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26/01/2004 | LUXEMBOURG | N°17475

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2004, 17475


Tribunal administratif N° 17475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2004 Audience publique du 26 janvier 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du Procureur d’Etat en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête déposée le 16 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité bosniaque, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers e

n situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une...

Tribunal administratif N° 17475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 janvier 2004 Audience publique du 26 janvier 2004 Recours formé par Monsieur … contre une décision du Procureur d’Etat en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête déposée le 16 janvier 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité bosniaque, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du Procureur d’Etat autorisant sa rétention au dit Centre pour un délai n’excédant pas 48 heures et pour autant que nécessaire contre la décision du ministre de la Justice censée être prise dans la journée du 15 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 janvier 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 janvier 2004.

Monsieur … se trouve au Luxembourg depuis au moins 1997. Depuis lors il fit l’objet de trois mesures de rétention. Son éloignement du territoire luxembourgeois n’a cependant jamais pu être exécuté à défaut des papiers nécessaires. Le 15 janvier 2004 à 3.30 heures du matin, il fut interpellé par la police, lors d’un contrôle d’identité, et ne put présenter les papiers de légitimation prescrits.

Suite à cette interpellation, il fut placé, par une décision du substitut du Procureur d’Etat près du tribunal de Luxembourg prise le jeudi 15 janvier 2004 au petit matin, pour un délai n’ayant pas dépassé les 48 heures, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig.

Il fut libéré le vendredi 16 janvier 2004.

1Par requête déposée le 16 janvier 2004, Monsieur FARUK a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision du substitut du Procureur d’Etat et à l’encontre d’une décision du ministre de la Justice « censée intervenir » dans la journée du jeudi 15 janvier 2004 pendant les heures de bureau.

Etant donné qu’il est constant que le ministre de la Justice n’a pas pris dans la présente affaire une décision de rétention administrative en application de l’article 15, paragraphe 1, alinéa 1, le recours, pour autant qu’il est introduit à l’encontre de cette décision du ministre de la Justice, censée intervenir, est sans objet.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, en disposant que « contre les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) un recours est ouvert devant le tribunal administratif, qui statue comme juge du fond », vise les décisions de rétention sans distinction quant à leur auteur de manière à s’appliquer ainsi aussi bien à celles prises par le procureur d’Etat qu’à celles prises par le ministre de la Justice, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le recours en réformation introduit serait sans objet, parce que Monsieur …, ayant été libéré le 16 janvier 2004, ne se trouverait plus en rétention administrative.

Force est au tribunal de constater qu’au jour où il statue Monsieur Faruc … ne se trouve plus en rétention administrative sur base de la décision prise à cet effet par le substitut du Procureur d’Etat en date du 15 janvier 2004, de sorte que le recours en réformation introduit par le demandeur tendant à voir ordonner sa mise en liberté pure et simple, sinon sa rétention dans un établissement approprié, est devenu sans objet parce que le tribunal ne peut plus utilement faire droit à la demande lui adressée par rapport à laquelle il est appelé à statuer.

En ordre subsidiaire, Monsieur … conclut à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de la loi.

En termes de plaidoiries, il soulève la question de la compétence du substitut en arguant que celui-ci ne pourrait pas valablement prendre une décision en lieu et place du Procureur d’Etat.

Aux termes de l’article 22 du Code d’instruction criminelle, « le procureur d’Etat représente en personne ou par ses substituts le ministère public près le tribunal d’arrondissement et les tribunaux de police », de sorte que le moyen ayant trait à un défaut de compétence du substitut est à écarter.

En termes de plaidoiries, il précise en outre qu’il garderait un intérêt à voir contrôler la légalité de la décision prise, étant donné qu’il a été privé de sa liberté pendant 48 heures, d’autant plus qu’il aurait déjà pu être libéré dans la journée du 15 janvier 2004 au lieu du 16 janvier 2004, suite à la décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2004 de ne pas prendre une mesure de rétention à son égard.

2S’il a été établi en cause que la mesure entreprise a cessé de produire ses effets et que le tribunal ne peut plus, par réformation, ordonner respectivement la mise en liberté pure et simple du demandeur ou son placement dans un autre établissement, celui-ci garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question (cf. trib. adm. 12 novembre 2001, n° 14130 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, III. Mise à disposition n° 228, p. 233). Le moyen du délégué du Gouvernement faisant valoir que le recours en annulation introduit serait à déclarer irrecevable faute d’intérêt, parce que Monsieur …, retenu pendant 2 jours seulement, ne pourrait pas se prévaloir d’un droit à réparation, étant donné que l’article 2 de la loi du 30 septembre 1981 portant indemnisation en cas de détention préventive inopérante prévoit seulement un droit à réparation en cas de détention pendant plus de trois jours, est à écarter. En effet, il n’appartient pas au juge administratif d’anticiper l’issue d’une éventuelle affaire en responsabilité civile de l’Etat ou celle visée plus particulièrement en l’espèce, à savoir une demande en réparation à introduire auprès du ministre de la Justice, pour en déduire que le demandeur, en cas d’echec de son action, n’aurait plus d’intérêt à demander l’annulation de la décision litigieuse auprès du juge administratif.

Force est dès lors de retenir que Monsieur … a un intérêt à voir contrôler la légalité de la décision litigieuse, de sorte que le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable. En effet, l’article 2 de la loi du 30 décembre 1981 citée ci-avant, vise explicitement la détention préventive, de sorte que cet article ne saurait être appliqué par analogie à la rétention administrative laquelle ne se confond pas avec la détention préventive.

Quant au fond, le demandeur fait valoir en premier lieu l’inexistence d’une mesure de refoulement prise dans son chef et l’absence de preuve que cette mesure serait impossible à exécuter en raison des circonstances de fait.

Le délégué du Gouvernement réplique que la mesure de rétention prononcée par le Procureur d’Etat différerait d’une mise à disposition ordonnée par le ministre de la Justice, dans la mesure où il s’agirait d’une mesure provisoire, n’excédant pas 48 heures et qui serait seulement prononcée lorsque le ministre de la Justice ne pourrait pas être joint. Il ajoute que le Procureur d’Etat, souvent saisi pendant les week-ends ou pendant la nuit, devrait se prononcer sur base des seuls éléments à sa disposition, à savoir la plupart du temps un simple coup de fil de la part de la police et qu’en tout état de cause, il n’aurait pas connaissance des éléments du dossier auprès du ministère de la Justice. Il termine qu’en l’espèce, le Procureur d’Etat, ayant été informé par la police de l’interception d’une personne en séjour irrégulier, sans pièce d’identité, il n’aurait eu d’autre choix que de prononcer une mesure de rétention n’excédant pas 48 heures en attendant que le ministre de la Justice soit utilement saisi.

3Les dispositions pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

L’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 dispose :

« Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi modifiée du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

L’article en question exige la réunion de deux conditions légales sous-jacentes à une décision de rétention administrative :

1. une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, 2. l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait.

L’article 15, paragraphe (2), alinéa 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 dispose :

« Lorsque le Ministre de la Justice ne peut pas être utilement saisi, l’étranger peut être retenu, avec l’autorisation du procureur d’Etat, pour un délai n’excédant pas 48 heures et qui court à partir du moment de la prédite autorisation. Les dispositions des paragraphes (4) à (7) du présent article sont applicables. » L’alinéa 2 de l’article 15, paragraphe 1 a été introduit par la loi du 18 août 1995 portant modification de la loi modifiée du 28 mars 1972. Le texte de l’amendement gouvernemental déposé, bien qu’ayant eu à ce moment encore une autre teneur que celle définitivement adoptée, est commenté de la façon suivante : « Le recours à la mesure de placement prévue à l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 était peu fréquent jusqu’à présent alors que le refoulement d’étrangers en situation irrégulière vers une frontière de notre pays était souvent possible.

Depuis l’entrée en vigueur de la Convention d’application de l’accord de Schengen, cette situation a changé. D’un côté un refoulement à une frontière terrestre de notre pays est-

elle devenue impossible, la Convention imposant en son article 23 un éloignement en dehors du territoire Schengen, de l’autre, le signalement dans le système d’information Schengen (S.I.S.) oblige-t-il chaque Partie Contractante à éloigner les étrangers signalés par une des autres parties ; or le nombre de signalement au S.I.S. de personnes physiques s’élève à 700.000.

La conséquence en est que l’obligation de refouler et les cas d’impossibilité d’un éloignement immédiat ont tendance à augmenter, ce qui exige une disponibilité permanente en vue de prendre la décision de placement lorsqu’elle s’avère indispensable. Le Ministre de la Justice n’étant pas en mesure d’assurer une permanence, il est prévu de donner une délégation aux Parquets afin qu’ils puissent ordonner en cas d’urgence une mesure de placement à titre provisoire en attendant que le Ministre statue définitivement. La durée de la mesure provisoire à prendre par le Parquet ne pourra pas dépasser soixante-douze heures.

La forme de la mesure et les garanties de procédure prévues par la loi resteront inchangées. » (Doc. parl. 40133) Le recours aux services du Parquet s’explique donc exclusivement par des raisons pratiques, afin d’assurer une permanence en la matière.

4Force est dès lors de constater que le Procureur d’Etat a obtenu par le biais de l’alinéa 2, de l’article 15, paragraphe 1er, une compétence d’exception en matière de rétention administrative, de sorte qu’au délà de devoir observer les deux conditions légales prévues par l’article, 15, paragraphe 1er, alinéa 1er, il ne peut autoriser une telle rétention que dans l’hypothèse spécifique où le ministre de la Justice n’a pas pu être utilement saisi.

L’article 15, paragraphe 1er, alinéa 2 ne peut être interprété dans le sens voulu par le délégué du Gouvernement en ce qu’il exigerait seulement une impossibilité de saisir le ministre de la Justice et l’irrégularité du séjour de l’étranger, sans l’exigence de l’imminence de l’exécution de son éloignement rendu impossible par des circonstances de fait. En effet, à défaut de restriction du champ d’application personnel par rapport à l’article 15, paragraphe 1er, alinéa 1, l’étranger visé par l’article 15, paragraphe 1er, alinéa 2 doit être considéré comme étant celui visé à l’article 15, paragraphe 1er, alinéa 1er, c’est-à-dire celui faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement laquelle ne peut être exécutée en raison de circonstances de fait. Admettre le contraire reviendrait à autoriser le Procureur d’Etat à priver tout étranger généralement quelconque, tel que défini par l’article 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972, de sa liberté pendant un délai maximum de 48 heures.

Le moyen avancé par le délégué du Gouvernement que le Procureur d’Etat serait dans l’impossibilité de se livrer à de telles vérifications est également à écarter, dans la mesure où le tribunal administratif, en tant que juge de l’annulation a pour mission de vérifier si les conditions légales sont respectées, indépendamment des questions d’organisation pratiques qui peuvent, le cas échéant, se poser, d’autant plus que ces questions ont déjà été signalées par le Conseil d’Etat en 1995.

Si, en l’espèce, Monsieur … remplissait certes les conditions légles pour être refoulé en application de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, il n’en demeure pas moins qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier que Monsieur … ait fait l’objet d’une mesure d’éloignement qui était sur le point d’être exécutée, ni que celle-ci ait été impossible à exécuter en raison de circonstances de fait, fait qui pour le surplus ne semble pas être contesté par le délégué du Gouvernement lequel a précisé à l’audience que le ministre de la Justice a pris en date du 15 janvier 2004 la décision de ne pas prendre une mesure de rétention administrative à l’égard de Monsieur ….

Faute par le tribunal d’avoir pu procéder à la vérification de l’existence des conditions légales sous-jacentes à la prise de la décision de rétention litigieuse, il y a lieu de conclure que le recours introduit est fondé, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens, de sorte que la décision déférée est à annuler.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare sans objet et en déboute ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

5au fond le déclare justifié ;

partant annule la décision déférée ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2004 :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17475
Date de la décision : 26/01/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-01-26;17475 ?

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