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26/01/2004 | LUXEMBOURG | N°16987

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2004, 16987


Tribunal administratif N° 16987 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2003 Audience publique du 26 janvier 2004

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Recours formé par M. …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16987 du rôle, déposée le 23 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

M. …, né le … à Rozaje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant ...

Tribunal administratif N° 16987 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2003 Audience publique du 26 janvier 2004

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Recours formé par M. …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16987 du rôle, déposée le 23 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Rozaje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 août 2003, notifiée le 26 du même mois, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 27 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 9 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 21 août 2003, notifiée le 26 du même mois, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 27 mars 2003 que vous auriez quitté Rozaje en février 2003 pour vous rendre en Bosnie où vous auriez séjourné pendant un mois chez des tantes. Vous y auriez trouvé un passeur qui se serait montré disposé de vous emmener au Luxembourg. Vous auriez quitté la Bosnie le 20 mars 2003 pour passer en Croatie où vous auriez pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené à Zagreb.

Vous y auriez passé la nuit et vous auriez changé de voiture pour aller en Slovénie. Par la suite, vous auriez encore changé deux fois de voiture. Vous seriez arrivé au Luxembourg le 26 mars 2003. Le passeur aurait retenu votre passeport. Notons que le 26 mars 2003 vous avez été arrêté par la police allemande. Vous leur avez dit que vous seriez arrivé au Luxembourg le 25 mars 2003 et que vous seriez arrivé en bus. Votre frère a également déclaré que vous seriez venu en bus et que vous seriez déjà arrivé au Luxembourg le 24 mars 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 27 mars 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez demandé l’asile pour que vous puissiez travailler.

Vous ajoutez également qu’en octobre-novembre 2002 la police aurait donné 100 euros à chaque membre de votre famille afin que vous votiez pour le parti politique DPS lors des élections. Vous auriez refusé de le faire et vous auriez reçu une convocation datée du 30 mars 2003 pour vous présenter au tribunal le 23 avril 2003. Rappelons qu’à cette date vous étiez déjà au Luxembourg. Vous auriez peur d’aller au tribunal.

Vous indiquez avoir subi des mauvais traitements, c’est à dire que vous n’auriez pas pu obtenir des documents du Ministère des affaires intérieures et ceci parce que vous n’auriez pas adhéré au DPS et parce que vous n’auriez pas voté pour eux. Vous dites avoir demandé des documents en juillet-août 2002, donc encore avant que la police aurait voulu vous corrompre pour voter DPS. Vous ajoutez quand-même avoir reçu des documents à la fin.

Vous admettez ne pas avoir subi de persécutions.

Vous indiquez également avoir quitté votre pays d’origine parce que vous y trouveriez pas de travail.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois tout d’abord [de] constater que les nombreuses contradictions concernant votre voyage pour venir au Luxembourg jettent un doute sérieux quant à la véracité de vos dires et au motif de fuite invoqué.

Par ailleurs, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Force est d’abord de constater que vous ne faites pas état de persécutions. Le fait que vous auriez reçu une convocation pour vous présenter au tribunal ne saurait être considéré comme un acte de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que les motifs que vous invoquez comme étant à la base de cette convocation sont peu crédibles. Il est peu concevable qu’on vous aurait officiellement convoqué en mars 2003, date à laquelle vous étiez déjà au Luxembourg, parce que vous n’auriez pas voulu voter pour le DPS en octobre-novembre 2002. Vous avez probablement été convoqué pour un autre motif, à supposer qu’il s’agit d’une convocation authentique. Le fait que la police aurait voulu vous corrompre pour que vous votiez DPS, à le supposer établi, n’est pas d’une gravité telle qu’il saurait constituer à lui seul une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, alors même que vous n’avez subi aucune autre pression voire même répression de la part de la police. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Le fait que vous seriez sans travail ne saurait également pas fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro. Enfin et surtout, soulignons l’adhésion récente de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe du 3 avril 2003 et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à une groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 23 septembre 2003, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 août 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable sous ce rapport. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié et que le ministre de la Justice aurait commis une mauvaise appréciation tant des conditions prévues par la Convention de Genève que de sa situation personnelle. Dans ce contexte, il expose qu’il aurait été contraint de fuir son pays « sous la pression des autorités locales qui ont commencé à le menacer au moment des élections en novembre 2002 » et que, plus particulièrement, en raison de son refus de voter pour le parti DPS, il aurait subi des pressions et des menaces par des policiers locaux, rencontré des problèmes et des discriminations par les autorités administratives et même reçu une convocation devant le tribunal d’instance de Rozaje « afin d’y subir des interrogations ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que même abstraction faite des contradictions relatives au trajet du demandeur pour venir au Luxembourg, le récit du demandeur est insuffisant pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement est insuffisant pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Serbie et Monténégro ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre d’éventuels opposants politiques. – En ce qui concerne plus spécialement la convocation devant le tribunal d’instance de Rozaje, celle-ci n’est pas de nature à elle seule de documenter un acte de persécution au sens de la Convention de Genève, les causes exactes à sa base restant inconnues et les explications y relatives du demandeur étant vagues et peu convaincantes.

Il se dégage au contraire du rapport d’audition du demandeur du 9 avril 2003 que ce sont essentiellement un sentiment général d’insécurité et des motifs économiques qui l’ont poussé à quitter son pays d’origine, étant notamment relevé qu’il a expressément déclaré avoir demandé l’asile « pour que je puisse travailler ».

Enfin, même à admettre que le demandeur ait rencontré des problèmes à Rozaje, le caractère local de ses problèmes est apparent et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre ville du Monténégro voire une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 26 janvier 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16987
Date de la décision : 26/01/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-01-26;16987 ?

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