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05/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17081

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2004, 17081


Tribunal administratif N° 17081 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17081 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2003 par Maître Stéphanie GUERISSE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de

nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sin...

Tribunal administratif N° 17081 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17081 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2003 par Maître Stéphanie GUERISSE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 2003, notifiée par lettre recommandée du 25 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport.

Le 4 mars 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 mars 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, lui notifiée par courrier recommandé le 25 septembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée.

Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice daté du 13 mars 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Podgorica fin février 2003 pour venir dans la voiture d’un passeur au Luxembourg. Votre voyage s’est fait via la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 4 mars 2003.

Vous exposez que vous auriez fait votre service militaire de 1975 à 1977 en Slovénie. Vous auriez fait plusieurs réserves, notamment pendant le conflit en Bosnie.

Vous n’auriez pas été appelé par la suite.

Vous seriez recherché pour témoigner sur un incident qui se serait produit à Dubrovnik pendant la guerre de Bosnie. Un certain major RADOSAVIC vous aurait menacé pour que vous ne témoigniez pas. Vous dites que, de toutes façons, vous ne savez pas ce qui s’est passé à Dubrovnik.

Vous auriez aussi eu des ennuis avec un dénommé BULATOVIC qui vous aurait frappé à l’arrêt de bus parce qu’un de vos cousins aurait été soldat dans l’armée bosniaque.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le fait d’être recherché par l’armée pour témoigner d’événements dont vous ignorez tout ne saurait justifier une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Quant aux menaces venant du major RADOSAVIC, elles sont sans fondements puisque vous ne savez rien. Je constate, pour le surplus, que les événements de Dubrovnik pour lesquels votre témoignage serait recherché concernent le conflit en Bosnie qui est vieux de plus de dix ans.

Quant au coup porté par BULATOVIC, c’est un fait isolé qui ne saurait être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, rien dans vos dires ne répond aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

De plus, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro. La nouvelle Constitution a été élaborée en février 2003, des élections démocratiques ont eu lieu le 25 février 2003 et le nouveau Président a été élu par le Parlement le 7 mars 2003. Enfin soulignons l’adhésion de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe le 3 avril 2003 et sa signature de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. A ce jour, le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 23 octobre 2003, Monsieur … a introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 septembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il appartiendrait à la minorité ethnique des « Bochniaques » et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait que du temps où il était soldat, il aurait été témoin de massacres à Dubrovnik durant la guerre de Bosnie et qu’il serait menacé par des personnes ayant participé à ces massacres pour l’empêcher de témoigner. Il soutient que la situation en ex-Yougoslavie ne serait pas aussi stable que les autorités voudraient bien le faire croire, et que la milice pro-

Milosevic existerait toujours. Craignant pour sa vie, il lui serait dès lors impossible de retourner dans son pays alors même que les faits remonteraient à dix ans.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » .

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 13 mars 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile sont extrêmement vagues et ne sauraient constituer une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En ce qui concerne plus spécialement les massacres à Dubrovnik dont le demandeur aurait été témoin, à défaut d’explications plus concrètes et circonstanciées en ce qui concerne les circonstances particulières entourant ces massacres ainsi que les menaces par téléphone qu’il aurait reçues de la part des militaires qui voudraient l’empêcher de témoigner, les allégations afférentes ne sont pas de nature à elles seules à documenter un acte de persécution au sens de la Convention de Genève, les causes exactes à sa base restant inconnues et les explications y relatives du demandeur étant imprécises et peu convaincantes, d’autant plus que les prétendus faits remontent à une dizaine d’années.

En ce qui concerne l’agression dont le demandeur fait encore état et qui serait due au fait que son cousin aurait été dans l’armée bosniaque, abstraction faite qu’il s’agisse d’un fait isolé, il n’est pas non plus de nature à établir une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. S’agissant d’une agression commise par des tiers et non par les autorités étatiques, il y a lieu de relever qu’elle ne saurait en tout état de cause être retenue que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’assurer une protection adéquate. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. Or, le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer sa protection. Les faits dont il fait état ne revêtent pas le caractère de gravité suffisant afin de pouvoir valoir comme crainte caractérisée de persécution au sens de la Convention de Genève, mais s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité.

Pour le surplus, il convient encore d’ajouter que la situation politique a favorablement évolué au Monténégro de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que le délégué du gouvernement, dûment excusé, et l’avocat constitué pour le demandeur ne sont ni présents, ni représentés à l’audience de plaidoiries, est indifférent.

Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance et le délégué du gouvernement a répondu dans un mémoire en réponse, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 5 février 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17081
Date de la décision : 05/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-05;17081 ?

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