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06/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17531

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2004, 17531


Tribunal administratif Numéro 17531 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique extraordinaire du 6 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias …, contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17531 du rôle, déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

, alias …, de nationalité ivoirienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étr...

Tribunal administratif Numéro 17531 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2004 Audience publique extraordinaire du 6 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias …, contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17531 du rôle, déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, de nationalité ivoirienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Justice du 13 janvier 2004 prononçant à son égard une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 février 2004.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, service de contrôle à l’aéroport, du 13 janvier 2004, que Monsieur …, alias …, au moment où il s’apprêtait à embarquer sur un vol en direction de Londres, fut intercepté par les agents de police, étant donné qu’il était en possession d’une carte d’identité française dont la photo ne correspondait pas à son image, et que des vérifications ont permis d’établir que cette carte d’identité fut déclarée comme ayant été volée.

Monsieur …, alias …, ayant refusé de révéler sa véritable identité, le ministre de la Justice ordonna le même jour à son encontre une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :

1 « Vu le procès-verbal n° 1/2004 du 13 janvier 2004 établi par la police grand-ducale, service de contrôle à l’aéroport ;

Considérant que l’intéressé a fait usage d’une carte d’identité d’étranger française ne lui appartenant pas ;

Considérant qu’il est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- considérant qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 29 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …, alias …, a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 13 janvier 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté ministériel du 13 janvier 2004. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir respecté les conditions légales pour prononcer une mesure de rétention à son encontre en faisant valoir qu’il n’aurait pris ni mesure de refoulement, ni décision d’expulsion et que par ailleurs il aurait omis d’indiquer dans sa décision les éventuelles circonstances de fait l’ayant conduit à la conclusion qu’une expulsion ou un refoulement était impossible.

Il signale en outre avoir déposé une demande d’asile politique au Grand-Duché de Luxembourg pour conclure à l’absence d’un quelconque danger dans son chef de se soustraire à un rapatriement et il reproche finalement au ministre de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes en vue de procéder à son éloignement du territoire.

Il conclut finalement au caractère disproportionné de la décision litigieuse en faisant valoir que le Centre pénitentiaire de Schrassig ne serait pas à considérer comme étant un établissement approprié pour le placement d’un étranger faisant l’objet d’une mesure de rétention administrative, étant donné qu’il a été créé et conçu exclusivement pour l’hébergement de détenus au sens pénal du terme.

Le délégué du Gouvernement précise d’abord que c’est seulement en date du 14 janvier 2004 lors de son audition par un agent du service de police judiciaire, que le demandeur a fait part de son intention de solliciter l’asile politique au Luxembourg et que dans ce cadre, il a également déclaré être venu de France il y a neuf mois, muni d’un visa de tourisme français.

Il relève ensuite que Monsieur …, alias …, n’est pas placé au Centre pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière qui ferait partie d’un bloc séparé au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg.

2 Il conclut pour le surplus au bien-fondé de la décision déférée au regard du respect des conditions légales applicables et, concernant les démarches effectuées par les autorités luxembourgeoises, il relève qu’il importerait en premier lieu d’attendre l’issue de l’audition de l’intéressé prévue pour le 2 février 2004 afin de se faire une idée sur la recevabilité de sa demande d’asile, ainsi que la compétence des autorités luxembourgeoises pour en connaître.

Le demandeur conclut d’abord à une violation de l’article 15, paragraphe (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, en ce que la décision litigieuse n’aurait pas été précédée d’un arrêté d’expulsion ou de refoulement.

Il se dégage en effet de l’article 15, paragraphe (1) de ladite loi que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de rétention administrative au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant qu’en l’espèce la décision litigieuse n’est pas basée sur une décision d’expulsion et que le dossier tel que soumis en cause ne renseigne pas non plus l’existence d’une décision explicite de refoulement.

Il n’en demeure cependant pas moins qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, de sorte que celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 précitée sont remplies et où, par la suite, une mesure de rétention administrative a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de rétention à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Il y a dès lors lieu d’examiner si la décision de refoulement sous-jacente en l’espèce à l’arrêté ministériel litigieux rentre dans les prévisions légales de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15 de la même loi.

Ledit article 12 dispose que peuvent être éloignés du territoire luxembourgeois sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal, les étrangers non autorisés à résidence :

«1.

qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2.

qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3.

auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de (la loi précitée du 28 mars 1972) ;

4.

qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

35.

qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision litigieuse le 13 janvier 2004, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il a fait usage d’une carte d’identité d’étranger française ne lui appartenant pas, que pour le surplus il est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Dans la mesure où ces faits ne sont pas contestés en cause, Monsieur …, alias …, remplissait dès lors en date du 13 janvier 2004 les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir de substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est amené à statuer (cf. trib.

adm. 1 octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 11 et autres références y citées, page 591).

Il y a dès lors lieu d’examiner si la conclusion ci-avant dégagée reste encore valable au vu de la situation de fait telle qu’elle se présente à l’heure actuelle.

Force est de constater à cet égard que le constat ci-avant retenu relativement à la validité de la mesure de refoulement sous-jacente à la décision litigieuse n’est pas utilement énervé par le fait que l’intéressé a manifesté en date du 14 janvier 2004 l’intention de solliciter l’asile politique au Luxembourg et qu’il a formellement introduit une demande afférente auprès du ministre de la Justice par courrier du 16 janvier 2004, étant donné qu’il est constant en cause qu’il n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises dès son arrivée au Luxembourg, mais seulement par la suite, au cours de son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Dans la mesure où l’irrégularité de son séjour était dès lors patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que le demandeur n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre a valablement pu le maintenir en placement afin de permettre à ses services de vérifier son identité et de clarifier la question de la compétence de l’Etat luxembourgeois pour connaître de cette demande d’asile à la lumière notamment de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, en vertu de laquelle un seul Etat membre, conformément aux critères retenus par cette Convention, est en principe compétent pour examiner une demande d’asile présentée à la frontière ou sur le territoire d’un des Etats membres.

En effet, compte tenu notamment du défaut de collaboration de Monsieur …, alias … avec les autorités compétentes pour établir sa véritable identité et face aux indices ayant pu être dégagés de ses déclarations relativement à un éventuel séjour préalable en France moyennant un visa de tourisme, le ministre de la Justice ne saurait se voir reprocher en 4l’espèce de ne pas avoir entrepris des démarches nécessaires afin de clarifier dans les meilleurs délais la situation du demandeur, le dossier administratif renseignant au contraire que dès le 16 janvier 2004 des démarches ont été entreprises auprès des autorités françaises afin de retracer le cheminement exact du séjour de l’intéressé en France.

Il s’ensuit que dans l’attente de la mise en œuvre de ces formalités préalables à l’examen quant au fond de la demande d’asile introduite par Monsieur …, alias …, lesquelles peuvent le cas échéant comporter différentes mesures d’instruction ne valant pas automatiquement reconnaissance de la compétence du Grand-Duché de Luxembourg pour procéder à l’examen de la demande d’asile, le ministre a pu maintenir l’intéressé en placement.

Pour le surplus, il est constant que par application de la décision litigieuse, Monsieur …, alias …, fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par règlement grand-ducal du 20 septembre 2002.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur …, alias … fut en situation irrégulière à la date de son placement et qu’il subit une mesure de rétention administrative sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée par l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte qu’une discussion sur le caractère approprié de ce centre se révèle désormais en principe non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence, en l’espèce éventuelle, de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fut-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Or, le demandeur n’ayant pas fait état d’une quelconque circonstance particulière permettant de conclure au caractère inapproprié du centre par rapport à sa situation spécifique, le moyen afférent laisse encore d’être fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 6 février 2004 par :

5Mme Lenert, premier juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17531
Date de la décision : 06/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-06;17531 ?

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