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28/01/2004 | LUXEMBOURG | N°17006

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 janvier 2004, 17006


Tribunal administratif N° 17006 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 28 janvier 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17006 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skenderaj (Kosovo), de nationalité yougoslave, de

meurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision...

Tribunal administratif N° 17006 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 28 janvier 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17006 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skenderaj (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2003, notifiée par lettre recommandée du 26 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 17 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 4 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date des 17 mars et 5 mai 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 26 août 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile le 25 février 2003. Vous avez pris place dans le minibus d’un passeur et ensuite dans une voiture.

Vous avez traversé la Bosnie, la Croatie et l’Allemagne.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 4 mars 2003.

Vous exposez que vous n’avez pas été appelé au service militaire et que vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous dites que votre famille serait de confession catholique et les non-musulmans seraient mal vus au Kosovo.

Votre père aurait été emprisonné en Serbie de 1988 à avril 2002, en même temps que d’autres personnes. Il aurait été accusé de terrorisme. Vous précisez que les familles des autres personnes emprisonnées auraient cru que c’était lui qui avait dénoncé tout le monde. A sa sortie de prison, il aurait été menacé et votre famille aussi. Votre père aurait été tué le 29 décembre 2002 par des inconnus.

Vous-même auriez été indésirable dans la commune où vous habitiez.

Vous craignez de subir le sort de votre père car vous auriez été personnellement menacé dans la rue à plusieurs reprises.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je constate d’abord que, contrairement à vos affirmations, il résulte des renseignements en notre possession que votre père est bien vivant. Vous avez donc sciemment menti sur ce point et votre demande repose sur une fraude délibérée.

Quant aux menaces dont vous faites état, à les supposer véridiques, elles ne sauraient constituer un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De toutes façons, le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Votre crainte d’y être persécuté est donc manifestement dénuée de fondement.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 26 septembre 2003, M. … a introduit un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 août 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté son pays d’origine, le Kosovo, parce qu’en tant qu’Albanais et membre de la minorité catholique du Kosovo, il aurait risqué de subir des persécutions. Il précise que son père, accusé de terrorisme par les Serbes, aurait passé quatre ans en prison, que durant son emprisonnement, il aurait dénoncé des « terroristes » qui auraient tous été tués par les Serbes pendant la guerre.

Dans ce contexte, il ajoute que, depuis que le père aurait été libéré de la prison, sa famille aurait constamment reçu des menaces de la part des familles des « terroristes » tués, qu’il aurait personnellement subi des menaces et qu’il se serait vu contraint de quitter le Kosovo par crainte de représailles. Le demandeur précise que ce n’est que parce qu’il craignait un refus de sa demande d’asile de la part des agents du ministère de la Justice qu’il aurait affirmé lors de son audition que son père aurait été assassiné. Il fait valoir que les menaces proférées à l’encontre de sa famille seraient par contre bien réelles. Enfin, il soutient qu’il aurait « toujours été menacé et humilié par les Albanais de religion musulmane qui ont toujours été défavorables à l’égard des Albanais catholiques » et que les autorités en place au Kosovo resteraient inactives puisqu’elles seraient majoritairement composées d’Albanais de confession musulmane.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé. Il fait valoir plus particulièrement que le récit du demandeur serait peu crédible au motif que lors de l’audition celui-ci aurait déclaré que son père aurait été tué alors que ce dernier serait en réalité toujours en vie.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

Or, il convient de relever de prime abord que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par les contradictions et fausses déclarations relevées par le ministre de la Justice dans sa décision de refus au sujet du prétendu assassinat du père. La pièce versée par le délégué du gouvernement démontre à suffisance de droit que le père du demandeur est toujours en vie.

Ceci étant, en l’espèce, sur base des éléments du dossier, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 17 mars et 5 mai 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les déclarations faites par le demandeur, relatives notamment à ses craintes de persécution de la part des Albanais musulmans à son encontre en raison de son appartenance à la religion catholique, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de ses auditions, il est resté vague dans ses déclarations en ce qu’il a relevé que sa peur serait liée à sa religion, que les catholiques n’auraient pas les mêmes droits que les autres citoyens et que les conditions de vie seraient mauvaises dans son pays, sans pour autant avoir établi une raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution dans son pays d’origine du fait de sa religion catholique ou pour un des autres motifs visés par la Convention de Genève. Au contraire, les faits allégués par le demandeur relativement à des humiliations et dégradations infligées par la communauté musulmane à l’encontre des Albanais catholiques, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine.

En ce qui concerne le moyen fondé sur la crainte de représailles en raison des dénonciations commises par le père du demandeur durant son séjour en prison, s’agissant de persécutions commises par des tiers et non pas par des autorités étatiques, elles ne sauraient être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace, sans apporter d’autres précisions à ce sujet, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités. Le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, mais il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, le demandeur a affirmé ne pas avoir porté plainte quand il a été menacé. Il en résulte que le demandeur reste en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 janvier 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17006
Date de la décision : 28/01/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-01-28;17006 ?

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