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26/01/2004 | LUXEMBOURG | N°17005

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2004, 17005


Tribunal administratif N° 17005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 26 janvier 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17005 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellemen...

Tribunal administratif N° 17005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2003 Audience publique du 26 janvier 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17005 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 18 août 2003, notifiée le 26 août 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 17 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 janvier 2004.

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Le 28 mai 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 22 juillet 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 18 août 2003, notifiée par lettre recommandée le 28 août 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Le 26 septembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 18 août 2003.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté son pays parce que, témoin d’une tentative d’attentat à l’encontre d’un commandant de l’UCK perpétrée par un autre dignitaire de l’UCK, il aurait fait l’objet de menaces anonymes visant à l’empêcher de témoigner en justice.

Le demandeur fait en particulier plaider qu’appelé une première fois à déposer devant le juge d’instruction local sur les faits dont il aurait été témoin, il aurait par la suite été la cible de plusieurs menaces l’informant qu’il serait tué s’il réitérait son témoignage devant la justice.

Le demandeur fait encore valoir que la situation politique au Kosovo serait caractérisée par une grave instabilité et insécurité et que l’UCK y jouirait d’une impunité totale, de sorte qu’il ne saurait attendre la moindre protection de la justice et de la police locales, et que partant il n’aurait eu d’autre solution que de fuir son pays pour éviter à avoir à témoigner.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Le délégué du Gouvernement relève en particulier que le demandeur n’aurait apporté aucun élément de preuve tangible corroborant les faits allégués.

Il estime de surcroît que le fait de refuser de témoigner ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Il relève encore que l’identité de l’auteur des menaces étant inconnue, il ne saurait être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne la situation d’insécurité au Kosovo, qui aurait d’ailleurs fondamentalement évolué depuis 2000 et en particulier depuis le 3 avril 2003, date de l’adhésion de l’Etat de Serbie-Monténégro notamment à la Convention européenne des Droits de l’Homme, la notion d’obligation de protection à charge des autorités locales, obligation dont la violation peut justifier l’application de la Convention de Genève, ne signifierait pas que les autorités du pays d’origine du demandeur soient tenues de lui assurer une sécurité physique absolue contre la commission de tout acte de violence.

Le demandeur conteste l’appréciation de la situation au Kosovo faite par le délégué du Gouvernement et estime qu’au vu de l’insécurité en général et de l’agressivité, de l’influence et de l’impunité de l’UCK en particulier, le fait de devoir témoigner contre un dignitaire influent de cette organisation justifierait sa fuite et sa demande en obtention du statut de réfugié.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, à défaut de pièces, le demandeur doit du moins présenter un récit crédible et cohérent. En l’espèce cependant, force est de constater que le demandeur, lors de son audition, a prétendu dans un premier temps avoir assisté de loin, en tant que témoin oculaire, à une tentative de meurtre, et d’être intervenu d’une distance de quelque 70 mètres en levant la main : « C’était une tentative de meurtre. L’un tirer [sic] sur l’autre et moi j’avais levé la main. J’étais environ 70 mètres plus loin, je suis allé voir ce qui se passe. Je me suis mêlé de quelque chose qui ne me regardait pas ». Le demandeur prétend par ailleurs, au début de son audition, ne pas avoir donné de suites aux convocations devant le tribunal : « J’ai eu deux fois la convocation pour aller au tribunal à Pec, mais je ne suis pas allé. La troisième fois la police est venue et m’a dit que je serais obligé de comparaître au tribunal la prochaine fois. Sinon ils viendront me chercher. » Au cours de la même audition, le récit du demandeur a cependant changé, alors qu’il se présente comme ayant physiquement empêché le meurtre : « C’est […] moi qui avait [sic] pris la main de celui qui voulait tirer » et avoir déposé par la suite devant le juge d’instruction, après avoir obtenu une troisième convocation et y avoir été emmené par la police .

S’il est vrai que tels changements au cours de l’audition ne sont pas de nature à justifier un refus d’une demande d’asile, il n’en demeure pas moins que ces incohérences au cours du même récit sont de nature à ébranler la crédibilité du demandeur, d’autant plus que celui-ci, du fait que sa fuite n’était manifestement pas précipitée, étant donné qu’elle n’est intervenue que quelques 7 mois après son audition devant le juge de Pec, aurait pu aisément établir du moins la réalité des différentes convocations en se munissant des documents afférents avant de quitter le pays.

Force est encore de constater que le demandeur dans son récit ne fait état ni de persécutions émanant d’une autorité au sens de la Convention de Genève, ni de persécutions du fait de son appartenance à un groupe social au sens de la même Convention.

En effet, à supposer que les menaces, qui émanent d’un auteur non identifié, soient, comme le prétend le demandeur, à imputer à l’UCK, sinon à l’un des prétendus dirigeants de cette même organisation impliqués dans la tentative d’assassinat alléguée, ce qui demeure à l’état de simple allégation, elles n’émaneraient pas des autorités du pays, ni même ne seraient encouragées ou seulement tolérées par ces mêmes autorités, le demandeur restant par ailleurs en défaut d’établir avoir personnellement et concrètement recherché, en vain, la protection des autorités.

Par ailleurs, l’appartenance du demandeur au « groupe des témoins menacés par des malfaiteurs » ne saurait justifier l’application de la Convention de Genève à son profit, alors que la notion de groupe social au sens de cette Convention s’entend comme des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social, ce qui en l’espèce n’est pas le cas du demandeur.

Enfin, c’est à tort que le demandeur se prévaut du fait que les autorités de son pays ne seraient pas capables d’assurer sa protection, et que lui-même, du fait de l’influence de l’UCK, ne pourrait même pas solliciter une telle protection.

Il résulte en effet de son rapport d’audition que le demandeur n’a pas recherché effectivement la protection des autorités en place, mais s’est contenté de faire part de sa peur au juge d’instruction auprès duquel il venait de déposer, et a interprété un mouvement de tête du greffier comme un aveu d’impuissance des autorités.

Il s’avère par conséquent que le demandeur n’a pas concrètement entrepris la moindre démarche en vue d’obtenir la protection des autorités, telle que dénoncer à celles-ci les menaces dont il aurait été victime. Bien au contraire, il appert qu’estimant avant d’avoir effectué la moindre démarche que celle-ci serait de toute façon vouée à l’échec, il a préféré prendre la fuite.

Dans ces conditions, le demandeur n’a pas mis en évidence un refus ou défaut concret et effectif de protection, rapporté à sa situation personnelle.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, donne acte au demandeur qu’il redresse l’erreur matérielle affectant le dispositif du recours dans le sens que le nom de … y est remplacé par celui de …, au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17005
Date de la décision : 26/01/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-01-26;17005 ?

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