mieux valoriser les zones existantes et les synergies à créer, - n’envisager un agrandissement des zones existantes qu’au moment où toutes les réserves disponibles auront été épuisées, - ne procéder à la création de nouvelles zones d’activités économiques qu’en cas de nécessité reconnue et lorsque les zones existantes ne pourront plus être agrandies, - promouvoir la création de zones régionales destinées à concentrer le développement économique en des endroits appropriés, - limiter la création de zones artisanales locales aux cas où elles sont indispensables pour permettre la relocalisation de petites entreprises locales », pour en conclure que l’extension ponctuelle litigieuse ne correspondrait pas à la politique décidée et retenue par le gouvernement.

Selon le délégué, décider le contraire serait admettre « qu’une entreprise installée dans une zone d’activités puisse, au seul motif de l’indisponibilité de terrains financièrement abordables à l’intérieur du périmètre – contrairement à la situation où toutes les réserves disponibles seraient épuisées – incorporer à son seul profit des terrains sis à l’extérieur de la zone d’activité » et constituerait un « précédent » dangereux pour l’aménagement rationnel et coordonné du territoire.

Enfin, dans son mémoire supplémentaire, il estime que la question de savoir pour quelles raisons la S.A. … ne pourrait acquérir des terrains situés dans la zone d’activités dite « Chaux de … » ne serait pas pertinente, le problème qui se poserait en l’occurrence et que le ministre de l’Intérieur aurait dû sanctionner serait que la S.A. … ne se baserait que sur des considérations purement individuelles, qui ne sauraient justifier un reclassement de terrains situés aux abords de ladite zone. Il ajoute encore que le conseil communal se serait contenté de faire droit à un besoin d’un seul particulier, mais qu’il ne se serait pas basé sur des considérations urbanistiques ou d’aménagement du territoire, ce que l’autorité de tutelle aurait dû prévenir, afin d’éviter « un éparpillement non réfléchi et inapproprié des activités industrielles et économiques ».

QUANT AU PREMIER MOTIF DE REFUS TIRE DU DEFAUT D’ARGUMENT VALABLE PERMETTANT DE JUSTIFIER UNE EXTENSION DE LA ZONE D’ACTIVITES ET DE LA DISPONIBILITE A L’INTERIEUR DE LA ZONE CONCERNEE DE TERRAINS ACTUELLEMENT NON ENCORE AFFECTES A LA CONSTRUCTION Il est vrai qu’il appartient au ministre de l’Intérieur, en tant qu’autorité de tutelle, de veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général. Le droit d’approuver la décision du conseil communal a comme corollaire celui de ne pas approuver cette décision. Cette approbation implique nécessairement l’examen du dossier et l’appréciation du ministre sur la régularité de la procédure et des propositions du conseil communal, ainsi que sur les modifications de la partie graphique et écrite des plans (cf. Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Tutelle administrative, I. Pouvoirs et obligations de l’autorité de tutelle, n° 1, et autres références y citées).

Il est vrai encore que la tutelle n’autorise pas, en principe, l’autorité supérieure à s’immiscer dans la gestion du service décentralisé et à substituer sa propre décision à celle des agents du service (Buttgenbach A., Manuel de droit administratif, 1954, p. 117, n° 149), ce principe découlant de la nature même de la tutelle qui est une action exercée par un pouvoir sur un autre pouvoir, non pas en vue de se substituer à lui, mais dans le seul but de le maintenir dans les limites de la légalité et d’assurer la conformité de son action avec les exigences de l’intérêt général.

Il est vrai enfin que le rôle de l’autorité de tutelle consiste dès lors à vérifier, non pas que chaque décision soit prise exclusivement dans le seul intérêt général, mais que la décision ne soit pas contraire à l’intérêt général.

En l’espèce, il convient de prime abord de relever que d’après le dernier état de ses conclusions, le délégué du gouvernement ne conteste pas l’inexistence d’une disponibilité concrète de terrains aux alentours du site actuel exploité par la demanderesse, mais le représentant étatique soutient qu’indépendamment des raisons pour lesquelles la S.A. … ne peut pas acquérir les terrains qui sont théoriquement disponibles, que ce soient des considérations financières ou le simple refus de vendre qui lui est opposé par les propriétaires de ces terrains, le fait serait que l’action communale et les considérations développées par la S.A. … seraient purement individuelles et étrangères à toute considération d’intérêt général.

Or, il appert à l’examen des éléments du dossier administratif que l’autorité de tutelle reproche à tort aux autorités communales, de même qu’à la demanderesse de sacrifier l’intérêt général pour satisfaire exclusivement un intérêt particulier.

En effet, il convient de prime abord de relever que le simple fait qu’une modification d’un PAG profite à un particulier n’est pas de nature à la mettre en contradiction avec l’intérêt général. Admettre le contraire impliquerait qu’aucun terrain situé en dehors du périmètre d’agglomération et appartenant à un particulier ne puisse être reclassé à l’intérieur du périmètre, pareil reclassement étant en tout état de cause, ne serait-ce que financièrement, profitable au propriétaire du terrain concerné.

Ceci étant, force est encore de constater que le projet de modification tel qu’approuvé, provisoirement et ensuite définitivement, par le conseil communal de … ne vise pas le seul reclassement des terrains de la S.A. …, mais il vise en outre un certain nombre de parcelles situées à l’intérieur de la zone d’activités communale dite « Chaux de … », qu’il est projeté de reclasser en zone agricole, l’intention apparente de l’autorité communale étant de concilier les intérêts particuliers et général en cause, ceci au regard d’une situation factuelle donnée, en l’occurrence le fait que, d’une part, une partie des terrains qu’il est projeté de classer à l’intérieur de la zone d’activités communale dite « Chaux de … », bien que classés dans les années 50 en zone agricole, sont toujours utilisés industriellement, la raison en étant que cette utilisation par la société demanderesse remonte à l’année 1923 et, d’autre part, qu’un besoin personnel d’une surface supplémentaire exprimé par la demanderesse se heurte, à l’indisponibilité concrète de terrains à l’intérieur de la zone concernée, étant relevé que les propriétaires des deux terrains théoriquement disponibles n’entendent pas les céder, l’un d’entre eux utilisant ses terrains pour les besoins de son exploitation agricole.

Ainsi, le tribunal arrive à la conclusion que somme toute, on ne saurait nier que les décisions du conseil communal de … relatives à la modification du PAG de … ont été motivées par des préoccupations d’ordre urbanistique et d’aménagement rationnel du territoire communal en ce qu’il a cherché en grande partie à conformer le classement des terrains à leur utilisation réelle, l’agrandissement de la zone d’activités communale étant compensé, en grande partie, par le reclassement en zone agricole des terrains actuellement classés à l’intérieur de la zone d’activités, mais utilisés exclusivement à des besoins agricoles.

Force est partant de constater que le premier motif de refus énoncé par le ministre de l’Intérieur procède d’une méconnaissance de son rôle de contrôleur dans le cadre de la tutelle administrative, le ministre ne s’étant pas limité à contrôler si l’autorité est restée dans les limites de la légalité et s’est conformé dans son action avec les exigences de l’intérêt général, mais il s’est en réalité immiscé dans la sphère de compétence communale en empiétant sur les attributions conférées par la loi précitée du 12 juin 1937 au conseil communal dans le cadre de l’adoption ou de la modification des plans d’aménagement.

QUANT AU DEUXIEME MOTIF DE REFUS BASE SUR CE QU’UNE ORGANISATION PLUS EFFICACE ET RATIONNELLE DES ACTIVITES ACTUELLEMENT EXISTANTES ET PROJETEES RENDRAIT L’AGRANDISSEMENT DE LA ZONE D’ACTIVITES INUTILE C’est également à juste titre que la demanderesse critique la motivation vague et imprécise du motif de refus basé sur une « organisation plus rationnelle et efficace des activités », étant donné que sans tenter de préciser concrètement comment, dans le cas d’espèce, l’organisation des activités devrait et pourrait être changée pour parvenir au résultat escompté, pareille motivation est insuffisante pour justifier un refus par l’autorité de tutelle d’un projet de modification d’un PAG.

QUANT AU TROISIEME ET DERNIER MOTIF DE REFUS BASE SUR CE QUE L’EXTENSION DE LA ZONE D’ACTIVITES TELLE QUE PREVUE SE HEURTERAIT D’UNE PART A L’EXISTENCE D’UNE ZONE NATURELLE DIGNE D’ETRE PROTEGEE ET D’AUTRE PART A UN CHEMIN RURAL QUI CONSTITUERAIT UNE LIMITE LOGIQUE ET NATURELLE DE LA ZONE D’ACTIVITES ACTUELLE Il convient de relever liminairement qu’en application de l’article 2 de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, « toute modification de la délimitation d’une zone verte découlant du vote provisoire, selon l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, est soumise à l’approbation du [ministre ayant dans ses attributions l’Administration des Eaux et Forêts] ».

En vertu de ladite disposition « la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel, la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, la protection de la flore et de la faune et de leurs biotopes, le maintien et l’amélioration des équilibres biologiques, la protection des ressources naturelles contre toutes les dégradations et l’amélioration des structures de l’environnement naturel », c’est-à-

dire la compétence d’attribution pour veiller à la protection de la nature et des ressources naturelles relève de la compétence du ministre de l’Environnement.

Ainsi, au vœu du législateur, à côté de la compétence spécifique du ministre de l’Intérieur, en tant qu’autorité de tutelle, chargée de veiller à ce que les décisions de l’autorité communale notamment en matière d’aménagement du territoire, ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général, a été instituée une compétence et une mission concurrente dans le chef du ministre de l’Environnement, chacune de ces autorités devant se confiner à agir dans le cadre des législations et réglementation applicables respectivement.

Sur ce, il convient de relever qu’en l’espèce, en l’absence d’élément d’information contenu dans le dossier administratif et sur question afférente posée par le tribunal à l’audience, le délégué du gouvernement a informé le tribunal de ce que le ministre de l’Environnement ne s’est pas encore prononcé relativement au projet sous discussion, cet état des choses étant dû au fait que le dossier ne lui aurait pas encore été soumis, la « pratique normale » selon laquelle l’autorité communale se charge de transmettre le dossier n’ayant pas fonctionné, tout en soutenant que pareille omission n’aurait pas d’incidence sur le bien fondé ou mal fondé de la décision litigieuse du ministre de l’Intérieur.

Ceci étant, en l’espèce, en faisant état de considérations en rapport avec l’existence d’une « zone naturelle digne d’être protégée » et d’autres considérations rentrant manifestement dans le cadre des attributions susénoncées du ministre de l’Environnement, le ministre de l’Intérieur s’est immiscé dans la sphère de compétence du ministre de l’Environnement et son motif de refus afférent ne saurait légalement sous-tendre sa décision de refus. – En outre, s’il est vrai qu’au regard de la jurisprudence de la Cour administrative, en rapport avec la séparation des compétences du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Environnement, dont il semble se dégager que le ministre de l’Intérieur ne saurait être considéré comme le gardien de la régularité de l’entièreté de la procédure d’adoption d’une modification d’un plan d’aménagement, spécialement en ce qui concerne l’intervention du ministre de l’Environnement, telle qu’elle est réglementée par la loi précitée du 11 août 1982, il n’en reste pas moins qu’il aurait été plus que souhaitable afin de garantir une bonne administration, que le ministre de l’Intérieur, en apparence, dernier maillon de la chaîne, vérifie que toutes les autres autorités appelées à intervenir en la matière aient été entendues ou au moins appelées à ce faire, plutôt que de s’emparer lui même de considérations étrangères à sa sphère de compétence.

Enfin, même en admettant que dans une certaine mesure l’aménagement du territoire inclut également des considérations fondées sur des préoccupations de préservations du paysage et de la beauté d’un site, c’est-à-dire en admettant que les limites de la compétence du ministre de l’Intérieur et de celle du ministre de l’Environnement soient floues et incertaines, force est encore de retenir que le ministre de l’Intérieur a omis de préciser concrètement en quoi le reclassement des terrains concernés aurait un impact intolérable sur la beauté du paysage ou autrement sur la prétendue « zone naturelle digne d’être protégée », étant relevé que le reclassement à l’intérieur des terrains de la S.A. … est apparemment accompagné d’une mesure compensatoire consistant dans le reclassement de terrains de la zone d’activités en zone agricole.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision litigieuse n’est pas légalement motivée par un au moins des motifs de refus avancés et qu’elle doit partant encourir l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit également justifié ;

partant, annule la décision du ministre de l’Intérieur du 14 février 2003 et renvoie le dossier devant ledit ministre en prosécution de cause ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 16 février 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16557
Date de la décision : 16/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-16;16557 ?

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