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06/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17533

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2004, 17533


Tribunal administratif N° 17533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique extraordinaire du 6 février 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17533 du rôle et déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bhutan), de nationalité bhutana

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Tribunal administratif N° 17533 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique extraordinaire du 6 février 2004 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17533 du rôle et déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bhutan), de nationalité bhutanaise, actuellement détenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 janvier 2004 instituant à son égard une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour la durée d’un mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 février 2004 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 février 2004.

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale dressé le 8 janvier 2004 qu’en date du même jour « befanden sich Amtierende E. und S. auf Patrouille auf dem hiesigen Stadtgebiet. Gelegentlich einer Ausweiskontrolle wurde festgestellt, dass … keine gültigen Ausweispapiere vorzeigen konnte. Da derselbe hierzulande nicht gemeldet ist, wurde er zwecks weiterer Überprüfung zur Dienststelle gebracht.

Hier erklärte er, dass er am 02. Januar, gegen 08.00 Uhr, von New Dehli (Indien) aus nach Paris geflogen sei. Für den Flug organisierte er sich einen Reisepass. Hierfür händigte er einem Mann ein Lichtbild. Für diese Dienste zahlte er laut eigenen Angaben die Summe von zirka 10.000 €.

Von Paris sei er dann mit einem Fahrzeug nach Brüssel gefahren. In Brüssel selbst weilte er bis zum heutigen Tage. Am heutigen Tage fuhr er mit dem Zug von Brüssel nach Luxemburg, da er sich hier gültige Ausweispapiere sowie eine Arbeit besorgen wollte.

Er wohnte bis zum heutigen Tage, den 08. Januar 2004, bei einem Bekannten von indischer Abstammung in Brüssel. Den Namen und die Anschrift dieser Person sind ihm gänzlich unbekannt. Die Zugfahrtkarte wurde ihm am heutigen Tag von einer ihm unbekannten Mannsperson am Bahnhof in Brüssel erworben. Anschliessend fuhr er mit dem Zug nach Luxemburg, wo er gegen 15.00 Uhr eintraf.

Er hatte lediglich die Summe von 50 € in bar auf sich.

Er war weder im Besitz des Reisespasses, des Flugtickets noch der Zugfahrkarte.

Die Substitutin A.W. wurde am 18.50 Uhr über Vorstehendes in Kenntnis gesetzt. Diese Magistratsperson ordnete eine „mesure de rétention“ für Thapa an. Des weiteren sei er erkennungsdienstlich zu behandeln ».

Le 9 janvier 2004, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après dénommé le « Centre provisoire », pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport n° 65022 du 8 janvier 2004 établi par la Police grand-ducale, SREC ;

Considérant que le Parquet a ordonné une mesure de rétention en date du 8 janvier 2004 ;

Considérant que il est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches relatives à l’établissement de son identité, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par lettre datée du 15 janvier 2004, parvenue au secrétariat du ministère de la Justice le 19 janvier 2004, Monsieur … formula une demande d’asile.

Par requête déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision préindiquée du 9 janvier 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après « la loi du 28 mars 1972 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche en premier lieu au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 ainsi que l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, en soutenant que dans la mesure où il a présenté une demande d’asile, la décision de rétention se heurterait au principe de non refoulement tel que prévu par ces articles.

Il conclut encore au caractère disproportionné de la décision litigieuse en faisant valoir que le Centre pénitentiaire de Schrassig ne serait pas à considérer comme étant un établissement approprié pour le placement d’un étranger faisant l’objet d’une mesure de rétention administrative, étant donné qu’il y serait soumis « quasiment à la même condition des détenus de droit commun ».

Le délégué du Gouvernement pour sa part rétorque que non seulement le demandeur se serait trouvé en situation irrégulière au moment où il a fait l’objet de la mesure de rétention, mais encore que le fait qu’il ait demandé l’octroi du statut de réfugié après son placement au Centre provisoire ne saurait constituer un motif pour réformer la décision ordonnant la mesure de placement et relève en particulier qu’il appartient à tout candidat au statut de réfugié de présenter une telle demande aussitôt après son arrivée au Grand-Duché de Luxembourg.

Concernant la justification au fond de la mesure de rétention, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant qu’en l’espèce la décision litigieuse n’est pas basée sur une décision d’expulsion et que le dossier tel que soumis en cause ne renseigne pas non plus l’existence d’une décision explicite de refoulement.

Il n’en demeure cependant pas moins qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, de sorte que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, tel que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 précitée sont remplies et où, par la suite, une mesure de rétention administrative a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Il y a dès lors lieu d’examiner si la décision de refoulement sous-jacente en l’espèce à l’arrêté ministériel litigieux rentre dans les prévisions légales de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15 de la même loi.

Ledit article 12 dispose que peuvent être éloignés du territoire luxembourgeois sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal, les étrangers non autorisés à résidence :

«1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de (la loi précitée du 28 mars 1972) ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre public ».

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision litigieuse le 9 janvier 2004, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Dans la mesure où ces faits ne sont pas contestés en cause, Monsieur … remplissait dès lors en date du 9 janvier 2004 les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Même s’il est admis en l’espèce que Monsieur … a posé une demande d’asile par lettre du 15 janvier 2004, réceptionnée au ministère de la Justice le 19 janvier 2004, il n’est cependant pas moins constant en cause que le demandeur n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises, mais seulement 7 jours après avoir été contrôlé par la police sans être en possession de documents d’identité, de voyage ou de séjour et après avoir été placé pendant 6 jours au Centre provisoire.

Dans la mesure où l’irrégularité du séjour du demandeur était dès lors patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que ce dernier n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre pouvait valablement ordonner en date du 9 janvier 2004 2003 une décision de rétention à l’encontre de la personne concernée afin de mettre ses services en mesure de vérifier l’identité du demandeur et pour assurer le cas échéant le rapatriement de l’intéressé.

Dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir de substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est amené à statuer (cf. trib. adm. 1 octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 11 et autres références y citées, page 591).

Il y a dès lors lieu d’examiner si la conclusion ci-avant dégagée reste encore valable au vu de la situation de fait telle qu’elle se présente à l’heure actuelle.

En ce qui concerne la situation suite au dépôt de la demande d’asile, le placement ne saurait cependant être maintenu que dans la mesure où les conditions de l’article 15, paragraphe (1) précité demeurent données, c’est-à-dire qu’en cas d’existence ou de persistance d’une mesure de refoulement sous-jacente et de l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

En l’espèce, force est de constater que si le ministre de la Justice a réceptionné le 19 janvier 2004 la demande d’asile de Monsieur …, ce n’est qu’en date du 30 janvier 2004 que ce dernier a été entendu sur les motifs à la base de sa demande.

Si en l’absence de documents d’identité et face à une ignorance ou des doutes quant à l’origine et à l’identité réelles du demandeur, il peut certes être admis que les vérifications à effectuer par l’administration nécessitent un certain délai, de sorte que l’impossibilité de procéder à une éventuelle mesure de refoulement peut être présumée persister dans ces circonstances dans les premiers jours suivant l’introduction de la demande d’asile, il ne saurait cependant en être de même lorsque que l’administration tarde à procéder à l’audition du demandeur d’asile, surtout lorsque celui-ci fait l’objet d’une mesure privative de liberté.

Force est encore de constater qu’au jour des plaidoiries, le demandeur était toujours retenu au Centre provisoire, sans que le gouvernement n’ait allégué un quelconque motif permettant d’établir la persistance, à cette date, de l’existence d’une mesure de refoulement sous-jacente, ainsi que l’impossibilité de procéder à celle-ci.

Il suit des considérations qui précèdent que l’impossibilité d’un éloignement immédiat, certes patente au jour de la prise de la décision litigieuse, voire encore au cours des premières journées qui s’ensuivirent, laisse d’être établie au jour du présent jugement.

Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de placement du 9 janvier 2004 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre de la Justice du 9 janvier 2004 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 6 février 2004 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17533
Date de la décision : 06/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-06;17533 ?

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