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28/01/2004 | LUXEMBOURG | N°16541

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 janvier 2004, 16541


Tribunal administratif N° 16541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 28 janvier 2004

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Recours formé par la société … et consorts, Luxembourg contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16541 du rôle, déposée en date du 11 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom 1) de la société …, établie et ayant son siège...

Tribunal administratif N° 16541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 28 janvier 2004

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Recours formé par la société … et consorts, Luxembourg contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16541 du rôle, déposée en date du 11 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom 1) de la société …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant M. …, et, pour autant que de besoin, des associés de ladite société civile immobilière, à savoir 2) M. …, …, demeurant à L-…, 3) Mme …, sans profession, épouse de M. …, demeurant à L-…, 4) M…., , demeurant à L-…, 5) M. …, professeur, demeurant à L-…, 6) M. …, avocat, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 mars 2003 (numéro du rôle GR 35.97) portant rejet de leur demande du 24 février 1997 en remise gracieuse d'impôts pour l’année 1990 correspondant à la non-prise en considération d’une dette d’intérêts d’un import de 4.037.294.- francs luxembourgeois ayant grevé l’exercice 1990 de la société … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Patrick KINSCH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier daté du 24 février 1997, sur papier à entête de la société …, les associés de ladite société soumirent au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une demande en remise gracieuse d'impôts pour l’année 1990 correspondant à la non-prise en considération d’une dette d’intérêts d’un import de 4.037.294.- francs luxembourgeois ayant grevé l’exercice 1990 de la société …, ci-après dénommée la « … ».

Suivant décision du 10 mars 2003 (n° du rôle GR 35.97), le directeur rejeta cette demande en remise gracieuse aux motifs suivants :

« Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que la demande tend à la mise en compte d’intérêts débiteurs d’un prêt en relation avec l’acquisition d’un immeuble situé à …, dans le cadre de l’imposition de l’année 1990 ;

Considérant qu’en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande dûment justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’administration des contributions accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l’impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que la requérante malgré rappels, sommation et fixation d’astreinte, n’a pas jugé utile de produire le certificat demandé, relatif aux intérêts débiteurs ;

Considérant qu’en l’espèce, le bureau d’imposition, a procédé à bon droit à la taxation des revenus de la requérante sur base du paragraphe 217 AO, compte tenu des données de la cause, de sorte que cette dernière ne doit s’imputer qu’à elle-même les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation (cf. Conseil d’Etat du 11 avril 1962 N° 5742 et Cour adm. du 30 janvier 2001, N° 12311C) ;

Considérant que la remise des certificats manquants après imposition ne peut impliquer un redressement des bases d’imposition lorsque le bulletin d’impôt a acquis force de chose jugée ;

Considérant que le moyen invoqué dans la demande s’analyse en une contestation de la légalité de l’impôt, étrangère en tant que telle à la matière gracieuse (cf T.A. N° 11196 du 27.10.99 et confirmé par C.A. N° 11703C du 30.3.2000) ;

Considérant que la demande gracieuse ne doit pas servir à contourner la forclusion attachée au délai contentieux ou le réexamen d’office, la rigueur de la perception ne pouvant être prétexte à un contrôle virtuel du bien-fondé de l’imposition ;

Considérant qu’une rigueur subjective ne saurait dans le présent cas être admise, faute de motivation dans ce sens ;

Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ».

A l’encontre de cette décision de rejet de leur demande en remise gracieuse du 24 février 1997, la … et, pour autant que de besoin, ses associés, à savoir M. …, Mme …, épouse de M. …, M. ……, M. …, M. … ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 11 juin 2003.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que la … a été constituée afin d’acquérir un immeuble sis à …, destiné à abriter les locaux de l’étude d’avocats … et que l’acquisition de l’immeuble a été financée par un prêt consenti par la banque K, qu’en ce qui concerne l’année 1990, les intérêts débiteurs - d’un montant de 4.037.294 francs - afférents à ce prêt n’ont pas été pris en considération par l’administration fiscale, au motif que les pièces justificatives de la mise en compte des intérêts par la banque n’auraient pas été jointes à la déclaration fiscale de la …. Dans ce contexte, ils font ajouter que, le préposé du bureau d’imposition sociétés III aurait certes demandé à la … la remise des déclarations pour les exercices 1991 et 1992 ainsi que des pièces justificatives, mais il n’aurait cependant pas spécialement attiré l’attention sur le fait que les pièces justificatives à l’appui de la déclaration pour 1990 n’étaient pas jointes.

Les demandeurs relèvent encore que la notification à la … en date du 21 juillet 1994 du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1990, serait intervenue à un moment où Mme … (qui se serait occupée, à l’époque, de l’établissement des déclarations en matière immobilière, ainsi que des revenus et frais professionnels de son mari) aurait été en convalescence après avoir été hospitalisée au service de cardiologie du Centre Hospitalier de Luxembourg et qu’à ce moment, « l’attention de la famille n’était par conséquent pas concentrée sur la réaction à apporter à la notification de ce bulletin ».

En droit, ils estiment que dans un système dans lequel coexistent principe de légalité et principe d’équité et dans lequel une remise gracieuse pour des raisons d’équité peut intervenir alors même que l’impôt est légalement dû quant au fond, il convient d’admettre qu’une remise gracieuse peut également intervenir lorsque l’imposition a été objectivement injuste eu égard aux données économiques réelles, mais que sa rectification par voie d’une réclamation n’est plus possible.

Sur ce, ils concluent au bien-fondé de leur demande de remise gracieuse et sollicitent « la prise en compte de la réalité, établie par pièces, des intérêts mis en compte à la Société … ». Dans ce contexte, ils soutiennent en outre que les conditions objectives d’une remise gracieuse seraient données, au motif que le résultat de l’imposition serait contraire à l’intention du législateur, « puisque les intérêts ayant réellement été exposés par la Société … n’ont pas été pris en considération par le bulletin attaqué » et parce qu’aucun avertissement ayant trait à la non-remise des pièces justificatives pour 1990 n’aurait été adressé à la … et que la maladie de Mme … aurait empêché l’introduction d’une réclamation dans les délais légaux.

Le délégué du gouvernement relève que seule la … aurait été destinataire de la décision directoriale, de sorte qu’elle aurait certes intérêt pour agir à son encontre, mais que la capacité pour ce faire lui manquerait.

Au fond, il estime que les consorts …, qui auraient été demandeurs originaires de la remise, mais non pas destinataires de la décision directoriale, ne peuvent pas faire valoir que la non-prise en considération d’intérêts débiteurs lors de l’établissement en commun des revenus des différents associés de la … justifie une remise gracieuse et il conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.

Le paragraphe 131 de la loi générale sur les impôts du 22 mai 1931, dite « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », tel que remplacé par l’article 97, alinéa 3 numéro 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en cause. Ledit recours en réformation, dans la mesure où il émane des associés de la …, est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi. Le recours est cependant irrecevable en ce qu’il émane de la …, laquelle – en la matière - ne dispose pas d’une personnalité juridique distincte de ses associés, de sorte qu’elle n’a pas capacité pour agir en justice.

Quant au fond, il convient de prime abord de relever qu’il se dégage en dernière analyse de la décision directoriale que même si, en apparence, elle ne s’adresse qu’à la seule …, elle vise néanmoins – implicitement mais nécessairement – les associés de ladite société civile immobilière, auteurs de la demande en remise gracieuse, et qu’elle doit être interprétée comme refusant, non pas à la …, qui « n’est pas susceptible de devoir ni par conséquent de se voir remettre un impôt direct », comme le relève à bon escient le représentant étatique, mais à chacun de ses associés pris individuellement la remise partielle de l’impôt sur le revenu dont il est redevable au titre de l’année 1990.

Ceci étant, au vœu du paragraphe 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».

Il s’ensuit qu’une remise gracieuse n’est justifiée que si, ou bien la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables, ou bien si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur (cf. trib. adm. 18 novembre 1998, n° 10364 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Impôts, n° 221, et autres références y citées).

Une demande de remise gracieuse s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte ainsi aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette (cf. trib. adm. 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm.

2003, V° Impôts, n° 219).

Une rigueur objective ne peut pas résulter d'une fausse application de la loi fiscale, étant donné que la voie de la remise gracieuse est exclusive de celle contentieuse de la fixation de l’impôt. - Admettre la thèse développée par les demandeurs serait admettre que l’intégralité du contrôle de la légalité soit reportée dans la procédure de remise gracieuse et toute demande en remise gracieuse devrait dans cette logique aboutir invariablement chaque fois qu’une illégalité est constatée, l’intention du législateur n’ayant jamais pu être d’admettre qu’une imposition soit faite contrairement aux textes ou en méconnaissance de la réalité économique. Or, force est de constater que, d’une part, si le contrôle de la légalité est certes un droit, il n’en reste pas moins qu’au vœu du législateur, ce droit doit être exercé dans le cadre d’une procédure spécifique et dans les délais fixés dans un but de sécurité juridique, lequel s’oppose à ce que la légalité des actes puisse être éternellement contestée, et, d’autre part, en prévoyant la possibilité d’une remise en équité, le même législateur n’a pas eu l’intention d’abolir lesdits délais (cf. trib. adm. 17 octobre 2001, précité).

Il s’ensuit que les arguments relatifs à la prétendue contrariété de la non-prise en compte des intérêts débiteurs dont il est question en cause avec les données économiques réelles et le prétendu défaut d’avertissement ayant trait à la non-remise des pièces justificatives pour 1990 par le bureau d’imposition, qui ne tendent qu’à contester la légalité de l’imposition, sont étrangers aux considérations d’équité requises dans le cadre de la procédure prévue par le paragraphe 131 AO.

Quant à l’état de maladie ou de convalescence d’un des associés de la …, qui n’est autre que l’épouse respectivement la mère des autres associés et qui se serait principalement occupée des formalités fiscales, et le défaut de vigilance compréhensible des autres associés en raison desdits problèmes de santé, il convient de retenir dans le cadre de la présente affaire, que sans vouloir nier que cet état des choses a pu être vécu péniblement par chacun des demandeurs et même si l’argument n’est pas étranger à toute considération d’équité, il ne saurait cependant justifier à lui seul un empêchement des intéressés de soumettre en temps utile leur réclamation à l’autorité compétente.

Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de constater que les demandeurs n’ont pas apporté des éléments suffisants lui permettant de déceler une rigueur objective ou subjective incompatible avec l’équité et le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé en l’état.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable en ce qu’il émane de la société … ;

pour le surplus, le reçoit en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, M. Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 28 janvier 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16541
Date de la décision : 28/01/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-01-28;16541 ?

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