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05/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17088

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2004, 17088


Tribunal administratif N° 17088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17088 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2003 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Diboli (Mali), de nationalité mal...

Tribunal administratif N° 17088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17088 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2003 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Diboli (Mali), de nationalité malienne, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, notifiée en date du 25 septembre 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport.

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Le 28 avril 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 juin 2003, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 23 septembre 2003, notifiée en date du 25 septembre 2003, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 avril 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 4 juin 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 avril 2003.

Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Selon vos dires vous seriez agriculteur. Un jour en mars 2003 vous auriez allumé un feu pour travailler les champs et le feu se serait propagé à la forêt située à côté des champs.

Vous auriez décidé de fuir avant que l’on ne se rende compte que vous seriez le coupable et qu’on vous mette en prison.

Un jour après avoir mis le feu, vous auriez pris place à bord d’un camion qui vous aurait emmené à Alger en Algérie où vous auriez pris un bateau en direction de la France.

Vous y seriez resté quelques jours avant de prendre un train à Paris pour le Luxembourg.

Vous précisez ne pas être membre d’un parti politique.

Force est d’abord de constater que vous avez délibérément menti quant à votre âge étant donné qu’un certificat médical daté du 6 juin 2003 attestant le fait que vous avez subi un examen médical en vue de la détermination d’âge probable indique que votre âge physique ne correspond en aucun cas à la date de naissance que vous avez indiquée auprès de nos services. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996, dispose qu’ « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

A cela s’ajoute que selon l’article 9 de cette même loi portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions. Le fait d’avoir involontairement mis le feu et de craindre ainsi de devoir faire de la prison ne pourra être considéré comme constituant une persécution ou justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il faut également noter que votre crainte et votre réaction de fuir en Europe sont totalement démesurées par rapport aux faits allégués.

De surcroît, le Mali, pays démocratique, doit être considéré comme pays d’origine sûr où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution au sens de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, qui dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 24 octobre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur critique la décision déférée principalement pour cause de violation de ses droits de la défense et plus particulièrement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’elle ne mentionnerait pas la présence d’un traducteur lui ayant traduit le contenu de ladite décision. Subsidiairement et quant au fond, le demandeur estime que la décision déférée devrait être annulée pour violation de la loi, sinon pour défaut de motif, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sinon pour violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité, au motif qu’il estimerait remplir les conditions posées par la Convention de Genève pour bénéficier de l’asile.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Concernant d’abord le moyen d’annulation tiré du fait que la décision déférée est rédigée en langue française et qu’elle n’aurait pas été traduite au demandeur dans une langue compréhensible pour ce dernier, force est de constater que le français est l’une des trois langues officielles du Grand-Duché en matière administrative, contentieuse et non contentieuse, ainsi qu’en matière judiciaire, et qu’il n’existe aucun texte de loi spécial obligeant le ministre de la Justice à faire traduire ses décisions dans une langue compréhensible pour les destinataires (cf. trib. adm. 12 mars 1997, n° 9679 du rôle, Pas.

adm. 2003, V° Etrangers, n° 19 et autres références y citées).

Force est encore de constater que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’applique qu’aux contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil et aux accusations en matière pénale et que les litiges relatifs à l’admission et au séjour des étrangers, et notamment à l’octroi ou au retrait du statut de réfugié ne rentrent dans aucune de ces catégories (cf. trib. adm. 14 octobre 1999, n° 11204 du rôle, confirmé par Cour adm. 8 février 2000, n° 11654C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Droits de l’Homme, n° 8 et autres références y citées).

Pour le surplus, il se dégage du rapport d’audition du 4 juin 2003 signé par Monsieur … que celui-ci fut auditionné en langue française étant donné qu’il n’a pas de problèmes de compréhension de la langue française.

Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen basé sur une violation des droits de la défense du demandeur et une irrégularité procédurale afférente est à rejeter.

Concernant la justification du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

Or, il convient de relever de prime abord que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont ébranlées par les fausses déclarations relevées par le ministre de la Justice dans sa décision de refus au sujet de l’âge exact du demandeur.

Ceci étant, en l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 4 juin 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

A défaut d'explications plus concrètes et circonstanciées, la simple crainte d’un emprisonnement mise en avant par le demandeur pour avoir involontairement mis le feu à la forêt après avoir allumé dans les champs qu’il labourait, un feu lequel s’est propagé à la forêt environnante, n’est pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il s'agit, à défaut d'autres éléments, tout au plus d'un délit de droit commun qui peut, selon la gravité des faits, emporter une peine de prison. Le seul fait de ne pas vouloir purger une peine d'emprisonnement encourue pour une infraction de droit commun ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié (cf. trib. adm. 5 novembre 2001, n° 13072 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 60). Pour le surplus, il y a encore lieu de relever que le Mali est un pays démocratique et sûr.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que le délégué du gouvernement, dûment excusé, et l’avocat constitué pour le demandeur ne sont ni présents, ni représentés à l’audience de plaidoiries, est indifférent.

Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance et le délégué du gouvernement a répondu dans un mémoire en réponse, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 5 février 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17088
Date de la décision : 05/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-05;17088 ?

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