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05/02/2004 | LUXEMBOURG | N°17062

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2004, 17062


Tribunal administratif N° 17062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17062 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de M. …, né le … à Skendaj (Kosovo-Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, d...

Tribunal administratif N° 17062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2003 Audience publique du 5 février 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17062 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Skendaj (Kosovo-Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 23 septembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport.

Le 24 juin 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 3 juillet 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 septembre 2003, notifiée par lettre recommandée le 29 septembre 2003, ainsi qu’en mains propres du demandeur le 4 novembre 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Mitrovica le 20 juin 2003 pour prendre place dans une camionnette qui vous a déposé au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 juin 2003.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire.

Vous expliquez que vous auriez été membre du parti LDK ; vous auriez collé des affiches. Cette adhésion ne vous aurait pas causé de grands problèmes ; une fois, des troubles auraient eu lieu dans un local et, une autre fois, vous vous seriez disputé avec un voisin membre d’un autre parti.

Votre maison de Mitrovica – Nord aurait été détruite et vous auriez vécu chez un oncle à Mitrovica – Sud. Vous précisez que votre oncle n’a plus de place pour vous et que vous ne sauriez où aller. Vous craignez de recevoir des pierres et des cocktails Molotov si vous retourniez au nord de la ville.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Or, le fait que votre maison aurait brûlé ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève, de même que vos difficultés de logement à Mitrovica – Sud.

Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville du Kosovo, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Votre demande ne correspond donc à aucun des critères de fonds de la Convention de Genève, alors que le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 17 octobre 2003, M. … a introduit un recours en annulation sinon en réformation contre la décision ministérielle de refus prévisée.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo et, plus particulièrement de la ville de Mitrovica, qu’il aurait quitté Mitrovica parce que la situation générale n’y serait pas encore stabilisée et qu’il y serait toujours « dangereux pour les Albanais », qu’il ne pourrait pas retourner dans la maison, antérieurement habitée par sa famille, « pour des raisons de sécurité au Nord de Mitrovica où ne résident plus que des Serbes qui ont chassé les Albanais ». Le demandeur fait encore état de ce qu’il ne trouverait ni travail ni logement adéquat à Mitrovica.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de relever que des considérations d’ordre matériel et économique, tels l’impossibilité d’occuper son ancien logement et la crainte de difficultés financières, ne constituent pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié (trib.

adm. 20 juin 2001, n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 83).

Ceci étant, force est de constater que les craintes de persécution exprimées par le demandeur se révèlent générales et vagues et ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, de sorte qu’elles se révèlent insuffisantes pour établir un état de persécution dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région de l’Etat de Serbie et Monténégro.

En effet, le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation de la ville de Mitrovica-Nord, majoritairement peuplée par des Serbes, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine et, plus particulièrement, dans une autre ville du Kosovo, majoritairement peuplé par les Albanais, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que ni l’avocat constitué pour le demandeur, ni le délégué du gouvernement, dûment excusé, n’ont été présents ou représentés à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance et comme le gouvernement a pris position par écrit par le fait de déposer, sous la plume de son délégué, un mémoire en réponse, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, déclare le recours en annulation irrecevable, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 5 février 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17062
Date de la décision : 05/02/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-02-05;17062 ?

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